Salade de saumon fumé aux primevères
Lors de mon dernier séjour en Bretagne, la tempête ne s'est pas arrêtée suffisamment longtemps pour que je puisse trouver un pêcheur ramenant de sa pêche de la nuit, le poisson encore palpitant de mes rêves. J'ai encore une fois dû me rabattre sur du poisson fumé, du saumon en l'occurrence, un poisson d'élevage, et même celui le plus élevé au monde.
L'un des grands débouchés de ces élevages, c'est le plateau repas des compagnies aériennes ou autres transports internationaux de voyageurs et conférences, car c'est un poisson œcuménique. Enfin, n'employons pas de grands mots, c'est juste pour dire qu'aucune religion n'interdit le saumon. Maintenant que vous savez pourquoi neuf fois sur dix, c'est un affligeant morceau de buvard rose orangé qui vous est servi en avion, il est temps que je vous en dise un peu plus sur l'élevage de ce poisson.
L'élevage des saumons, les origines
C'est carrément dès la préhistoire que l'habitude fut prise d'élever le saumon pour le fumer. En effet, les hommes de cavernes ne connaissaient pas le tabac, et devaient se contenter de fumer du saumon dans leurs pipes en os d’ambulocetus.
C'est au nord de l'Écosse que s'est d'abord perpétuée cette tradition d'élever des poissons pour les fumer. Les fermes de saumons sont sous-marines. Les poissons sont parqués dans des étables grillagées, garnies d'une litière d'algues. On leur passe un anneau dans les naseaux pour les attacher devant leurs mangeoires garnies de farines et d’huiles de poissons sauvages, dont il faut, je le rappelle, plusieurs kilos (entre trois et cinq selon les sources, c’est comme pour les manifs) pour faire un kilo de saumon, donc n’abusez pas de la consommation de ce dernier !
Chaque soir, un sympathique highlander, vêtu de palmes et d'un kilt en caoutchouc, vient traire les saumons. Les ignorants pensent que c'est pour avoir du lait. Pas du tout, il s'agit de prélever les œufs, vendus fort chers à cause du coût de la main-d'œuvre, contrainte de remonter fréquemment respirer.
A la période de reproduction, les bergers écossais, montés sur pilotis comme leurs homologues basques le sont sur des échasses, partent en transhumance avec de grands troupeaux de saumons, vers les frayères d'eau douce. C'est d'ailleurs en raisons de cette position haut placée que ces bergers sont nommés highlanders. Ils remontent les rivières bordées de distilleries, et c’est très joyeux.
Quel saumon manger?
Le saumon sauvage Atlantique est presque en voie de disparition, en raison de l’impossibilité dans laquelle il est de remonter les rivières pour frayer, tellement les constructions humaines lui mettent d’obstacles. Quelques efforts ont été faits, mais ils n’ont pas été suffisants, aujourd’hui, environ 98% du saumon Atlantique (salmo salar) consommé provient de l’aquaculture. Le résultat des mesures de protection du saumon du Pacifique a été nettement meilleur, puisque 90% de la consommation provient de la pêche (Source Ifremer), le ressource provenant bien souvent d'alevins élevés et rapidement rendus à la vie sauvage. Gastronomiquement pourtant, l'Atlantique a meilleure réputation.
Vous pourriez également également trouver du "saumon de fontaine" chez votre poissonnier. Il s'agit bien de saumons, des gars qui n'ont pas eu de chance, car ils ont dû s'adapter à l'eau douce, à l'époque des glaciations qui les ont empêchés de revenir vers la mer après reproduction (je vous informe au passage que me concernant, ce ne sont pas quelques glaçons solubles dans le pastis qui m'arrêteraient !), j'ai goûté une fois ce saumon: c'est vraiment un poisson d'eau douce, le pauvre...
A part le sauvage , ma préférence va à l’écossais « Label Rouge », qui a un vrai cahier des charges, et surtout, dont les cages d’élevage sont au maximum placées dans un courant marin ou d’aber (oui, on dit aussi aber en Ecosse, les amateurs d’Aberlour (bof) ou de bœuf Aberdeen-Angus le savent). Le premier avantage est écologique, les effluents et déchets divers de cette concentration animale restent moins stagner sur place, ne détruisant pas ainsi toute vie autour, comme c’est le cas des élevages en eaux moins vives. Ne rêvons pas pour autant, les fermes à saumon sont du point de vue des rejets polluants non traités, tout aussi contestables que l'élevage intensif, on parle souvent de "porcheries de la mer".
Le second avantage est d’ordre gastronomique, car les saumons sont ainsi contraints à nager régulièrement dans ce courant pour se maintenir en place, au lieu de stagner comme les poissons d’élevage lambda. Cela leur donne une chair bien structurée et moins grasse.
Le fait qu’il soit estampillé « bio » ne m’impressionne pas plus que ça, cela signifie seulement qu’il a mangé de la nourriture bio, mais ne donne aucune garantie autre sur les conditions de l’élevage, à commencer par les quantités d’anti-parasites (formol en majorité) qui lui sont administrés. Car dans les élevages de saumons pullulent souvent les poux de mer, lesquels s’en vont également contaminer les poissons sauvages des alentours. Si le sujet des poux de mer vous passionne, vous pouvez toujours aller vous documenter ici. Cela dit, il existe des méthodes de lutte biologique, comme de placer dans les enclos à saumon des poissons mangeurs de poux (chacun son truc, je ne critique pas), comme la girelle.
Ensuite, si c’est du saumon fumé, il faut qu’il soit bien fumé, de préférence en fumoir artisanal, au bois de hêtre vert. S’il vous l’achetez prétranché, il faut qu’il le soit à la main . Pour ma voisine Maya qui apprécie mes adresses finistériennes, je lui suggère de choisir celui de Saint Pabu, chez Laurent Pennerath, un artisan qui ne fait que le fumage, il fait partie des trois producteurs des abers que Coffe fait monter à la capitale pour son marché de Noël à Asnières. On le trouve dans les supermarchés de la région, car il n’a pas vraiment pas d’autre choix pour être distribué. J’en ai vu au Monoprix des Champs-Élysées, un jour où on était à cours de champagne au bureau.
Salade de saumon aux primevères
Je dois avouer que j'ai lâchement profité d'être seul à la maison pour commettre un forfait que ma fille réprouve. Depuis qu’elle est toute petite, elle adore les fleurs, les dessine et les cueille pour offrir à maman (et à moi aussi à une époque hélas révolue). Alors, que son ogre de père se permette d’en ravager des dizaines au prétexte ridicule et vulgaire de les manger, ça la met hors d’elle.
Samedi dernier donc, je suis allé au jardin en fin d’après midi, avec la vague idée de couper du bois, et coup de chance il s’est mis à pleuvoir ; du coup, j’ai seulement cueilli des primevères avant de m’abriter à la cuisine pour préparer ma petite popote de célibataire. Lorsque est passée la saison des primevères, guettez celle de la bourrache, c’est tout aussi joli avec des fleurs bleues, ces dernières ayant de plus une saveur à connotation marine qui s’accorde très bien.
Ingrédients
- un cœur de batavia
- un petit bouquet de primevères
- 200 grammes de saumon fumé tranché
- huile d’olive au citron
- vinaigre de banyuls
- pain « à graines »
- fleur de sel
- poivre blanc
Recette
Lavez la salade. On ne prend que le cœur, afin que la saveur des feuilles les plus vertes ne l’emporte pas sur celle très délcate des primevères. Enlevez les queues et les calices des fleurs. Détaillez les tranches de saumon en larges lanières.
Coupez de très fines tranches de pains à graines, et faites-les bien griller, saupoudrez-les d’un peu de fleur de sel. Préparez une vinaigrette avec l’huile au citron (pas une vague huile aromatisée, mais une de celles dont les citrons sont pressés avec les olives) et le vinaigre de banyuls, ou tout autre de votre choix qui n’apporte pas trop d’acidité, ajoutez du poivre blanc.
Fatiguez la salade dans cette vinaigrette, disposez la dans l’assiette et ajoutez-y le saumon et les fleurs. Disposez le pain grillé autour de l’assiette.
C'est là que je me suis rendu compte de l'effet pathétique que produit le blog sur moi. Auparavant, le repas de célibataire idéal, c'était quelque chose qu'on attrape de la pointe du couteau pour le déposer sur un bout de pain, saucisson, sardine à l'huile ou morceau de saumon fumé par exemple. Alors, je n'ai pas pu m'empêcher de rigoler à me retrouver devant mes fleurettes et ma salade verte, certes délicieuses, mais quand même très fleurettes et très salade !
Je me suis quand même ouvert une belle bouteille, pas me laisser abattre par le romantisme du plat au point de boire de la tisane, et comme souvent avec les poissons fumés, c'est vers un sauvignon que je me suis dirigé. L'un des sancerres blancs que je préfère, c'est celui de Gérard Boulay à Chavignol. Je n'avais pas vraiment fait attention à l'étiquette avant de la photographier, encore une perversité du blog, et c'est là que j'ai lu "Vignerons de père en fils depuis 1380". Ca force le respect. C'est du très bon sancerre de caillottes, pas du pipi de cormoran! (l'expression "pipi de chat" désignant un caractère déplorable de certains sauvignons de la région, si vous avez la malchance de tomber dessus un jour, ce qui arrive hélas encore souvent, vous comprendrez pourquoi).
*****
Rejoignez CdM sur Facebook (clic & like)
*****