Tajine de mulet aux terfess
Encore un questionnaire, je vais finir par y prendre goût, mais je crains cette fois de ne pas être à la hauteur de celle qui me l’a passé, Charline des Délices du Kerala, l’un des blogs où j’ai grand plaisir à m'arrêter, même si je ne comprends que rarement le titre des recettes; je vous invite à lire ses propres réponses, ce ne sont pas celles de tout le monde!
Je pense aussi qu’il ne tombe pas mal, puisque c’est une recette de mulet qui va ponctuer mes réponses, et que je vous ai déjà tout raconté ou presque sur ce poisson.
"You are what you eat"
Yes, but pas seulement, et à choisir, je préfère être ce que je mange plutôt que ce qu’on ingurgite en fast-food. Au risque de me voir pousser écailles, carapaces, coquilles ou autres rostres et aiguillons venimeux, sans compter l'inconvénient d'avoir les pieds palmés pour enfiler des tongs.
Si vous étiez coincés sur une île pour le reste de votre vie, et que vous ne pouviez choisir qu’une seule cuisine (française, italienne…), laquelle adopteriez-vous ? Pourquoi ?
Je vais au préalable préciser le postulat : je n’accepte de naufrage ou d’exil qu’en mer. Si je me fais coincer sur une île entourée d'eau douce, je risque plus l’impasse anorexique que l’extase gastronomique.
Je partirais avec la cuisine japonaise. Pas seulement parce qu’elle est pleine de poissons et de fruits de mer, mais surtout parce que c’est une cuisine où tout a de l’importance et donne lieu à réflexion, voire à méditation, de l’affûtage des couteaux à la dégustation. La seule cuisine qui m’impressionne vraiment; tout seul avec elle seule, j’aurai enfin peut être l’audace de la regarder dans les yeux.
Quel est l’aliment ou le plat le plus inhabituel que vous ayez goûté ?
Il n’en manque pas un bout à la question là ? Parce qu’au regard de la suivante, je la trouve elliptique. Donc, le plus inhabituel que je n’ai pas aimé :
J'en parlais justement dans mon dernier billet, c'est l'holothurie, ou concombre de mer, dans une cantine chinoise. C'est effectivement vert concombre, mais en plus phosphorescent et collant. Un goût de produit de la mer, mais le seul que j'ai eu des difficultés à manger, j’ai même failli regretter le concombre de terre.
Quel est l’aliment ou le plat le plus inhabituel que vous ayez goûté et aimé ?
Les crevettes vivantes. Alors pas les grosses gambas certes, mais les bouquets qui passent dans mon haveneau, et que je déguste sur place. C'est toute la mer dans votre bouche, vous la tenez par la tête, vous oubliez ou non les coups de queue sur la langue, et vous croquez.
J'aime bien picorer ainsi des bribes de nature, la pousse tendre d'une ronce ou d'une criste marine, l'anneau de la coulemelle, la fleur de bourrache ou la primevère, ou plus classiquement, les baies et les coquillages gobés sur place. J’espère qu’il y aura de tout çà sur mon île…
Quels aliments évitez-vous de manger (que ce soit à cause d’allergies, d’un régime alimentaire précis ou juste parce que vous n’aimez pas) ?
Tous les produits écologiquement douteux, dans la mesure du possible, mais on est envahis! Les plats cuisinés du commerce, sauf ceux que je trouve meilleurs qu'à la maison! Sinon, je mange de tout sans pour autant tout apprécier, sauf le chou-fleur cuit et le jaquier, merci de noter de ne pas m’en servir la prochaine fois.
Est ce que vous cuisinez ?
Pas vraiment. Je me contente généralement de faire à manger à partir de bons produits que j'essaie surtout de ne pas gâcher. J'ai beaucoup plus de curiosité que de savoir-faire, et j'apprends doucement, je le dis vraiment sans fausse modestie. Une cuisine que je ne pratiquerai sans doute jamais, c'est celle qui laisse peu de place à la fantaisie, qui contraint à mesurer les ingrédients, bref, la pâtisserie; je n'aime pas trop le sucre, çà tombe bien, sauf dans les bonbons.
Et puis certains poussent trop le bouchon, j’ai eu entre les mains un bouquin de Michel Guérard, où il indiquait jusqu’à taille des casseroles à utiliser ! Maniaque, va…
Quel est le plat favori que vous préparez lorsque vous souhaitez impressionner ?
Je ne vois pas l'intérêt de vouloir impressionner, ce n'est pas Barnum ma cuisine! J'essaie de faire plaisir, en préparant à mes convives ce qu'ils aiment manger. Lorsque je reçois des personnes pour la première fois, je fais généralement du poisson, ma valeur sûre.
Par ailleurs pour les cas critiques, j’ai l’arme ultime : le meilleur farz du monde.
Lorsque vous allez au restaurant, quels plats préférez-vous choisir ?
Celui qui convient à mon humeur du moment. Je regarde en priorité le marché du jour, c’est souvent simple et frais.
En tous cas jamais de hors saison, on m’a proposé chez Roellinger des coquilles saint jacques de la Baie du Mont Saint Michel au mois de juin (le 13 juin 2003 au dîner). J’étais très contrarié de trouver çà chez un chef que j'admire, çà m’a gâché le saint-pierre qui a bien failli repartir aux Indes!
Avez-vous déjà retourné un plat ou un vin au restaurant ? si oui, pourquoi ?
Je vais régulièrement dans de bons restaurants, par plaisir et/ou pour mon boulot et du coup, je suis devenu sans complexe. Le vin bouchonné ou malade d'autre chose, sans état d'âme, non sans parfois quelques confrontations épiques avec certains sommeliers (les plus dangereux ceux-là!). Les plats de viandes et de poissons trop cuits, ceux servis pas assez chauds, retour à l'envoyeur…
Jamais d’esclandre, juste des refus polis. Il faut respecter le personnel de salle, si çà traîne ou si ce n’est pas bon, il n’y est pour rien, et même si le service est mal fait, c’est qu’il est mal organisé, c’est le taulier le responsable. En plus, on passe pour un gros con...
Combien de livres de cuisine possédez-vous?
On va dire une ou deux cinquantaines, cela fait partie d'un ensemble, nous avons énormément de livres en tous genres, à croire qu'ils se reproduisent entre-eux... Je suis loin néanmoins d’avoir fait cinquante recettes tirées de ces livres!
Quel est l’aliment dont vous ne pourriez vous passer ?
Les coquillages. (Aussi le piment, le jus raisin fermenté, et plein de choses en fait )
Beaucoup ont déjà répondu à ce questionnaire, mais sauf erreur, je ne l'ai pas encore vu ni chez Garance, ni chez Deborah, ni chez Snapulk, alors si elles n'ont pas ont mieux à faire...
Tajine de mulet aux terfess
Inspiration marocaine pour ce poisson, je vais pas recommencer le questionnaire mais avouer un penchant très ancien pour la cuisine du Maroc, et je suis heureux du nombre de blogs qui en parlent très bien, à commencer par celui de Requia, l’un de ceux que je lis depuis le plus longtemps, ou celui de Paprikas.
Ingrédients
Après avoir dit du mal du mulet dans mon billet sur la boutargue, quelques uns m'ont reproché de ne pas accorder à ce poisson suffisament d'intérêt, aussi j'ai tenté de me réconcilier. J’ai eu la chance de trouver chez l’un de mes poissonniers (il s’est un peu rattrapé celui-là), de très frais mulets noirs pêchés au large. Au large d'où, je n’en sais rien, c'est en Alantique nord-est… Pas cher non plus, à huit euros le kilo, j’en ai pris un de 1,8 kg pour six portions.
- un mulet
- une boîte de terfess
- un bouquet de coriandre
- deux brins d'arquebuse
- un demi bâton de cannelle des Comores
- deux gousses d'ail
- niora piquant ou paprika fort
- poivre noir
- un citron jaune frais
- un citron jaune confit
- amandes entières mondées
- safran en filaments
- poivre blanc
- huile d'olive
Les terfess sont des "truffes de sable", qu’on récolte principalement au Maroc. Ce sont des champignons souterrains, qui n’ont strictement rien à voir avec nos truffes melanosporum ou d’Alba, mais elles ont une saveur très fine, qui convient bien au poisson. Je les trouve en boîte dans les épiceries marocaines.
J'insiste sur la cannelle dite des Comores, car elle a une saveur autrement subtile que celle dite de Chine qui a tendance à un peu tout emporter sur son passage!
L'arquebuse est une plante aromatique (Artemisia abrotanum), qu'on trouve aussi parfois sous le nom d'aurone. Au Maroc, on s'en sert plutôt pour parfumer le thé, mais je la trouve très adaptée aux marinades de poisson. Vous pouvez éventuellement (et avec doigté, c'est beaucoup plus fort, voire envahissant) la remplacer par de la verveine citronnelle : l'un des noms de l'arquebuse est aussi "armoise citronnelle". Elle apporte également de l'amertume, prudence pour ceux qui ne raffolent pas de cette saveur!
- Merci à Senga50 de m'en avoir rappelé dans son commentaire le nom utilisé au Maroc : Le ou la "chiba".
- Toujours dans les commentaires, merci également à Minouchkah d'avoir précisé qu'on peut estomper l'amertume de cette plante en la passant dans l'eau chaude.
Recette
Videz, écaillez et tronçonnez le poisson. Une fois la photo prise, vous pouvez jeter la tête et la queue, et le mettre à mariner dans une chermula à ma façon.
Ciselez les trois quarts du bouquet de coriandre ainsi que les parties tendres de l'arquebuse. Ecrasez les gousses d'ail. Ajoutez ces ingrédient au jus d'un citron mélangé d'un peu d'huile d'olive, puis assaisonnez de niora piquant, de poivre et glissez-y le bâton de cannelle. Mettez le poisson à mariner dans ce mélange durant une heure.
Pendant ce temps, faites colorer les amandes à sec, et placez les filaments de safran à infuser dans un peu d'eau tiède, (ou de fumet de poisson si vous en avez sous la main). Coupez le citron confit en huit quartiers. Ouvrez la boîte de terfess et rincez-les.
Mettez le poisson avec sa marinade dans un tajine slaoui, ou si comme moi vous n'en avez pas, dans une cocotte en fonte. Ajoutez les amandes, les quartiers de citron confit, un peu de sel et le verre de pistils de safran. Sur cette photo, on pourrait croire que j'en ai mis beaucoup, mais ils ont gonflé lors de l'infusion, et j'ai utilisé un reste de safran d'Iran qu'on m'a ramené depuis assez longtemps, et qui a perdu de sa puissance.
Faites cuire doucement, environ 25 minutes. Au bout de ce délai, ajoutez les terfess pour 5 minutes, juste le temps de les réchauffer, elle ne doivent en effet pas cuire au delà, ni trop s'imprégner en profondeur des épices, au risque de masquer leur saveur subtile. Servez en parsemant du reste du bouquet de coriandre coupé en peluches.
Alors le bilan des opérations
Je ne suis toujours pas convaincu par le mulet, même s'il était loin d'être mauvais. Jolie chair blanche, un peu molle, comme celle d'un bar qui aurait été préparé de la même façon. Trop molle à mon avis, et manquant de caractère, heureusement que j'avais prévu les amandes pour donner du croquant, sinon avec les terfess, particulièrement tendres elles aussi, çà aurait été franchement moyen.
La base épicée du tajine m'a bien plu, un peu trop citronnée peut être, j'aime beaucoup, mais je crois qu'il est possible de se passer du citron confit. Je ne mélange presque jamais cannelle et cumin dans les tajines, sauf parfois avec l'agneau , c'est la raison pour laquelle vous n'avez pas vu ce dernier figurer dans la chermula, où il est pourtant traditionnel.
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