Les bigorneaux
C'est un peu la folie ces temps-ci, le blog et ses voisins me prennent un temps fou, mais j'y découvre à chaque instant des personnes que j'apprécie beaucoup, elles se reconnaitront ;-)) Pour autant, je ne perds pas de vue ma ligne éditoriale, qui consiste seulement à vous inviter à vous promener en ma compagnie en lisière du ressac. Après m'être frotté aux wontons, je reviens à un produit plus à ma portée, le coquillage de plage, un ravioli un peu dur avec une farce vivante à l'intérieur.
Le bigorneau, je ne connais aucune coquille plus dure. Lorsque j'étais lycéen, je travaillais pendant les vacances chez un ostréiculteur, qui l'été ouvrait un espace de dégustation un peu élaborée, où je faisais tantôt l'écailler, tantôt la plonge, et tantôt le service en salle, ce que je préférais, parce que je pouvais raconter aux clients les merveilles qu'ils mangeaient.
Un soir, nous avons reçu un minibus d'écossais, lesquels j' ai vu totalement déconcertés devant le bol de bigorneaux que nous servions pour faire patienter. Fatale erreur, nous avions déjà mis sur la table la mayonnaise et les casse-noix pour le crabe. Ils ont versé la mayo sur les bigorneaux, puis ils ont essayé de les casser... autant vous dire que Dien Bien Phu, c'était de la rigolade en comparaison de ce que les tables voisines ont subi.
Je dédicace donc ce billet aux voisins de table de ce soir-là, parce que je n'ai pas été gentil du tout, au lieu de leur montrer, j'ai laissé faire en rigolant comme un cormoran ivre. Il n'est jamais trop tard pour se repentir, alors voilà pour bien connaître et cuire les bigorneaux :
De l’origine des bêtes à cornes
Toute vie vient de la mer, de cet océan originel où tout est né, y compris vous qui me lisez; vous ne descendez pas d’un singe, mais d’un fruit de mer remarquable, ce qui est réconfortant : Imaginez Vénus dégringolant toute poilue d’un arbre au lieu de naître en beauté d’une coquille saint jacques, et vous aurez tout de suite une idée assez précise de ce que je cherche à exprimer.
Le bigorneau est l’ancêtre de toutes les bêtes à corne de la planète, de l’escargot au bison. Ce n’est pas un hasard si l’escargot part en vadrouille lorsqu’il pleut, ou si les mammifères à cornes se rassemblent autour des points d’eau de la brousse et de l’abreuvoir de la ferme. C’est d’une certaine façon l’appel du large qui résonne en eux.
Un autre élément vient à l’appui de cette thèse, à l’instar de la gazelle ou de la blonde d’Aquitaine, le bigorneau est un animal brouteur, il se nourrit d’algues, faisant partie de ceux qui limitent la profusion de ces végétaux.
Hélas, il est bien petit face aux monstrueux effluents agricoles et domestiques bourrés d’azote et de phosphate qui constituent de véritables engrais pour les algues vertes (ulva lactita ou laitue de mer) lesquelles sont devenues un fléau sur certaines côtes, notamment celles où on élève du cochon industriel. Donnez quelques hectares de laitue à une douzaine de petits gris, vous verrez bien qu’ils ne finiront pas leur assiette.
Le principal prédateur du bigorneau, est l’homme (homo gastronomus avidus). Néanmoins, on ne le prépare pas comme l’escargot dans son beurre, le bigorneau étant encore plus difficile à traire que l’escargot, à ce point qu’on préfère désormais recourir au lait d’autres bêtes à cornes plus complaisantes.
De la cuisson des bigorneaux
Le bigorneau est diététiquement parfait. Peu calorique, c’est une véritable petite bombe de magnésium, élément qui n'est autrement présent que dans des aliments excessivement nourrissants.
Sa capture sur la plage s’apparente plus à un ramassage à mains nues qu’à un rodéo ou à une corrida. Moins pugnace que sa cousine la patelle, il suffit de se baisser pour remplir son panier. N'essayez pas de consommer d'autres variétés, comme ces petites merveilles jaunes ou nacrées, elles n'ont d'autre intérêt que celui d'émerveiller nos enfances, ce qui n'est pas rien.
Chez le poissonnier, on le trouve assez facilement, mais votre vigilance doit être double, d’abord sur la fraîcheur. L’animal doit être vendu vivant, on le voit au fait qu’il se balade les cornes à l’air (agrandissez la photo ci-dessous,on voit nettement deux qui essayent de se sauver). Ensuite, ce n’est jamais indiqué sur l’étiquette, mais on vend des bigorneaux d’importation, de grosses bêtes à la saveur un peu moins fine que nos petits indigènes, mais ils sont néanmoins bons.
Comptez environ 200 grammes de bigorneaux par personne, c’est l’idéal pour s’amuser autour d’un verre, le pain beurre sera bienvenu, mais pas indispensable. Pour les cuire, il faut de l’eau bien salée au gros sel gris. Dès que vous pensez avoir trop salé, ajoutez-en encore un peu, et vous y serez exactement. J'aromatise d'un peu de bâton de fenouil, de laurier et de poivre à queue. C’est à mon avis la meilleure utilisation de ce poivre qui ne passe dans aucun moulin, sa saveur musquée est parfaite dans les bouillons marins.
Portez l'eau à ébullition, y verser les bigorneaux rincés. Laisser cuire à frémissement de 6 à 8 minutes selon leur grosseur moyenne. Trop cuit ou pas assez cuits, on a un mal fou à les sortir entiers de leur coquille.
Pour avoir essayé pas mal de préparations, voire même de simple toasts beurrés garnis de bigorneaux, je peux vous assurer que rien ne vaut de les manger comme cela, juste au sortir de la coquille. Enlevez quand même l'opercule…
Deux observations pour conclure : La première, c'est que l'arme du dégustateur s'apparente à la lance du picador, ce qui confirme que le bigorneau est l'ancêtre du taureau. La seconde, c'est que le bigorneau pourrait bien aussi être l'ancêtre du tire-bouchon. Alors que boire avec? Très honnêtement, peu m'importe, face à face avec un bol de bigorneaux, je déguste et j'oublie tout le reste. Bon d'accord, puisque tu insistes, surtout pas un muscadet, comme on le recommande souvent, trop abrupt. Sauvignon de Touraine, je préconise, avec en tête de liste, celui non greffé de Marionnet, extase totale...