Terrine de patelles à la laitue de mer
J'écris "patelles" dans le titre, pour rester intelligible sur les concentreurs de flux, mais pour la suite de ce billet, j'utiliserai le mot breton "brennig" dont j' ai déjà donné l'origine ici, vous pouvez traduire par "bernique" si çà vous amuse.
Je vais aujourd'hui écrire plus court que d'habitude; j'en vois déjà qui retrouvent le sourire, ce n'est pas gentil, car c'est un homme blessé qui vous parle. Lors de ma pêche aux brennigs, je me suis coupé juste au bout de l'index droit (la mer était rouge de mon sang et des congres avides m'encerclaient). Très gênant pour jouer du clavier, j'ai perdu la moitié de mes capacités, ainsi réduit à ne plus taper que d'un doigt.
Plus loin avec les brennigs
Je commence par émettre une vive protestation à l'encontre de ceux qui fixent les dates des congés scolaires, ils sont d'un parti pris insupportable. Les dates des vacances de février et d'avril sont établies uniquement pour arranger les skieurs, et ne tiennent aucun compte des pêcheurs à pieds. Cela peut vous paraître anodin, mais à cause de ces gens là, j'ai raté en 2007 toutes les grandes marées des quatre premiers mois, les meilleures, c'est inadmissible! Je vous invite à m'exprimer votre soutien dans vos commentaires, premières pierres d'une pétition d'envergure nationale.
Voilà donc pourquoi, au lieu d'écrire un billet sur les ormeaux ou les étrilles, j'en suis réduit à revenir sur les brennigs, car c'est une bestiole dont on peut s'emparer même lors de coefficients de marée aussi misérables que le 42 du jour de cette pêche sanglante. L'inconvénient est alors qu'on ne ramène pas les meilleurs individus, ceux accessibles sont très souvent découverts par le jusant, ils sont nettement plus coriaces que ceux qui vivent tranquillement dans les goémons noirs à plus grande profondeur.
Pour autant, le brennig reste un animal intéressant dont je vous ai déjà tout révélé quant à son histoire et à sa capture, je le compare sans hésiter aux bretons, têtus et attachés à leur terre.
- Têtu, car il peut se coller au rocher avec une force incroyable dès qu'il est frôlé, et alors, vous devez déployer une énergie hors du commun pour arracher cette véritable ventouse, vous y laissez vos forces quand ce n'est pas la lame de votre couteau ou la peau de vos phalanges, mieux vaut laisser tomber... en fait, il faut le surprendre avant qu'il n'ait le temps de se cramponner.
- Attaché à sa terre, ce n'est rien de le dire, il reste toute sa vie au même endroit, lorsqu'il part brouter les algues, il revient toujours se fixer exactement à la même place sur son rocher, où sa marque fini par s'imprimer avec le temps. (Je crois vous l'avoir déjà raconté, mais si en plus il fallait que je relise mes anciens billets, vous ne pouvez pas imaginer le calvaire d'un index blessé sur la molette d'une souris, insoutenable).
Le seul drame de cet animal paisible, c'est sa condition sexuelle. Figurez vous qu'il change de sexe, il est mâle quand il est jeune, puis il devient femelle. Ce n'est pas tant cette transformation qui constitue un problème en soi, qui sait... mais j'ai quand même une pensée émue pour ces petits gars inexorablement voués à ne jamais connaître de jeunes filles.
Le brennig est d'une utilité indéniable pour nos côtes trop facilement envahies d'algues vertes! Or, vous l'avez compris, comme le bigorneau ou l'ormeau, il fait des algues sa pitance, les vertes comme les brunes ou les rouges, il aime tout. C'est pour cette raison que les côtes rocheuses sont assez largement épargnées par ce fléau.
D'accord j'exagère, ce n'est pas dû qu'aux coquillages, mais surtout à la configuration des côtes : les algues vertes se développent surtout là où les effluents stagnent, c'est à dire dans les baies sableuses (Lannion, Morlaix, Douarnenez...), où se déversent les polluants transportés par les rivières (phosphore des engrais et surtout azote des élevages, plus marginalement, phosphates des détergents). Ces eaux ne sont que peu brassées, à la différence de celles des côtes rocheuses, très battues.
Terrine de brennigs à la laitue de mer
Les spécimen récoltés assez haut sur l'estran sont plutôt coriaces, d'où l'utilité de les hacher pour les rendre plus agréables à manger.
Ingrédients
- un bon demi seau de brennigs
- 300 g de lard de poitrine demi-sel
- 300 g de gorge de porc fraîche
- une crépine
- deux oeufs
- un oignon
- trois échalotes
- une poignée d'ulve (algue verte)
- persil
- fenouil frais
- origan
- poivre blanc
- quatre-épices
- muscade
- vin blanc
- eau de vie de cidre ou whisky
Recette
Si vous ne pouvez récolter vous-même les brennigs, il est parfois possible d'en trouver chez les poissonniers. J'en ai même vu un jour chez Tang Frères, le plus grand supermarché asiatique de Paris, ce qui m'a inquiété, car si les asiatiques prenaient goût à ces chapeaux chinois (c'est moyen, mais j'assume), nos rochers deviendraient bientôt aussi pelés que le crâne d'un Bouddha (pareil), mais je n'en ai plus revu depuis plusieurs années.
Préparation des brennigs et des algues
En rentrant de la pêche, vous vous armez de patience et d'un bon couteau, et vous décoquillez les brennigs, en ne gardant que le muscle. J'en avais un peu plus de quatre kilos, ce qui m'a donné 650g de produit net. En les nettoyant, prenez garde à ce qu'aucun débris de rocher ne reste collé, ce qui peut arriver si vous les avez pêchés sans délicatesse. Lavez les soigneusement.
Quant aux algues vertes, leur consommation n'est pas réservée aux bêtes à cornes de nos rivages. Le nom courant de cette plante est "ulve" (ulva lactuca, ou plus souvent en Bretagne, ulva armoricana), et l'une de ses appellations usuelles est "laitue de mer". Vous les récolterez encore fixées au sable par leurs stipes et surtout pas dérivantes. Arrivés chez vous, vous les mettrez à tremper une bonne heure dans l'eau fraiche, en renouvelant celle-ci, car les thalles peuvent être sableux.
Confection de la terrine
Hâchez à grille moyenne les brennig avec 300g de lard demi sel (sans la couenne) et autant de gorge de porc. Si vous n'en avez pas, vous pouvez ainsi que me l'a conseillé l'excellent boucher de Landéda, Claude Jourdain, le remplacer par la pointe d'une échine de porc, "celle qui se trouve le plus près de la tête".
Ajoutez les algues, l'oignon et les échalotes hachés, l'origan, le fenouil (aneth) et le persil ciselés. Epicez et salez légèrement, cassez-y deux oeufs , arrosez d'un demi verre de vin blanc et un trait d'eau de vie cidre ou de whisky. Laisser reposer au moins deux heures pour favoriser l'osmose des saveurs. Foncez la terrine d'une crépine, versez l'appareil.
Mettez sans couvercle au four, pour quarante minutes à 180°. Ne commencez à consommer que le lendemain voire quelques jours plus tard, c'est nettement meilleur!
Pas d'image de verre de vin cette fois, car j'ai emmené cette terrine chez les cousins, où fut ouvert un Saint-Nicolas de Bourgueil de très bonne tenue avec ces saveurs marines.
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