Barbue au gingembre et au vinaigre d'hydromel
Les gens ne respectent plus rien
C’est la réflexion que je me suis faite en cherchant quelques illustrations pertinentes pour égayer ce billet sur la barbue. Comme ce sont surtout des filles qui rédigent et lisent les blogs de cuisine, je me pourléchais à l'idée de louvoyer entre la poupée Barbie et le poisson barbue. J'ai vite été douché par mes trouvailles, car après une Barbie "attentat suicide" qui m'a salement déprimé, je suis tombé là dessus :
Je n'ai rien à ajouter. C’est très déstabilisant de rencontrer aussi bête que soi.
Il me reste à m'inspirer de Confucius, à cantonner mon rire, bref à me limiter à quelques austères observations morphologiques. Ceux d’entre-vous qui ne pensent qu’à manger sans s’instruire peuvent passer directement au plat du jour.
Platitude de la barbue
La barbue est un poisson plat, du moins le connaissons-nous ainsi, facile à glisser sous une porte ou dans une enveloppe. Toutefois, on a découvert qu'à l'origine, ce poisson n'était pas plat, mais pointu vers le haut. C'était le seul poisson pyramidal, tous les autres habitants de l'océan s'en gaussaient. Il aurait alors décidé de se faire opérer du pyramidal. Personne ne m'obligera à écrire que c'est une réussite, et que les raisons de s'esclaffer ont disparu.
Une autre explication à cette forme étonnante, est que les barbues servaient de poisson-pilote aux baleines, sous le ventre desquelles elles s'accrochaient durant les longs trajets. Souvent distraits, les mastodontes se posaient sur leurs guides qui s'en trouvèrent très rapidement aplatis. Je suis tenté de partager cette thèse, car la barbue vivait alors en bancs, ce qui naturellement incitait les baleines à s'y reposer.
Une approche plus darwiniste s’appuie sur le comportement de la barbue qui chasse la crevette à marée basse pour s'en repaître. Ainsi, à force de s'approcher en rampant du rivage, alors que le niveau de la mer est au plus bas, elle fut progressivement amenée à s'aplatir, et on la comprend.
Enfin, quelle qu’en soit l’origine, cette forme a donné à l'homme l'idée d'utiliser la barbue pour diverses activités. On sait ainsi que les esquimaux l'utilisent congelée pour jouer au ping-pong. Les ménagères japonaises ont dressé des barbues pour effectuer le travail du battoir à linge. Une fois l'outil fatigué, il est alors facile de le recycler en le mangeant tout cru. Quant aux poissonniers, ils sont ravis de ce poisson facile à empiler sur l'étal.
Le plus désopilant de l’histoire, c’est que la barbue, comme tous ses cousins plats, ne naît pas comme çà : Elle est d'abord parfaitement symétrique, puis à un moment de son développement (on va dire à la puberté si çà n’ennuie personne) son œil droit se déplace pour venir s'installer du même côté que le gauche. Elle se couche alors, tandis que ses nageoires ventrales et dorsales viennent occuper toute la longueur du corps. Cette métamorphose accomplie, la barbue ne peut plus se regarder le nombril, elle ne verra donc pas son ventre devenir blanc à force de n'être jamais exposé au soleil.
Son dos par contre est une merveille d'adaptation chromatique à son milieu. Véritable un caméléon marin, la barbue comme nombre de poissons plats, adapte sa couleur à celle des fonds sur lesquels elle déambule, les deux images ci-dessus l'illustrent parfaitement. A ce point que personne ne connaît la véritable couleur de ce poisson; c'est pourtant enfantin, il suffit en effet de placer la barbue sur une autre barbue pour qu'elle prenne la couleur d'une barbue.
Barbue au gingembre et au vinaigre d’hydromel
Les ingrédients
- une barbue de 1,2 à 1,5 kg (ou plus grosse)
- un rhizome de gingembre frais
- trois ou quatre échalotes
- vinaigre d’hydromel
- poivre noir
- beurre
Non, ce n’est pas infaisable pour celui qui n’a pas de vinaigre d’hydromel, il peut prendre du Melfort ou un équivalent, du vinaigre de cidre coupé d’un peu de jus de pomme, du vinaigre de riz ambré coupé de mirin, et tout ce qui lui plaira dans cet esprit discrètement aigre-doux.
Il faut utiliser de préférence du gingembre frais, c’est à dire dont le rhizome est en végétation, plus doux et juteux que celui au repos, sec et très piquant : diminuez la dose si vous ne pouvez trouver que ce dernier (et faites autre chose si vous n’avez que la poudre de gingembre).
Choisir et parer une barbue
Si un jour vous avez un turbot au lieu d'une barbue, sachez que c'est exactement la même chose en termes d'achat et de préparation. Le poisson doit être bien humide, encore couvert d'une pellicule assez gluante, comme du limon. Ses nageoires doivent être bien souples, et surtout pas collées en vrac et sèches. L'oeil, contrairement à beaucoup de poissons n'est pas un critère très déterminant, mais les branchies doivent être d'un très beau rose vif, tirant nettement sur le rouge.
Pour l'habiller, vous coupez les nageoires sur tout le contour, vous égalisez la queue, vous ôtez les branchies et la grosse arête courbe qui les protège. Contrairement au turbot, la barbue a quelques petites écailles (et une vessie natatoire, mais ce n'est pas le sujet), elles s'enlèvent facilement en la frottant sous l'eau courante.
J'avoue préférer la barbue au turbot, elle a une saveur bien particulière légèrement poivrée et plus iodée; elle a aussi le bon goût d'être moins chère... Vous pouvez néanmoins utiliser un turbot pour cette recette, mais évitez la sole, le gingembre masque la saveur fine de sa chair, ou la plie (carrelet) qui s'accommode mal du vinaigre.
La recette
Préchauffez le four à 200°. Épluchez et hachez grossièrement le gingembre et les échalotes, et mélangez les. Répartissez le tiers de ce mélange au fond d’un plat à four, et posez la barbue par dessus. Mettez dans son ventre une pincée de ce mélange. Arrosez le poisson d’une tasse à café de vinaigre d’hydromel. Couvrez du reste du mélange échalote et gingembre, ajoutez quelques fragments de beurre, salez et poivrez.
Mettez le plat au four pour une vingtaine de minutes environ pour un poisson de 1,2kg, un peu plus en fonction du poids. Arrosez une fois ou deux en cours de cuisson.
Lorsque qu'il est cuit, enlevez la peau grise en faisant tomber la garniture aromatique dans le plat de cuisson et placez le poisson dans le plat de service. Déglacez très rapidement d'une tasse d'eau chaude, passez le jus pour le débarrasser des fragments d'échalote et de gingembre, puis versez le sur le poisson. Accompagnez d'un riz jasmin thaï, en prenant soin d'ajouter quelques gouttes de miel dans votre rice-cooker.
Nous avons bu (comme souvent) le Saumur blanc de Thierry et Lydie Chancelle, absolument parfait...
Avec tout çà, je m'aperçois que je vous ai pas montré pourquoi ce magnifique poisson est affligé du nom de barbue. Remarquez les bouts de nageoire isolés de chaque côté de sa tête, c'est à eux qu'il le doit.