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Cuisine de la mer
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19 décembre 2006

Les huîtres

Les plus éveillés d’entre vous l’ont observé, c’est bientôt la fin de l’année, avec son cortège de repas et de réveillons. C’est à cette période de l’année qu’il se vend le plus d’huîtres,  bref le moment où jamais d’en causer.

Histoire d'huîtres

L’Antiquité

Ce qu'il y a de commode avec les civilisations ancestrales, c'est qu'on peut tout leur mettre sur le dos. Prenez les chinois par exemple, on leur attribue le papier, l'imprimerie, la boussole, la poudre à canon, l'engrenage horloger et la tyrolienne (le premier type à mettre le doigt dans l'engrenage fut en effet un chinois). Il en irait de même pour l'ostréiculture, ils furent dit-on les premiers à fendre des bambous, puis à les immerger pour capter le naissain, lequel était ensuite élevé.

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On a mangé des huîtres en tout temps, les grecs en étaient friands. Une fois les coquilles vides, au lieu d'en paver les poulaillers de poules pondeuses comme cela doit se pratiquer, ils s'en servaient comme bulletins de vote. Ces votes avaient parfois pour effet de bannir les citoyens, lesquels se trouvaient ainsi frappés d'ostracisme. En grec, la coquille est un ostrakon, pauvre bête quand même. Et encore plus que vous l’imaginez, les huîtres étaient cuisinées dans du miel...

Les romains s'en régalaient aussi, il suffit de lire Sénèque et Apicius (ce que vous n'en doutez pas, je pratique quotidiennement) pour savoir qu'ils faisaient grand cas de la provenance de ces précieux coquillages. Ils n'hésitaient pas à les faire venir des côtes d'Atlantique ou de Manche et ils pratiquaient l'ostréiculture à petite échelle. Ils les mangeaient le plus souvent crues ou marinées au garum (un condiment proche du nuoc-mam).

La période classique

Du Moyen âge au XIXème S., la consommation des huîtres provient exclusivement de prélèvements sur les gisements sauvages, récoltes d'autant plus abondantes que cet aliment était à la mode, pour ses propriétés aphrodisiaques en particulier. On organisait même des repas d'huîtres, dont on ne sait pas comment ils se terminaient, mais sur l'une des rares représentations que nous en ayons, les femmes ne sont pas associées à la phase de dégustation. On y buvait du champagne.

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Le Déjeuner d'huîtres, Jean-François de Troy (1735)

Dès la fin du XVIIIème S., on s'inquiéta du pillage des ressources, on prit des mesures (peu suivies) d'ordre local pour sauvegarder les gisements naturels.

On ne reconnaît généralement à Napoléon III qu'une seule qualité, celle de s'être intéressé aux huîtres. Il a encouragé l'ostréiculture (l'une de ses cousines, descendante du premier Napoléon a même lancé une exploitation), et pour faire face à la pénurie due à la pêche, il a tenté de réglementer celle-ci et autorisé l'importation d'huîtres étrangères à des fins d'élevage en parc.

Malgré cela, la surexploitation des bancs naturels s'est poursuivie avec une apogée à la fin du XIXème S., l'illustration la plus connue étant cette flottille de bisquines bretonnes ou normandes qui écumaient les parages du Mont-Saint Michel à plus d'une centaine de bâtiments pouvant traîner simultanément jusqu'à quatre dragues. Autant vous dire que ce fut la fin de l'huître sauvage, car il se passa à peu près la même chose sur tous les gisements.

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Faisons une petite synthèse, avec quelques questions importantes :

- L'huître est-elle vraiment aphrodisiaque ?
On l'a prétendu de l'huître et d'autres coquillages en raison de leur forme qui évoque un sexe féminin, après tout, chacun voit midi à sa porte, hein? Techniquement, il se peut que leur forte teneur en certains éléments, en particulier le zinc, les rende stimulantes.

- Peut-on boire du champagne avec les huîtres?
Un blanc de blanc bien sec est même recommandé sur les huîtres plates; c'est plus délicat pour les huîtres creuses, auxquelles un champagne rosé bien vineux convient mieux à mon avis.

- Pourquoi ne pas manger d'huîtres durant les mois sans "R"?
Lorsque la question est posée, on obtient onze fois sur dix la même réponse : "C'est parce que cela correspondait aux mois les plus chauds ce qui rendait le transport impossible". Allez raconter çà à Sénèque ou Apicius, vous les ferez bien marrer. En fait, c'est Napoléon III qui l'a décrété, non pas pour des raisons de transport, mais de sauvegarde de l'espèce, car on avait bien remarqué que c'était durant ces mois chauds que se reproduisaient les huîtres.

- Les huîtres portugaises le sont-elles vraiment ?
Suite aux encouragements de Napoléon III, on importa des huîtres du Portugal. En 1868, un navire portant le fier nom de « Le Morlaisien », ayant en soute une cargaison d’huîtres qu’il convoyait depuis Setubal vers l’Angleterre (comme quoi le trafic d’huîtres voyageuses ne date pas d’hier), fut obligé par le temps à faire relâche à quelques encablures de Bordeaux. Comme les huîtres commençaient à pourrir, elles furent passées par dessus bord. Beaucoup étaient encore vivantes, elles colonisèrent les parages avec entrain.

Les temps modernes

Les temps modernes, on va les situer depuis le début du XXème S., avec le développement de l’ostréiculture. On élevait essentiellement des creuses portugaises dans le sud-ouest, des plates au nord-ouest et en Manche. Les ostréiculteurs bretons s’opposèrent toujours farouchement l'introduction des portugaises dans leurs eaux, les jugeant de piètre qualité, et craignant une contamination génétique. Sale gueule en plus… mais depuis, on a montré qu’elles ne vivent pas aux mêmes endroits, et que leur croisement est plus qu’illusoire.

Je vais passer les péripéties, en particulier la grave crise du début des années 20, mais il se trouve que la portugaise a quasiment disparu de 1970 à 1972 suite à une endémie,  et que l’huître plate a failli également connaître le même sort pratiquement à la même période.

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Huître plate

Les ostréiculteurs ont alors décidé d’acclimater une huître dite japonaise, la crassostrea gigas, huître creuse qui a surtout été importée d’Amérique du nord, et qui représente aujourd’hui l’écrasante majorité des huîtres élevées en France, à côté d’une petite production ostrea edulis, huîtres plates maintenues par quelques passionnés, qui ont pu reconstituer leur souche d'élevage avec l’aide parfois de producteurs étrangers, comme par exemple les irlandais de Galway.

Ce qui nous amène à une nouvelle série de questions :

- Les huîtres, qu’on pensait plutôt sédentaires, vont elles longtemps continuer à se promener comme çà ?
Le captage du naissain se fait très majoritairement en Aquitaine (Arcachon), car il est plus productif en eaux tempérées, mais avec le réchauffement climatique, on commence à le pratiquer avec grand succès en Rade de Brest, et plus au nord. Il n’y a aucun inconvénient à faire grandir une petite huître dans un terroir qui va lui donner son caractère. Il est par contre plus douteux à quelques semaines de la pleine saison, de voir des camions aux immatriculations très variées, effectuer une noria vers des lieux de production réputés, où les huîtres sont trempées peu de temps pour repartir avec l’étiquette du cru, mais bien entendu sans la typicité requise.

MrOyster

- Pourquoi les plates sont-elles bien plus chères que les creuses ?
Parce que d’une part, il s’en produit peu et que d’autre part, elles mettent environ deux ans de plus que les creuses pour arriver à leur taille de commercialisation. Je rajouterais bien que la creuse est ovipare et la plate vivipare, mais je ne suis pas certain que cela influe sur le prix !

- Et l’huître triploïde, c’est une nouvelle espèce ?
Non, c’est une huître qui est stérilisée, soit par traitement chimique, soit par croisement d'huîtres naturelles diploïdes avec une espèce tétraploïde. Cela donne deux résultats intéressants, le premier étant que l’huître ne se reproduisant plus, elle n’est pas laiteuse en été, juste au moment où il y a le plus de gens au bord de mer, et la seconde, c’est que n’occupant aucune énergie à la reproduction, elle grossit plus vite. Par ailleurs, ne dites pas « triploïde » mais « des quatre-saisons », c’est l’appellation commerciale retenue.

Comme mon voisin Yvon Madec (Prat-ar-Coum), je suis réservé vis à vis cette pratique, pas seulement à cause du caractère douteux de cette modification en laboratoire (c’est un peu le principe de la clémentine ou de la banane sans pépins) et des risques de stérilisation par contamination des huîtres naturelles; mais aussi et surtout, je souhaite que l’huître reste un produit naturel, avec ses caractères différents au gré des saisons; si çà devient juste un produit standard qui grossit vite, elle va perdre beaucoup de son charme. Pour autant, je dois reconnaître avoir goûté de très bonnes triploïdes en plein été, je ne veux pas imposer mes goûts et mes choix, tant que ceux-ci ne mettent pas les espèces sauvages en péril.

- C’est quoi une huître laiteuse ?
C’est une huître en été, qui féconde et élève ses œufs dans sa coquille en attendant de pouvoir les pondre (ou de lâcher le naissain pour les plates). Ces oeufs sont dans une substance nutritive blanche, riche en glucose et de la consistance d’une crème fleurette. Donc, aucune chance de faire du beurre d’huître! Il en résulte une saveur douce et une consistance particulière que tout le monde n’apprécie pas, moi si.

Passons enfin à table

- Comment savoir ce qu'on achète ?
Les plates ne sont qu'une seule et même huître avec une saveur différente selon le lieu de pousse, on les trouve parfois sous le nom de "belons"; les plus grosses sont les triple zéro, les plus petites portent le dossard n° six.

Les spéciales sont des creuses charnues, les fines sont des creuses maigres. Cette année, les spéciales sont très charnues, un peu trop même, cela en raison des températures très clémentes de l’automne. Le reste n'est qu'appellation régionale, avec parfois des spécificités merveilleuses, comme la splendide "Pousse de Claire".

Ci-dessous, voici un échantillon de la production de Prat-ar-Coum, une spéciale n°2, une fine n°3 (c'est pas possible d'être si maigre, mais ma femme les préfère comme çà), une boudeuse, huître spéciale de petit calibre, ayant eu parfois un problème de croissance (je les aime beaucoup, c'est un peu comme les "papillons" d'Arcachon), et une plate n°3.

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- Combien de temps peut-on les conserver avant de les manger?
Deux ou trois jours sans problème, dans un endroit frais, de 6 à 8 degrés idéalement, pas de gel surtout! Par ailleurs, les produits de la conchyliculture font l'objet du plus sévère et tatillon contrôle sanitaire, on vérifie tout, l'eau, les coquillages, le transport etc., si tout ce que nous mangeons pouvait présenter autant de sécurité!

- Quand et comment les ouvrir ?
Deux ou trois heures avant de les manger au maximum, et pour les ouvrir, j’en ai déjà causé ici dès le premier billet de ce blog, mais la leçon en images du site de Prat-ar-Coum est parfaite. J'aime bien remettre la coquille du dessus en place après ouverture, elles se conservent mieux, on peut les empiler sur le plat, et çà donne un petit côté "surprise" à la dégustation.

Il faut selon la plupart des amateurs (et c'est ce que je pratique), vider leur première eau à la saveur très brute et leur laisser quelques minutes pour exuder une nouvelle eau bien plus fine. Presque tout le monde fait çà maintenant, mais il y a au moins deux contradicteurs à prendre au sérieux : d'abord Sénèque qui nous a dit que l'huître doit être ouverte à table et immédiatement gobée, et Jean Proye, propriétaire de cette institution qu'est le restaurant l'Huîtrière à Lille, qui affirme qu'en vidant la première eau, on dénature l'huître en lui faisant perdre de son opulence salée. A vous de voir...

Ne les posez jamais sur de la glace, au dessous de huit degrés, les papilles ne détectent plus les saveurs. Un peu de goémon pour les caler, c'est idéal. Voici quatre douzaines des variétés ci-dessus, c'était Noël à la maison pour nous trois samedi soir...

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- Peut-on leur ajouter des condiments?
Je devrais l'écrire en lettres scintillantes, *c'est nature qu'on peut vraiment les goûter* et en apprécier toutes les nuances. Après, libre à vous d'y mettre du citron, du poivre, du piment, du vinaigre à l'échalote, du vinaigre épicé (j'aime par exemple beaucoup le vinaigre de banyuls épicé (Vermeil) de La Guinelle; sur la photo il s'agit de leur "Tchin Tchin", un assemblage de vinaigre de banyuls et de moût de grenache gris que je testais, délicieux mais un peu doux pour des huîtres). Dans le moulin à poivre c'est du cubebe, dont la saveur musquée et légèrement citronnée me plaît bien.

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- Un cérémonial?
Il y faut de toutes façons du pain et du beurre salé. Mieux vaut une bonne baguette qu'un mauvais pain de seigle, lesquels sont légion. Le pain beurré ne se mange pas avec l'huître, mais entre deux huîtres, de même que le vin.

L'huître doit être machée un minimum, d'une part pour la goûter parfaiment, d'autre part, parce que c'est le seul animal que nous-autres occidentaux mangeons vivant et intact (du moins quand l'écailler a bien fait son boulot). S'il arrive entier dans l'estomac, il aurait tendance à produire des toxines de défense qui ne faciliteraient pas sa digestion! Par ailleurs, si l'huître contient une perle, ce qui arrive parfois, ce serait dommage de l'avaler.

- Du vin?
Le meilleur pour toutes les huîtres, c'est selon moi la cuvée Amphibolite de Joseph Landron (muscadet), mais il n'y a pas de règle générale, les sauvignons de Loire (sancerre, ménetou) vont très bien s'ils sont sur une terre de caillottes, un petit-chablis, plus acide que ses voisins d'appelation est parfait, en particulier sur les plates.

Les plus grosses creuses méritent des blancs plus aromatiques, comme le picpoul ou certains alsaces. J'ai déjà cité le champagne, et  je n'oublierai pas l'entre-deux-mers, voire certains pessac-léognan blancs. On peut aussi boire du graves rouge, les bordelais le font fréquemment, mais ils mangent crépinettes et saucisses avec leurs huîtres. Les creuses de caractère mais pas trop iodées peuvent se complaire avec des pinots noirs un peu légers, comme en sancerrois ou ménetou encore, voire en champagne.

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