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Cuisine de la mer
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30 mars 2007

Tourteau à l’armoricaine

Je le sais bien, je vais paraître une fois de plus chauvin en nommant "armoricaine" une recette qui à l’origine était "américaine".  Aucun complexe, car c’est une sauce fusionnelle par ses origines,  le premier à l’avoir mise au point, c’est Pierre Fraysse, un cuisinier sétois, qui après un séjour aux Etats-Unis, a ouvert à Paris un restaurant, le Peter’s. Un soir de coup de feu, il a apprêté des homards bretons dans une sauce avec des tomates, des échalotes, de l’ail, et un mouillement de vin blanc et cognac, entre autres, recette qu'il a baptisée curieusement "homard à l'américaine".

Elle a ensuite été nommée armoricaine par des cuisiniers bretons encore plus chauvins que moi, car elle se prête bien aux crustacés; toujours sans parti pris, reconnaissons que c’est en Bretagne qu’on trouve les meilleurs crustacés.

dormeur

Quelques considérations sur le tourteau

Le tourteau est un gros crabe paresseux. A ce point que l'un de ses noms communs est "crabe dormeur". Cette particularité facilite sa capture, car il suffit de s'approcher sans bruit, pour surprendre l'animal dans son sommeil. Ce caractère endormi rend en revanche le transport du tourteau plus onéreux, car il faut absolument prévoir des wagons couchette.

Lorsqu'il n'est pas pêché, l'existence du tourteau est très paisible. Tout jeune, il se dissimule habilement sous un petit galet qui va grandir avec lui. Le cousin terrestre de ce crabe, le tourteau fromager, est tout aussi nonchalant, à ce point que la nature a jugé inutile de le doter de pattes, tellement il fait peu de mouvements.

tourtfrom

Il a beaucoup de difficultés à trouver sa nourriture, et le plus souvent, c'est sa nourriture qui le trouve. En effet, le crabe chasse à l'affût des bêtes lentes, indolentes, et molles, telles que mollusques, vers, holothuries, petits crustacés et  poissons morts. Parfois toutefois, le tourteau doit faire des efforts, notamment pour se reproduire. Il se rend alors dans une officine spécialisée, monte sur une photocopieuse, et se reproduit en plusieurs exemplaires. Il évite ainsi l'agitation épuisante d'une cour assidue et de la gymnastique qui en résulte.

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(Crédit photo)

Rien de passionnant en somme, et que des bêtises en fait, le tourteau se déplace beaucoup, on a même mesuré qu’il pouvait accomplir des trajets de plusieurs dizaines de kilomètres par mois. Par ailleurs, la féconditéde ce crabe est élevée. Le mâle féconde la femelle quand elle est molle, c'est à dire en période de mue, et celle ci- dispose d'une spermatèque :  vérifiez par vous même, il est rare de trouver, quelque soit la période de l’année, des femelles ne portant pas d’œufs. Par ailleurs, en période d'incubation, les femelles ont tendance à rester au fond, et ne sont donc pas capturées au casier, mais seulement occasionnellement par les fileyeurs. C'est donc selon l'Ifremer, une ressource pour laquelle il n'y a pas lieu d'être inquiet : Voire, je trouve que les gros exemplaires, disons de plus de trois à quatre kilos, deviennent de plus en plus rares...

Mars n’est pas forcément la meilleure saison pour ce crabe, mais on peut en trouver de bien beaux toute l’année, le tout est de savoir les choisir, je vous redonne les critères : Le crabe doit donner une impression "lourde" lorsqu'on le soupèse. Sa coquille doit être sombre (surtout pas trop blanche en dessous, signe qu'il a mué depuis peu de temps, consacrant sa chair à cet exercice pénible) Par ailleurs, à l'arrière, un œil exercé vérifiera si la carapace est un peu décollé du coffre, signe manifeste d'embonpoint. Je préfère de loin les individus femelles, à la chair mieux répartie enre pattes et coffre et plus savoureuse; la femelle se reconnaît facilement au large réceptacle qui sert à maintenir les œufs jusqu'à leur complète maturité, tandis que le mâle a de grosses pinces et une carapace de forme plus aplatie.

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Revenons en cuisine...

A tourteau in a kitchen

Les plus blogomaniaques ont tout de suite perçu l’allusion à peine déguisée à l’un de mes blogs préférés A Turtle in a Kitchen, celui d'Alhya dont j’aime beaucoup la plume et la grande passion de Bretagne, comme son approche décomplexée à l'égard de la cuisine, même si à mon goût, on y trouve un peu trop de gâteaux et de légumes, mais c’est une fille... (Je viens de passer à l'instant sur son blog et je dois corriger mon propos : pendant que j’écrivais ce billet dans le TGV, j’ignorais qu’elle venait de publier une recette avec du poisson et des pommes de terre)

Peu à voir avec mon sujet du jour, mais j'en profite pour rappeler que l’un des principaux prédateurs de la jeune tortue marine, c’est le crabe,  et signaler cette page très amusante, d'où cette photo est extraite, et qui assemble dans un montage les proies et leurs prédateurs.

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Il n'en reste pas moins que l'un des principaux prédateurs du crabe, c'est moi (ce qui me transforme en un ardent protecteur des tortues marines, bien que les choses ne se posent pas exactement en ces termes sur les plages de Bretagne Nord). Par ailleurs, je ne suis le genre à faire dans la dentelle, on m'a déjà reproché ma façon dite cruelle de traiter ces animaux : ici, je fais picoler le tourteau avant de le livrer aux braises, je coupe en deux les crabes verts  pour qu'ils expriment pleinement leur saveur dans le soupe. Une étape supplémentaire dans l'horreur va être franchie ci-dessous, puisque pour cette recette, je décortique le crabe encore vivant.

Ce n'est pas par cruauté gratuite, j'aime et je respecte les animaux, mais je les mange aussi, et même vivants lorsque c'est comme cela qu'ils sont les meilleurs, par exemple les huîtres. Par ailleurs, pour ce que j'ai lu du cerveau (?) des crustacés et coquillages, je pense que la notion de souffrance est, pour le moins, très éloignée de la nôtre.

Tout le monde connaît la distinction entre les zoophages et les sarcophages, qui ont un comportement différent envers l'alimentation carnée. Les premiers n'ont aucun complexe à assumer qu'il mangent un animal, alors que les second veulent seulement admettre qu'il mangent de la chair. A ces derniers, rien ne doit rappeler l'être vivant, et surtout pas les abats, il est vrai que quelque soit le mammifère, tous ont sensiblement la même cervelle, la même langue, le même cœur, le même rein, etc... La viande pour eux est une portion de protéines, la plus édulcorée possible, masquée par sauces ou panures, non saignante généralement, quand ce n'est pas l'emballage lui-même qui est opaque, comme celui d'une célèbre marque.

(Je ne veux bien entendu pas ici parler de ceux qui ont fait le choix de ne plus manger de viande, c'est tout autre chose, un choix éthique que je respecte très sincèrement).

Ramené aux produits de la mer, les sarcophages vont privilégier les filets de poisson, bien blancs si possible, sans arêtes, voire le poisson pané ou encore mieux, le surimi... Le poisson entier est source de mystère et d'inquiétude, je vous encourage vivement à lire les commentaires laissés après mon article sur le grondin... c'est édifiant!

Et pourtant, à part certaines traditions campagnardes ou consommation de gibier, nous n'avons plus l'occasion d'accueillir dans nos cuisines des animaux entiers, comme les poissons, ou encore en vie, comme les crustacés et les coquillages. C'est pourtant je crois l'une des rares façon qui nous reste de faire comprendre à nos enfants le rapport immédiat entre le vivant que nous sommes et le vivant que nous détruisons... et pas seulement en le mangeant.

Bon, café du commerce mis à part, entrons dans l'action, j'ai bien pensé à Lilo de Cuisine Campagne, lorsque j'ai rédigé cet ce billet : elle m'a gentiment proposé  de participer à l'un de ses articles dans lequel la recette demandait qu'on décortique un crabe cuit, et à la courageuse Véro de Cuisine Métisse, qui un jour s'est mise en tête de couper en deux un homard vivant selon les règles.

Tourteau à l’armoricaine

Ingrédients pour quatre personnes

- deux tourteaux femelles de 1,2 kilo environ
- farine
- six échalotes
- un beau poireau
- algues (spaghettis de mer)
- concentré de tomate
- six tomates mûres
- kari gosse ou massalé pimenté pauvre en curcuma
- vin blanc sec et un peu fruité (muscadet sur lie, blanc de Provence...)
- trois gousses d'ail
- bâtonnets de fenouil
- laurier
- poivre noir
- persil plat
- huile d'olive
- beurre (salé est-il encore besoin de le préciser?)

Recette

Préparation des crabes

Les crabes sont découpés vivants, on commence par enlever le réceptacle à œufs.

Tourteau_5

Puis on enlève les pattes, on décolle le coffre en coupant au niveau des mandibules. Les branchies (remarquez qu'elles sont bien claires, elles sont noircies lorsqu'il s'agit d'un crabe ayant séjourné trop de temps en vivier, à l’eau souvent mal oxygéné).

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Ces branchies sont jetées, par contre on recueille soigneusement dans un bol le contenu de la carapace et celui qui se trouve entre les deux parties du coffres.

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Les grosses pinces sont pré-cassées d'un  coup de la mitre du couteau, inutile de s'armer plus lourdement, c'est bien plus fragile qu'une fois cuit. Evitez de briser en mille morceaux, mais ne vous inquiétez pas, la carapace restera collée à la chair, même après cuisson.

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Le coffre est coupé en quatre parties, et la carapace brisée en cinq ou six morceaux. Cette dernière apportera à la sauce la pigmentation rouge et la saveur bien particulière de la coquille de crabe cuite. Vous obtenez très exactement ceci :

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Mettez tous les morceaux de crabe (à l'exception de la carapace) dans un sac en plastique avec une belle cuiller à soupe de farine, et agitez pour fariner uniformément. Mettez le tout à sauter quelques minutes dans un peu d'huile et de beurre, puis flambez d'un peu de cognac et réservez. La farine n'est pas nécessaire mais importante, ainsi cuite, elle donnera de l'épaisseur à la sauce.

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Préparation de la sauce

Pelez les échalotes et émincez-là grossièrement. Procédez de même avec le poireau. Coupez les algues (une poignée environ) en tronçons, après les avoir réhydratées éventuellement. La variété d'algue à utiliser est souvent appelée "spaghetti de mer". Elle fait partie de la deuxième série des goémons noirs découverts par la marée descendante. On la trouve également dans les flaques rémanentes assez haut sur les grèves rocheuses. Elle est souvent vendue dans les épiceries "bio". Elle se présente sous la forme de bouquets de longs filaments bruns pouvant atteindre un mètre, du plus clair tirant parfois sur le jaune, au brun le plus soutenu, parfois un peu granuleuse, sa principale caractéristique étant la présence d'un petit disque placé un à deux centimètres au-dessus du point d'attache au rocher.

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(Crédit photo)

Mettez à rissoler dans une cocotte l'échalote, les morceaux de carapace, le poireau puis les algues. Salez légèrement.

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Pendant ce temps, enlevez les graines des tomates et coupez les en morceaux, inutile de les éplucher car la sauce sera foulée. Lorsque les ingrédients rissolés dans la cocotte ont un peu fondu, ajoutez une cuiller à soupe de concentré de tomate, puis laisser cuire une minute, en remuant. Ajoutez la tomate fraîche, et mouillez de trois verres de vin blanc et d'un demi verre de cognac, puis le laurier et les bâtonnets de fenouil, ainsi qu'un peu de poivre noir moulu.

Mettez une pincée de sucre en poudre (pour combattre l'acidité du vin et de la tomate) et un peu de kari gosse (inutile de me dire que vous n'en avez pas trouvé, il n'est vendu que confidentiellement dans certaines pharmacies bretonnes, j'en ai parlé dans ce billet, et ma copine Domie des Cahiers Gourmands plus complètement dans cet article). Alors, utilisez un massalé pauvre en curcuma (plus brun que jaune), et pimentez à votre guise, à la poudre d'Espelette, c'est le mieux. Laissez cuire doucement à couvert une bonne heure en remuant régulièrement. Au bout de ce délai, enlevez les morceaux de carapace et foulez la sauce au travers d'une passoire pas trop fine.

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Remettez cette sauce bien colorée par la carapace à cuire pour une quinzaine de minutes avec un verre vin blanc et un trait de cognac. Rectifiez éventuellement le sel, puis mettez les morceaux de crabe à finir de cuire cinq minutes environ dans la sauce. Tenez au chaud jusqu'au moment du service, vous ajouterez alors une petite poignée de persil haché. Présentez avec de la grenaille précuite à l'eau, puis très longuement rissolée au beurre, et au final agrémentée de fleur de sel et d'un peu de romarin.

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Pour les verres, j'ai décavé un bergerac blanc sec, un vin qui se marie bien avec le tourteau, particulièrement cuisiné ainsi. Ici, c'était un Château Le Tap 2002, passé en fut de chêne, mais de façon très soft, le goût de parquet vanillé n'était absolument pas présent. Un blanc de Provence (ou tout autre vin à l'aise avec la tomate) serait également parfait, comme par exemple celui du Château Minuty, mais il y en est bien d'autres...

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Je vais conclure par une note d'espoir à l'égard de tous ceux qui désespèrent à l'idée de charcuter un crabe vivant, cette recette est également fameuse réalisée avec des tronçons de lotte, qu'on fait sauter et flamber exactement de la même manière. Par contre, il leur manquera la coloration de la sauce et la saveur inimitable de la carapace... rien n'empêche d'y ajouter une cuiller de fumet de crustacé déshydraté.

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Commentaires
C
Savaient vous comment se constitue la recette quis'appelle "Croustillant de tourteau à l'américaine" ?! :/ J'en ai besoin pour un cour...
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E
J'ai achete hirt un tourteu vivant dand un vivier a...5 euros le kg. (dans le Casino ultra rmodernise d'Asnieres).<br /> <br /> Je voulais une recette en sauce pour changer un peu. Si ca ne marche pas trop je ferai comme les copains je me rabattrai sur la lotte.<br /> <br /> Merci encore
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L
écoutez, arrêter de dire n'importe quoi; commencez par réviser vos classiques; vous cumulez tous les clichés erronés, comme cette histoire d'"américaine" et armoricaine, et ensuite il n'est nul besoin de torturer vivants les crabes et homards, au contraire, ça gâte la chair en plus d'être une cruauté inutile. <br /> on les endort au congélateur avt de les plonger dans de l'eau bouillante. ça a de plus le mérite d'attendrir la chair .
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I
Merci pour la leçon de "préparation des crabes" j'adore ces crustacés,mais je ne me suis jamais risquée à les préparer(mais en même temps je ne suis plus sûre de me lancer)<br /> Ton plat m'a l'air délicieux!!!
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P
C'est toujours interressant de te rendre visite, j'apprends plein de choses et reparts toujours avec des succulents recettes.<br /> A bientôt
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