Farz fourn (ou far breton)
Farz fourn, c'est le farz cuit au four, le "far breton" des estivants qui n'en sont pas à un pléonasme près... Je garde le "z" final même en français, c'est une coquetterie...
Il n'est pas inutile de préciser qu'il est cuit au four, car il s'en fait à la poêle, en cocotte, en sac dans le bouillon, dans la cheminée, dans des mottes d'herbe tourbées (farz aoled d'Ouessant). Lorsque rien n'est précisé, c'est de la farine de froment. Après, tout est possible du sarrasin pur aux mélanges divers, et même avec du sang (farz gwad).
Alors non, rien ne vient de la mer dans ce farz, sinon le sel dans le beurre (et le cuisinier à la barre), mais la recette m’a été réclamée et enviée, depuis que j’ai prétendu dans un précédent billet que je détenais la meilleure recette de farz de toute la Bretagne, et donc de l'univers.
D'abord c'est rigoureusement exact. Ensuite, je ne trouve pas inutile d'ouvrir sur ce blog une catégorie "Recettes de Bretagne" côté terre, pour le jour (hélas proche au rythme où c'est parti) où il n'y aura plus de poissons comestibles dans la mer.
Enfin, ce n’est pas n'importe quelle recette de farz, c’est celle de ma mère, de sa mère, de sa grand-mère et probablement de toute une lignée de cuisinières léonardes, mais la traçabilité de la recette s’arrête à mon arrière grand-mère, cette petite dame sur le pas de sa porte à Lannilis, un jour de présentation des étalons. C’est l’une des branches terriennes de ma famille, mais leur haras se situait à moins de 500 mètres de l’aber Wrach.
Terrien ou non, c’est quand même un farz qui fait des vagues, il a donc toute sa place sur Cuisine de la Mer. Voilà en milieu de cuisson comment il part en tempête, et je vous assure qu'il est inutile de le cuire sur un bateau pendant un coup de tabac, pour parvenir à ce résultat!
Alors la recette
Ingrédients
- sept cuillers à soupe de farine de froment
- trois cuillers à soupe de sucre
- trois gros œufs
- du lait entier
- 100 grammes de beurre
- rhum brun
Ce qui en faisait un dessert de gens aisés dans nos campagnes : chez les plus modestes, on se serait contenté d’un œuf, et on aurait évité de mettre trop de beurre, deux produits sévèrement économisés, car on pouvait les vendre au marché, gagnant ainsi un peu d’argent pour se procurer les biens autres que ceux qui étaient produits à la ferme, à commencer par le sucre…
Recette
Mettez la farine dans un saladier, puis les œufs. Remuez à l’aide d’une cuiller en bois pour qu’il n’y ait aucun grumeau, inutile de tamiser la farine avant, si vous croyez qu’on avait le temps de s’amuser à ça…
Lorsque c’est un peu lisse, tenez la cuiller en bois de façon à ce que le creux soit tourné vers bas, et mélangez longuement et énergiquement afin d'emprisonner le maximum d’air dans la pâte. C’est ce qui va faire gonfler le farz à la cuisson. Passez-y pas mal de temps, n’hésitez pas à vous interrompre, et revenez-y une fois votre bras reposé (comptez une dizaine de minutes de brassage pour obtenir un beau résultat).
Ajoutez ensuite le sucre et faites-le fondre en remuant toujours de la même façon. Intégrez alors doucement du lait entier, disons un petit demi-litre pour les proportions ci-dessus, mais je n’ai jamais mesuré : c'est l'expérience qui parle, ça dépend aussi de la grosseur des oeufs, ce n'est pas de la pâtisserie réglementée. Terminez avec une giclée de bon rhum brun.
Trop dilué, on obtient un truc lourd, qui fait la bouillie au centre. On croit corriger en ajoutant un œuf la fois suivante, et on obtient au final un de ces flans de pâtisserie généralement infâmes. Pas assez de lait, et il en résulte un farz trop dur et sec. Laissez reposer la pâte au moins trente minutes.
Chauffez le four à 200°, choisissez une case en terre, d’une dimension adaptée pour que la hauteur de pâte crue n’y dépasse pas 1 à 1,5 cm. Ne versez pas néanmoins la pâte tout de suite, mais mettez-y le beurre à fondre au four. Une fois celui-ci bien chaud, inclinez dans tous les sens le plat pour graisser les bords. Ajoutez la pâte, répartissez le beurre en surface, puis enfournez.
Lorsque la pâte commence à gonfler, réduisez à 180°, et laissez cuire le temps que ça cuise (environ). Disons une bonne demi-heure selon que vous l'aimez blond ou brun, et servez immédiatement. Le farz est alors bien doré, croustillant et très léger : rien à voir avec les emplâtres trop souvent servis.
On peut l’aromatiser d’extrait de vanille ou de fleur d’oranger, ça se faisait dans certaines familles (le genre nouvelle cuisine, si vous voyez ?), mais chez nous on le préférait nature. On y mettait des fruits secs parfois, comme des raisins ou des pruneaux. Ou alors des tranches de pommes. Evidemment, lestée de fruits, la pâte va un peu moins lever. Ces éléments sont à ajouter après la pâte dans le plat de cuisson, ce qui permet de bien les répartir.
Ce que je recommande, c’est de servir quelque chose à côté. Notre régal, c’était la confiture aux mûres maison, mais je trouve celà trop sucré désormais ; j’aime autant un peu de fromage blanc (pas du 0%, ce serait une belle hypocrisie avec ce farz), ou une compote comme ici.
Alors oui, elle est rose ma compote, ce n’est pas parce qu’on fait une recette simple et rustique, qu’on ne peut y glisser une touche de délicatesse girly.
Parce qu’en plus, vous voudriez la recette de la meilleure compote de pomme au monde ?
Prenez deux kilos de pommes plutôt du genre reinette, ou de celles que vous aimez bien pour la compote. Epluchez et coupez en tranches. Mettez-les dans une casserole avec un demi verre d’eau et une boule à épices contenant du mélange "samba". Ce mélange que j’ai découvert chez Izrael (rue François Miron à Paris), mais qu’on trouve ailleurs assez facilement, contient principalement de la mangue, de l'orange, des fleurs de bleuet et d’hibiscus, ce sont ces dernières qui aportent cette teinte rosée.
Laissez compoter à feu plutôt doux. Quand c’est à votre convenance, ôtez la boule à épices. Sucrez en fonction de votre goût en mélangeant bien pour dissoudre le sucre. Mettez alors une noix de beurre salé : en plus de la couleur et de la saveur, vous obtiendrez ainsi une belle brillance. J’ajoute aussi une pincée sel. A servir à température ambiante avec le farz brûlant.
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