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Cuisine de la mer
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25 mai 2007

Soupe de tamarin aux crevettes

Monologue de la pétole

Douceur du mois de mai, lueurs filantes sur la mer, le ciel est couleur gris perle et le vent retient son souffle. Le ressac n'est que bruissement sur les galets, les vagues voguent comme fatiguées et s'écrasent doucement en silence irisé. Je tombe avec elles, sur l'herbe souple et profonde d'un mamelon de dune, encalminé dans ce printemps qui hésite entre hiver et été, drôle de temps.

Aucun vol d'oiseaux de mer, ils restent figés sur les rochers, guettant le retour des patrouilles de poissons à dévorer. Ces derniers sont d'une discrétion absolue, pas le moindre éclat d'écaille ou sillage de dorsale, je les imagine dérivant entre deux eaux, ou louvoyant sans chasse précise dans les forêts de laminaires immobiles. Les bateaux au mouillage ne tanguent plus, comme plaqués sur une toile de marine. Les goémons de dérive les entourent, s'agglutinent à leurs amarres, aucun courant ne s'en empare, à croire que la marée a décidé de faire relâche, de rester étale aussi longtemps que le ciel sera de plomb.

A quoi vais-je bien m'occuper sinon à rêver, la mer aujourd'hui ne veut rien raconter. Le mieux serait que je m'endorme, ou que je m'enfonce dans une torpeur contemplative, l'oeil mi-clos. C'est sans compter mes battements de coeur et un sourire indéfectible, car je suis dans mes abers, sur cette côte qui me manque tant lorsque que je m'en éloigne.

Pas question de dormir, alors je tente de rêver à l'immensité des eaux, mais une Petite Voix vient m'accoster, glissant narquoise : "Et encore mon gars, tu n'en vois que le dessus!". Comment rester sérieux devant ce paysage habituellement en mouvement perpétuel et désordonné, qui tout à coup paraît décidé à ne plus rien foutre? La seule dynamique provient de la forme insensée des rochers, qui en deviennent plus vivants que le reste du monde. Un peu lourds pour rêver, ces mastodontes échoués...

tamar

Donc, ni sommeil, ni rêve. Comme je suis d'humeur de plus en plus gaie, j'ai envie de quelques vers, mais c'est le plus pompeux de nos poètes que me souffle la Petite Voix, décidément peu encline à la tranquillité ambiante, avec "Oceano nox", cette pâtisserie qui commence ainsi : "Oh! combien de marins, combien de capitaines qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, dans ce morne horizon se sont évanouis!"

Je t'en donnerai du morne horizon, même par ce grand calme gris, la mer n'est ni triste ni sombre. Et ces marins qui partent joyeux, c'est bien mal les connaître, c'est lorsqu'ils reviennent qu'ils sont vraiment contents. Alors, la Petite Voix s'est mise à réciter ces vers comme nous le faisions dans la cour de l'école, nous imitions la diction d'un bègue avec la cruauté simple de l'enfance, "Oh! concon... mama... concon... caca... pipi... tété... papa... jojo... coucou... lolo... etc". Son naufrage, Vivi Tortor Huhu Gogo ne pouvait pas l'imaginer aussi profond...

Donc, ni sommeil, ni rêve, ni poème, je vais évoquer les anciennes légendes, la mer en est emplie. Et là résonne l'impertinente Petite Voix : "Mon gars, pour qu'une légende marine soit crédible, il lui faut un minimum d'ambiance, au moins un feu de naufrageurs qui danse, si possible beaucoup de mouvement et de bruit, les apparaux qui claquent tandis que craquent les membrures, les âmes des naufragés qui gémissent, un vent lugubre, la charge de guerriers celtes aux orbites de feu, le cri brûlant de veuves sacrifiant des enfants, les villes englouties, la mort en barque et les vieux qui tremblent". Je ne peux pas lui donner tort à la Petite Voix, les légendes de Morgane sont incongrues sur ce rivage inerte.

Donc, ni sommeil, ni rêve, ni poème, ni légende, je vais tenter les proverbes, la mer en est tout aussi emplie. Puisque les druides, les bardes et les guerriers ont failli, écoutons la voix des humbles. Ce sont surtout les considérations météorologiques qui sont proverbiales en bord de mer, par exemple celle-ci, dont les terriens ont une variante avec les araignées :

"Rougeur du soir, bel espoir,
Rougeur du matin, désespoir du marin."

La Petite Voix revient à la charge en haussant les épaules (et oui...), elle me fait remarquer que ces prévisions ne s'avèrent exactes qu'environ une fois sur deux, les bonnes années. Bon je m'incline pour celle-ci, mais écoute un peu, j'en connais d'incontestables :

- "Brume le matin, reste au bistrot"
- "Lorsque les mouettes ont pied, il faut virer de bord"
- "Tempête en sortant du port, t'en chies pour rentrer"
- "En Bretagne, il ne pleut que sur les cons".

La Petite Voix m'a susurré que si c'est pour raconter des inepties, on serait mieux n'importe où ailleurs, au bistrot par exemple.

Donc, ni sommeil, ni rêve, ni poème, ni légende, ni proverbe. Vaguement désabusé, je m'arrache à la torpeur et m'en vais vérifier s'il reste du feu dans ma cuisine. La Petite Voix en est restée coite, elle semblait plutôt contente finalement.  Allez viens ma fatigue, nous embarquons pour Hai Phong.

tama

Soupe de tamarin aux crevettes

Cette recette est inspirée d'un classique (canh tôm chua), c'est la première fois que je la pratique, un peu à ma façon. Si elle est enfin passée par mes gamelles, c'est à cause d'évènements bloguesques, d'abord une très agréable réunion de blogueurs où m'a convié Sophie, qui nous a regroupés à table au Saïgon, l'un de mes repères avenue d'Ivry, à Paris. L'une d'entre nous a commandé cette soupe, ce qui m'a donné l'idée d'en faire à la maison, car on s'en délectait voici quelques années, dans un restaurant qui a fermé depuis.

Ensuite, il me restait de l'ananas à recycler, après ma participation au "Sucré s'invite chez le salé". Enfin, j'ajoute une pensée émue pour Requia, qui m'a fait découvrir puis acheter en sa compagnie, un engin super pour l'ananas, ma vie en est déjà transformée.

Ingrédients

- un litre de bouillon de poulet
- pâte de tamarin
- deux belles tomates
- trois tranches d'ananas frais
- huit grosses crevettes
- nuoc mam ou nam pla
- gingembre vert (frais)
- deux piments rouges thaïs
- deux tiges de citronnelle
- deux ciboules
- coriandre
- trois feuilles de combava

Vous pouvez aussi réaliser cette recette avec du poisson à la place des crevettes, c'est également délicieux, vous aurez alors un Canh Chua Ca Loc.

Recette

Préparez un bouillon à partir d'une carcasse de poulet, il n'est pas dénué d'intérêt d'y ajouter quelques os de porc ou de veau. Ce bouillon est éventuellement relevé d'un peu d'oignon et de carotte et de quelques herbes. Une fois refroidi, filtrez-le afin qu'il soit bien clair. Coupez en six les tranches d'ananas. Pelez les tomates, enlevez les graines, et divisez les en morceaux un peu plus grand que ceux d'ananas. Enlevez la tête des crevettes, décortiquez-les à l'exception du dernier anneau côté queue. Incisez les presque complètement en partant du dos, en enlevant au passage le boyau noir.

Parez et coupez les ciboules en fines rondelles. Ôtez les graines des piments et coupez les très finement, de même qu'un bon centimètre de gingembre vert, le coeur tendre des tiges de citronnelle et les feuilles de combava, une fois la nervure enlevée. Hachez grossièrement une poignée de feuilles de coriandre. Mélangez tous ces ingrédients et réservez cette garniture aromatique.

Dans une petite casserole, mettez deux cuillers à soupe de pâte de tamarin et un demi verre d'eau. Faites chauffer doucement, en mélangeant sans cesse à la spatule, pour bien extraire les jus. Versez le jus obtenu dans le bouillon.

Mettez à chauffer jusqu'à première ébullition, puis ramenez à frémissement et salez d'un trait de nuoc mam ou de nam pla. Ajoutez l'ananas, puis une minute après, la tomate, puis encore une minute après, les crevettes. En quelques instants, celles-ci s'ouvrent en corolle si vous les avez bien incisées; arrêtez la cuisson et répartissez dans les bols. Servez après avoir ajouté en surface la garniture aromatique.

tamarin1

Un délice aigre-doux, le fruit du tamarinier est en effet joliment acidulé, Sylvie et moi avons retrouvé intacte la saveur de cette soupe. Mathilde en digne fille de gourmands et descendante de mon arrière grand-père qui se baladait déjà au Vietnam en 1902, a beaucoup aimé aussi, même si tous "les trucs verts qui flottent" ne l'ont d'abord que peu inspirée!

tamarin

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Commentaires
D
je viens d'acheter des gousses, merci de ce partage. Je sais maintenant comment les utiliser et vais faire cette soupe sans attendre
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M
Quelle superbe prose, mon cher Patrick ! Une lecture qui fait rêver, comme toujours. Merci à toi ! La recette de la soupe est tout aussi inspirante, dont le doux parfum de citronnelle arrive même jusqu'à mon nez. Alléchante !
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B
Merci infiniment, cette recette a enchanté nombre de nos amis et parents !!!
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T
J'admire le regard qui voyage plus loin que l'horizon breton et vogue la galère sur pétole molle même jusqu'à Saïgon.<br /> Le Breton est voyageur, écrivain et poète, la faute à sa Mer, si en plus il tombe dans la marmite son sort est scellé.
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L
Expérimentée hier soir pour la première fois, ce fut une réussite. Merci de l'avoir partagée !!
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