Soupe de crabes verts
Je viens de subir en trois jours une série de pannes qui m'ont décidé à me réfugier sur l'estran à l'abri des druides malfaisants qui ne fréquentent que les forêts sombres. Ma carte de téléphone qui grille, mon réveil et ma montre qui tombent en panne le même jour presqu'à la même heure, et pour couronner, panne du serveur de mail de mon FAI, qui pourtant était sans faute depuis près de dix ans que j'y suis.
Tout cela pour vous dire que si vous m'avez écrit en privé samedi ou dimanche, il y a de bonnes chances pour que je n'aie rien reçu; de même, ce que j'ai envoyé avant de constater le drame, n'est peut-être pas arrivé. Tant que j'y étais, je vous ai ramassé des crabes verts.
On doit les manger
Toute personne qui a un jour mis les pieds sur une plage les connait. Après le bigorneau jaune, le crabe vert est l’animal marin que les enfants découvrent en premier avec fascination.
Il en a que ça ne fait pas rire, à commencer par les éleveurs de coquillages, huîtres ou palourdes, dont il est un lourd prédateur (il peut manger une cinquantaine de jeunes huîtres par jour, c'est un gourmet). Il y en même que cela angoisse, comme les habitants des côtes nord-américaines, en particulier du Canada, où le crabe vert a entamé une colonisation jugée "agressive" par les autorités maritimes.
Et la faute à qui ? A tous ceux qui n’en mangent pas, c’est bien beau de foncer sur le homard, le cabillaud et les saint jacques, mais quand il y en aura plus, hein? A part les goélands, les méridionaux qui font flotter une ou deux favouilles dans la bouillabaisse ou en font de la soupe, et quelques industriels qui le trouvent bien utile pour parfumer quelques recettes "à la bretonne", personne n'a l'idée de les manger. On le retrouve aussi dans certains fumets, comme le fumet de crustacé d'une grande marque beaucoup utilisée par les professionnels.
Le jour où il n’y aura plus que ça et des bulots à manger dans la mer, vous serez bien contents d’avoir la recette ci-dessous, qui est donc originaire des bords français de la Méditerranée. Il faut néanmoins se les pêcher soi-même, car il est à ma connaissance pratiquement impossible d’en trouver en poissonnerie.
Capture des crabes verts
Soyons honnêtes, on ne pêche les crabes verts que si la marée n’est pas assez ample pour s'en prendre aux étrilles, ou qu’on ne sait pas où elles se cachent. La méthode est la même pour ces deux crabes, il faut retourner les rochers pour surprendre ceux qui attendent à l’abri le retour de la marée. On les attrape aussi dans des casiers, ou par la méthode dite de la fouille dans les failles, mais il faut alors bien connaître les lieux…
Un adage affirme que "plus le rocher est gros, et plus il abrite de gros crabes". Ce qui peut se traduire par : "pour faire une bonne pêche, il faut se ruiner le dos et se retourner des montagnes sur les pieds ". Soyez attentifs, on les entend se planquer sous les rochers lorsqu'on approche, ce qui permet de ne retourner que des bien productifs!
Faites au mieux, mais surtout lorsque vous soulevez un rocher, remettez le *exactement* et *doucement* dans la position qu’il occupait avant que vous ne commenciez vos exactions. Vous sauverez la vie à une multitude de bestioles, essentielles à l’équilibre du milieu marin, dont par ailleurs beaucoup deviendront bonnes à manger.
Le gros caillou étant soulevé, les crabes verts grouillent : certains partent se cacher à toute vitesse, tandis que d'autres restent à vous menacer, pinces brandies et claquantes, crachant des bulles, avec cette expression avenante qui l’a fait surnommer "crabe enragé" en certaines régions. Ce qui est exagéré : celle qui est vraiment enragée, c’est l’étrille, le crabe vert n’est que vindicatif.
C’est alors que commence le corps à corps, on pare au plus pressé en attrapant rapidement les fuyards, en prenant garde aux bagarreurs. Pour ces teigneux, la technique est simple, de l’index on lui rabat le caquet, tandis qu’avec le pouce et l’annulaire de la même main, on le saisit par l’arrière de la carapace, hors de portée des pinces. Vous les rangez dans un panier, sous une bonne couche de goémon, afin qu’ils se tiennent tranquilles. Sinon, ils escaladent. Vous avez fait le plus facile.
Ne ramassez pas les juvéniles, arrêtez-vous à ce que vous consommerez (encore qu'ils se conservent assez bien, j'en ai connu un qui est resté vivant et toujours dynamique après quatre jours dans le coffre de la voiture). N'en mangez pas non plus des tonnes, j'ai remarqué sur des personnes sensibles que le crabe vert est assez facilement allergène.
Soupe de crabes verts
Cette soupe peut être réalisée avec des étrilles.
Les ingrédients
- deux à trois kilos de crabes verts,
- concentré de tomate,
- trois poireaux,
- deux oignons
- trois gousses d'ail,
- laurier,
- fenouil en branche,
- safran,
- huile d'olive,
- une ou deux lanières d'algue.
Une partie du crabe peut éventuellement être remplacée par du poisson, la vieille en particulier fait un joli mélange, la saveur d'ensemble sera plus douce mais gardera du caractère.
Préparation des crabes
Commence alors une vraie barbarie, dont vous pouvez vous dispenser, mais qui à mon avis est indispensable pour donner sa pleine saveur à la soupe, à savoir les couper en deux vivants.
Munissez vous de votre panier de crabes, d'une bassine d'eau claire, d'une planche de bois et d'un couteau assez lourd. Attrapez un crabe (c'est là que ça devient sportif, comme les furtifs n'ont nulle part où aller se cacher, ils se rangent illico au côté des bagarreurs). Secouez-le un peu dans l'eau douce pour le débarrasser du sable qui s'est collé lors de la capture. Ce bref passage à l'eau douce les calme, il est alors facile de les couper en deux sur la planche. Appelez les enfants pour leur montrer comme c'est rigolo, deux moitiés de crabe qui se promènent encore… Procédez de même pour la quarantaine restante.
La recette
Faire revenir dans de l'huile d'olive les trois poireaux coupés en rondelles, l'oignon en rouelles, et l'ail grossièrement haché. Ajouter également les algues, quelques tiges de fenouil et deux ou trois feuilles de laurier.
Quand tout cela a pris un peu de couleur, ajouter les crabes et une petite boite de concentré de tomate. Faire cuire à petit feu pendant une demi-heure en écrasant les crabes à l'aide d'une cuiller en bois. C'est là où le fait de les avoir auparavant coupés en deux prend tout son sens. Ajouter alors quatre litres d'eau, et cuire à petit bouillon pendant vingt minutes.
Laisser refroidir un peu avant de passer la soupe. Durant cette dernière opération, bien presser les débris de crabe pour en extraire les sucs (dans un moulin à légumes, c'est l'idéal). Mettre dans une casserole, rectifier l'assaisonnement et ajouter du safran avant de servir
Il y a plusieurs façons de manger cette soupe, la première est à la simili-provençale, avec la rouille, le fromage rapé, l'ail et les croûtons, mais ce n'est pas l'idéal je trouve pour cette saveur déjà très prononcée du crabe vert.
La seconde, qui est la version que nous pratiquons le plus souvent à la maison, est d'y cuire quelques pâtes, plutôt épaisses que fines, comme dans la photo ci-dessous, des pâtes au safran, parfaitement bien adaptées.
La troisième façon, c'est d'y pocher des poissons, voire quelques coquillages et crustacés, pour en faire ce qu'il est désormais convenu de nommer "marmite du pêcheur". Le rouget grondin, le congre, le lieu jaune sont des candidats de choix.
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