Anchoïade
L’anchoïade, je l’ai découverte avec la Provence, grâce à Sylvie, ma provençale de femme. C’est devenu une région, ou plutôt une succession d’endroits, que j’aime énormément.
Un breton en Provence
Je la préfère nettement côté terre, lors de notre promenade de noce, nous n’avions ni beaucoup de temps ni d’argent, c’était fin septembre et il nous est venu l’idée de nous balader sur la Côte d’Azur. Nous roulons directement vers Nice, et aussitôt rendus, m'arrive ce genre de coup de blues qui secoue bien, je fulmine que je me sens mal sur cette Promenade des Anglais, que nous serions aussi bien sur le périphérique parisien à proximité du lac du Bois de Boulogne, et toutes ces choses agréables que je puis proférer et commettre dans ces cas là. Nous ne sommes même pas descendus de voiture…
Bref, coup de volant rageur vers l’arrière pays, à Grasse exactement, et là, je me sens tout de suite très bien, puis route au hasard au fil du Verdon vers Moustiers Sainte Marie, une promenade enchanteresse où nous nous sommes régalés, ma vraie découverte de la Provence, jusqu’à arriver dans le Haut-Var, pour mieux faire connaissance de ma nouvelle famille.
L’enchantement s’est poursuivi au sein de cette dynastie de vignerons connaissant chaque détail de la nature, des gens chaleureux et généreux, s'étant mis en tête de faire connaître au breton incrusté toutes les merveilles de leur table, jusque dans son nid de salade féroce, la broucheto d'auceloun, qui m’a aussitôt précipité dans les pages de mon cher Pagnol. Puis ce furent au fil des ans toutes les cueillettes de saison, les herbes, les morilles, les asperges sauvages, les cerises, les amandes, le lavandin, les sanguins ... à chaque pas ses lumières et son parfum.
Depuis, j’ai quand même découvert des endroits magnifiques sur ce littoral, y compris à Nice que j'aime bien désormais, mais j’y vais peu sur cette côte provençale, surtout pour le travail ou pour rendre visite aux vignerons de Cassis et Bandol.
N’empêche que cette mer sans marée, je ne parviens pas bien à m’y habituer. Je me souviens d’un matin à Marseille, arrivé très en avance pour un rendez-vous sur la Cannebière, je me baladais sur le Vieux Port en contemplant l’étal des marchandes de poisson (on ne se refait pas), quand tout à coup, il eut des coups de feu, tout le monde s’est mis à courir. J’ai alors foncé instinctivement en direction de la mer (on ne se refait toujours pas), avec l’idée confuse de trouver un escalier où me planquer si ça dégénérait vraiment.
Observez bien les quais de Manche et d’Atlantique, ils sont toujours munis d’escaliers ou d’échelons, voire d’une jetée de mise à l’eau; nulle part dans les ports de Méditerranée ils n'ont pensé à en installer. Renseignement pris, c’était un policier qui avait tiré en l’air pour intimider un fada agressant l’un de ses collègues à coups de boules de pétanque, ça ne s’invente pas, même un vendredi vers 8H30 sur le Vieux Port…
L’un des endroits où je me rends le plus souvent désormais, c’est en Avignon, tant pour le boulot que parce qu’une partie de la famille de Sylvie y est établie. En Avignon existe un endroit que je verrais bien classé au patrimoine mondial de la convivialité, ce sont les Halles. Quoiqu’il arrive et quelque soit mon emploi du temps, il y a toujours un moment où j’entre toutes papilles en éveil dans cette enceinte où s’enchevêtrent marchands et comptoirs où prendre un verre et manger un morceau. Pour tout vous avouer, c’est l’unique endroit où j’achète mes anchois allongés à l’huile depuis des années, par lot d’un kilo. Ils sont agrémentés de quelques herbes et ont une texture et une saveur fantastique. Mes anchois au sel proviennent quant à eux de chez Roque ou de chez Desclaux à Collioure.
Vous vous doutiez bien qu’après ces souvenirs, je finirai bien par vous parler des anchois, je laisse de côté les considérations écologiques que j’ai eu l’occasion d’évoquer ici, pour un peu de leçon de choses à ma façon.
Quelques considérations essentielles sur l’anchois
L'anchois s'ébat dans la mer où il nage. C'est un petit poisson gentil qui vit en bancs comme certains déshérités. Ses besoins sont donc modestes, mais il préfère s'allonger dans l'huile d'olive, plutôt que sur un banc qu'il connaît mal. C'est pourquoi on a souvent la surprise de trouver des anchois douillettement serrés les uns contre les autres dans des boîtes d'huile d'olive.
D'un point de vue historique, le premier anchois à marquer l'histoire fut Saint Anchois d'Assises, mais sa doctrine ne s'implanta pas longtemps, car les anchois préférèrent nettement à la position assise celle allongée dans l'huile, voire roulée autour d'une câpre. Par la suite vint le célèbre monarque Anchois Premier, célèbre pour ses campagnes d'Italie. C'est depuis cette époque bénie que l'on trouve des anchois sur les pizzas.
L'anchois, facétieux petit animal, aime aussi à se vautrer dans le sel. Il donne soif, mais ne se sent pas gêné pour autant. En effet, il vit habituellement dans la mer, qu'il boit régulièrement pour respirer. Son principal prédateur est le méridional, et principalement le sétois très peu fraternel : En effet si sétois, ce n'est donc pas ton frère, à la différence des bretons qui constituent une fratrie car ils ont Quimper.
La reproduction de l'anchois est impudique. Ils s’embrassent sur leurs bancs publics, en se moquant pas mal du regard oblique des poissons honnêtes. Cette pratique explique en partie pourquoi Georges Brassens s'est fait enterrer sur la plage de Sète.
Quoiqu'il anchois, ce petit poisson est très attachant. Il est cependant relativement devenu onéreux en raison de sa rareté, d'où l'expression amusante : "Il ne faut pas que tu anchois de ta poche". Néanmoins, s'il vous reste un anchois, vous pouvez vous le mettre autour du cou : Vous aurez ainsi un très beau foulard anchois à moindre prix, l'un compense l'autre.
Élaboration des anchois au sel et des filets à l'huile
Il ne reste que peu de saleurs traditionnels en France, j'ai cité ci-dessus les deux principaux, lesquels ne sont pas dans une situation confortable en raison de la disparition progressive de la ressource, voici exactement le dilemme entre la préservation des espèces et la sauvegarde des activités artisanales qui en dépendent directement, de la pêche côtière à la transformation.
L'activité de salage est une longue tradition à Collioure, où dès le XVème S., Louis XI exonéra les colliourencs de la gabelle pour ne pas pénaliser cette activité.
Les anchois, tant qu'il en reste, sont pêchés de mai à octobre, une fois arrivés au port, ils sont vidés, puis mis en fûts entre des couches de sel, dans lesquels leur maturation va durer environ trois mois. Ils sont ensuite mis en bocaux, ou subissent des préparations plus élaborées, comme la mise en filets et à l'huile, et tout ce qu'on peut imaginer, dont l'anchoïade, mais franchement, c'est tellement facile à réaliser que c'est dommage de l'acheter toute faite!
Je vous invite également à vous rendre sur La Cachina, le plus provençal des blogs, pour y lire la véritable recette de l'anchoïade à l'ancienne, peu à voir avec notre version embourgeoisée.
Anchoïade
Ingrédients
- 150 g de filets d'anchois à l'huile
- 150 g d'anchois au sel
- trois grands verres d'huile d'olive
- deux cuillers à soupe de vinaigre de vin
- crudités
- œufs
- pain
- ail
Cette recette est conçue pour constituer un repas complet pour six à huit personnes. Je vous serai reconnaissant d'être laudatif dans vos éventuels commentaires, car c'est en effet Sylvie qui monte l'anchoïade d'après sa recette ancestrale (toujours faire confiance à l'atavisme), tandis que je m'occupe de préparer les crudités, il est des jours comme ça où on est bien peu de chose, et mon amie la rose me le dit chaque matin..
Ma seule valeur ajoutée dans l'affaire est d'avoir timidement suggéré cette proportion 50/50 entre les anchois à l'huile et ceux au sel, assemblage qui me parait suffisamment doux et juste assez relevé pour permettre de tenir tout un repas sans terminer avec la bouche en saumure. Les anchois au sel ont en effet beaucoup de caractère.
Recette
Commencez par enlever l'arête centrale des anchois au sel, puis rincez-les soigneusement sous un filet d'eau. Je ne suis pas partisan de les laisser tremper pour les dessaler, car ils perdent ainsi beaucoup de saveur, je préfère les adoucir en les mélangeant aux anchois à l'huile, mais chacun fait ce qui lui plaît.
"A l'aide d'un pilon de bois, réduire tous les anchois en fine purée, dans un mortier préalablement frotté d'ail. Une fois les poissons pilés, ajouter deux cuillers à soupe de vinaigre de vin et bien mélanger. Ajouter une prise de poivre noir. Monter ensuite avec l'huile d'olive, toujours en utilisant le pilon de bois. La quantité d'huile dépend de ce qu'on aime une préparation concentrée ou non."
Ceci est la version traditionnelle, mais en bonne executive woman, Sylvie a depuis longtemps mis le druide Magimix à sa bottine ; elle réalise donc au mixer les différentes phases ci-dessus, à la seule différence qu'elle ne frotte pas le bol de plastique avec une gousse d'ail. L'intérêt de la méthode est aussi de permettre si on le souhaite, d'émulsionner jusqu'à obtenir une pommade assez compacte, plus facile à servir lors d'un buffet par exemple. Pour ma part, je préfère la version où l'émulsion n'est pas totale, j'aime que la pâte d'anchois et l'huile d'olive soient encore un peu dissociées, comme sur cette photo.
Nous servons en accompagnant de pain légèrement grillé que chacun pourra ou non frotter d'ail avant de le tartiner d'anchoïade (qu'il faut écraser sur la mie à la fourchette), avec des oeufs durs, qui sont un véritable régal, on peut juste les enduire ou écraser le jaune avec l'anchoïade avant de le remettre dans la cavité du blanc.
Un grand choix de crudités également, et c'est pour cela que c'est un magnifique plat de saison, je mets toujours des cives et autres cébettes, bref un assortiment d'oignons frais, des artichauts poivrades, des bâtonnets de carotte (c'est ce que préfèrent les enfants), quelques feuilles de romaine ou autre salade, des radis, des champignons de Paris crus et tout ce qui vous conviendra en faisant le marché, là par exemple j'ai trouvé un magnifique petit chou-fleur (c'est d'ailleurs la seule façon dont je peux manger ce légume), du coeur de céleri-branche, du bulbe de fenouil, etc..
L'un des mérites de cette recette, non le moindre, est de donner soif, et je bois habituellement là dessus en blanc ou en rosé, le Côtes de Provence familial, qui est d'excellente facture. J'ai eu beau ausculter les tréfonds de ma cave, plus rien, çà nous apprendra à ne pas y aller assez souvent! Je me suis donc tourné vers un excellent rosé, (vin des côtes catalanes, assemblage de grenache, carignan, lledoner pelut (un cépage proche des grenaches) et syrah), la cuvé "Zoé" du très bon Domaine de La Préceptorie, en Roussillon.
J'aime que les rosés aient cette couleur. Il fut un temps où la mode, suivant les goûts des consommateurs, était aux couleurs saumonnées très claires, qu'on obtenait en filtrant à outrance le vin, faisant perdre ce qui fait la quintessence des rosés, le fruit. Un bon vin blanc un peu aromatique fait bien l'affaire, comme ceux obtenus à partir des cépages Rolle ou Vermentino, par exemple.
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