Flan aux algues
Alors regardez bien, ça va être furtif, c'est probablement le seul dessert que vous verrez sur ce blog, à moins que vous ne me torturiez pour obtenir la meilleure recette de farz de toute la Bretagne et donc de l'univers! Furtif, mais pas forcément rapide, il faut compter au moins trois semaines pour le préparer, en commençant un jour de grande marée.
Il est réalisé à partir une algue (chondrus crispus), non qu'elle soit aussi sucrée que sa voisine laminaria saccharina, mais en raison de sa forte teneur en carraghenane, qui constitue un excellent gélifiant, figurant sous le doux nom de E407 sur les emballages des produits industriels . Cela vient du nom irlandais de cette plante, carragheen moss (ou irish moss). En breton, c'est le pioka, en français le goémon frisé; on l'appelle également sart dans quelques autres régions.
Ces algues étaient (et sont toujours mais un peu moins), l’objet d’une activité intense de la part des enfants au moment des grandes marées. Les gamins et parfois les adultes en emplissent fébrilement de grands sacs, et vont les vendre immédiatement à des courtiers qui les attendent au sec avec leurs balances. Le bon tour à jouer au courtier, c’est de truffer le sac avec un galet pour en augmenter le poids, mais ils ont l’œil... Les transactions se déroulent en espèces et sans facture, c'est l'une des dernières activités à bénéficier d'une telle dérogation.
Flan de pioka au coulis de mures sauvages
Préparation des algues
Il faut donc commencer par aller les récolter par une marée basse de fort coefficient, au moins 90, une bonne balade pour le dimanche 5 novembre où on va dépasser 100. Voici l’endroit où je les cueille, où les cueillaient mes ancêtres avant moi. Le rocher au premier plan a été usé par des générations de fesses familiales, attendant que la mer descende, ou qu'elle remonte avec des épaves. Le flux et le reflux, ça nous a toujours fait marrer.
Allez-y en confiance, aucune des algues du rivage français n'est toxique (à l'exception de certaines algues microscopiques, notamment la dinophysis qu'on peut ingérer par les coquillages filtreurs, d'où l'interdiction d'en consommer lorsqu'elle pullule). Vous pourriez par erreur en cueillir des poivrées, des sucrées, des aphrodisiaques ou d'autres soignant la gueule de bois, etc... Vous ne ferez pas de toutes un flan, mais vous rigolerez bien quand même!
Juste après la récolte, elle ne sont pas vraiment utilisables pour confectionner ce dessert (mais elles sont parfaites hachées pour épaissir un beurre ou une sauce, après trempage à l’eau douce ; inutile toutefois de les tremper longtemps, la chair de l'algue fraîche n'est pas salée, il s'agit surtout de les dessabler et de rincer la couche de sel en surface).
Avant de les utiliser, il faut les faire blanchir et sécher pendant au moins trois semaines, sous l’influence combinée du soleil et de la pluie. Le climat de Bretagne, où il fait beau plusieurs fois par jour est parfait pour ça... Elle vont donc blanchir au sens littéral du terme, prendre une couleur crème. Pour moi, le bon timing, c’est de les récolter à une grande marée du début de l’été, pour pouvoir les cuisiner à la saison des mures. Voici les algues une fois séchées :
Les autres ingrédients
- du lait entier
- du sucre
- une gousse de vanille
- des mûres
Préparation de la recette
Pour un litre de lait, prévoir deux bonnes poignées d’algues blanchies séchées. Les laisser à tremper pendant une heure dans de l’eau bien froide, pour finir de les dessaler et les faire gonfler. Les rincer deux ou trois fois, vous devez obtenir ces algues bien blanches :
Les égoutter et les mettre dans le lait. Ajouter deux cuillers à soupe de sucre et la gousse vanille. Faire chauffer et laisser cuire à feu doux pendant une quinzaine de minutes. Couper le feu et laisser refroidir. Une fois tiède, passer dans une passoire. Il y a deux écoles, celle qui foule à la passoire très fine, afin de ne plus avoir aucune particule d’algue dans la préparation, et la mienne, qui préfère des trous un peu plus gros pour donner un peu de mâche au flan.
Remettre à frémir 5 minutes avec la gousse de vanille, que vous aurez cette fois fendue en deux pour en libérer les graines. Mettre au frais dans des ramequins pendant au moins trois heures.
J’aime bien le servir avec un coulis de mûres, mais tout autre fruit rouge conviendrait, voire même une compote de pomme un peu cidrée et bien beurrée. Le coulis de mures est on ne peut plus facile à faire, juste au dernier moment : Passer les fruits au mixer, puis au travers d’un chinois pour retenir les grains. Sucrer selon le goût.
Vous vous doutez bien que je ne suis pas allé aux mures en octobre, alors c'est un coulis de fruit rouge surgelé du commerce, assez bon d'ailleurs. Par ailleurs, le flan devrait être pratiquement blanc pur, mais j'ai un p... de sucre bio à peine raffiné qui colore tout...
Il y a quelques options, nos anciens y mettaient assez volontiers du chocolat, de l’extrait de caramel ou de café. Je le préfère nature ou légèrement vanillé, pour ne pas masquer la saveur discrèrement iodée de ce flan.
Bon maintenant, je vous avoue tout, on nomme parfois ce dessert « flan surprise », car il arrive qu’il ne prenne pas. Cela dit, en récoltant les algues l’été vous mettez toutes les chances de votre côté. Si vous êtes «ceinture et bretelles» , vous ajouterez en fin de cuisson un gramme d’agar-agar en poudre. Attention, vous risquez alors d’avoir quelques chose de trop ferme. Mieux vaut le garder comme bouée de sauvetage : Si au bout de deux ou trois heures au frais, vous ne constatez aucun début de projet de gélification, remettez le tout à chauffer, et utilisez l’agar-agar. Pour ma part, je n'en ai jamais eu besoin...