Moules marinées au fenouil
Je pense vous avoir à peu près tout raconté ce qu'il y a savoir sur les moules comestibles, ce n'est pas pour autant que je vais cesser d'en donner des recettes, surtout en cette saison où elles sont magnifiques. C'est donc par la légende de leur apparition sur nos côtes que je vais commencer ce billet, sortez les mouchoirs, c'est émouvant et plein de larmes.
Ceci est une très ancienne complainte celte contée bien avant que les blogs n'existassent, par le très fameux barde Delard (un type jamais en panne d'inspiration, les lecteurs de "Si ma tante en avait" s'en souviennent). En effet, dans les contrées celtiques, on mangeait les pigeons voyageurs et on bloggait par bardes interposés, c'était quand même plus convivial. Pour une meilleure compréhension de ce texte mythologique, je vais vous en livrer les clés au fil des stances.
Les larmes de Morgane
"Il était une fois au Royaume d'Armor, la fée Morgane qui vivait heureuse près de l'océan, régissant les marées et chantant de douces complaintes aux marins et aux pêcheurs. Ses yeux étaient bleus comme la mer et sa chevelure d'algues flottait dans la brise marine, emplissant le vent de senteurs envoûtantes. Sa longue robe blanche était faite d'écume brillante et en guise de bottes en caoutchouc, elle chaussait des coquillages nacrés."
Armor, en breton çà signifie "la mer", et Morgane se traduit littéralement par "née de la mer". Oui, mais n'oublions pas non plus que "marimorgan" est le mot breton pour désigner la lotte, qui est l'un des poissons les plus laids au monde, comme quoi il faut se méfier des légendes qui enjolivent tout. Quant à la Morgane avec des ormeaux aux pieds, ce devait être quelque chose!
"Tous les fruits de mer étaient ses amis. Les mouettes dansaient pour elle des ballets aériens, les bulots jouaient de la conque, les poissons formaient des nuées multicolores, tandis que les crabes jouaient du violon et que le corail faisait retentir aux tréfonds de l'onde les arpèges d'une harpe magique. Vraiment, elle était heureuse, la fée Morgane."
Comme quoi, le barde n'est pas cet abruti chantant comme un porc et qu'on ne parvient à neutraliser qu'en l'assommant ou en le bâillonnant au moment des banquets concluant des albums de bandes dessinées à la celtitude plus que douteuse.
Les bardes sont aussi de fins biologistes, on remarque dans la strophe précédente, tout aussi ridicule qu'elle puisse paraître, une allusion discrète au crabe violoniste et au corail harpe. Je vous mets ci-dessous une photo de crabe violoniste, je n'ai rien trouvé sur le corail harpiste qui semble une espèce disparue avant l'invention de la photographie, à moins que ce soit une bévue de barde.
Par contre pour les bulots jouant de la conque, c'est vérifiable : selon quelques chercheurs hasardeux, ils auraient même donné leur nom à des havres comme Le Conquet ou Concarneau. La "nuée multicolore" de poissons était aussi codée qu'une bouillabaisse, comprenant obligatoirement des merlans bleus, des rougets, des raies vertes, des dorades roses, et des lieus jaunes.
"Le meilleur ami de Morgane était le soleil, avec ses multiples couleurs. Rouge à l'aurore, il jaunit doucement tout au long de la matinée, pour devenir presque blanc à midi. Puis à la fin de l'après-midi, il jaunit à nouveau, se teinte d'orangé, puis disparaît dans un flamboiement d'or et de vermillon. Les jours de pluie et de tempête étaient donc jours de tristesse pour Morgane, et le vent s'emplissait de plaintes lugubres, car toutes les bêtes de la mer gémissaient avec la fée jusqu'au retour du soleil. Heureusement, celui-ci revenait bien vite : Après la pluie vient le beau temps !"
La religion celtique est largement basée sur la nature et son observation, ce qui fait de nous autres bardes bloggeurs, de fins prévisionnistes du temps qu'il va faire. La stance suivante est déjà une prémonition du réchauffement climatique.
"Un triste matin cependant, le soleil ne se montra pas, et une nuit maigrement étoilée s'installa sur le monde. Quelqu'un avait visiblement jeté un mauvais sort sur l'astre radieux . Une sorcière ténébreuse et maléfique, en effet, n'aimait pas le soleil. Cette amoureuse de la nuit se nommait Nina Hagendasse, elle était la déesse de la banquise. Ce sacré soleil était son mortel ennemi puisqu'il faisait fondre son domaine ! Elle avait donc tout simplement jugé commode de faire disparaître le soleil d'un coup d'esquimau magique."
Voilà les inconvénients d'un polythéisme désordonné, révélés par le barde Delard. En effet, dans notre mythologie, chaque divinité a son domaine, la mer, les rivières, la lune, la glace, le soleil, le champs de bataille, l'écurie, et pour les puissances subalternes, la soue à cochon, le bocal de confiture, et j'en passe, çà vaut mieux.
Par ailleurs, en plus de leur fonction principale, les dieux avaient des attributions annexes, d'où de fréquents conflits de compétence source de querelles infinies. Ainsi le dieu soleil, Bel (connu en Gaule sous le nom de Belenos et en Gallo-romanie en tant que Belinus), avait-il pour attributions spécifiques la médecine et les arts. Jamais la Nina n'aurait pu l'éteindre si facilement s'il n'avait été appelé pour un miserere ou l'inauguration d'un exposition.
"Pauvre Morgane, sa tristesse fut infinie ! Elle pleura durant des nuits et des nuits le soleil disparu, et ses larmes tombaient sur le rivage qu'elles finirent par recouvrir. Ces larmes étaient à la fois bleues comme les yeux qui les pleuraient et noires comme la tristesse de Morgane et la longue nuit sur le monde."
Pas de commentaire, respectons la douleur de cette femme, mais on constate comment déjà le barde suggère poétiquement la tombée de moules sur le rivage. Certains chercheurs tout aussi fumeux que les précédents suggèrent que la complainte des Larmes de Morgane a servi d'inspiration à un très célèbre barde ultramarin, qui chantait récemment :
"No, woman, no cry;
No, woman, no cry. Eh, yeah!
A little darlin', don't shed no tears:
No, woman, no cry. Eh!"
"Au bout de quelques temps cependant, tous les druides du monde s'émurent de la disparition de l'astre radieux. Ils se réunirent, manigancèrent et contraignirent Nina Hagendasse à rallumer le soleil. Depuis, il se montre chaque jour avec ses belles couleurs et Morgane est de nouveau heureuse."
La tradition druidique est surtout orale, si bien qu'aucun document ne nous est parvenu, expliquant comment ils parvinrent à faire revenir le soleil. Pour la pluie, on est très au point en Bretagne, il suffit d'attendre au plus quelques jours, mais pour le soleil, la formule s'est perdue dans la nuit des temps, et c'est bien dommage. Enfin cela vaut peut-être mieux, à force de vouloir plaire aux touristes, nos édiles transformeraient bien vite nos vertes vallées en contrée sahélienne....
"Mais vous, qui aujourd'hui vous promenez sur les rochers de nos rivages, regardez un peu mieux à vos pieds. Ce que vous prenez pour de simples moules sont les larmes que Morgane fit couler durant la longue nuit. Si vous les ouvrez, vous verrez qu'elle y a enfermé toutes les couleurs du soleil."
Oui mais non quand même, si vous ramassez des moules à la chair rouge-vermillon, ne les consommez pas, ce n'est pas normal comme couleur pour des moules. Bien heureusement, depuis ces temps lointains où régnaient les dieux, la sécurité alimentaire a fait quelques progrès...
Fin
Moules marinées au fenouil
Ce n'est pas totalement par hasard si ce billet est introduit par une légende celte, car je réalise cette recette avec comme ingrédient du vinaigre d'hydromel. Je conçois que ce ne soit pas la chose la plus facile à se procurer, mais vous pouvez le remplacer par un autre vinaigre à connotation aigre-douce. Récemment en rupture de stock, j'ai utilisé un vinaigre de cidre au miel du Gâtinais, un liquide estampillé "Nos régions ont du talent".
Quant à ce fenouil, qui n'a que peu à voir avec le fenouil bulbe (dont je laisse le soin à qui aura le courage d'en parler), c'est en fait l'aneth-fenouil (ou anis doux) que l'on trouve un peu partout, et en particulier au bord de la mer en Bretagne. J'en ai semé quelques graines au hasard sur les talus de mon champs, il est très bien venu et se ressème spontanément, fort heureusement car le faucheur fou s'obstine à le prendre pour une mauvaise herbe envahissante... (Têtus les bretons? Non, nous avons juste quelques convictions bien ancrées, mais pas tous les mêmes, ce qui fait le charme de notre folklore)
Ingrédients
- un kilo de moules de corde ou de bouchot
- un verre de vin blanc sec
- vinaigre d'hydromel ou équivalent
- trois échalotes fraîches (ou deux sèches)
- brins de fenouil (ou aneth)
- poivre blanc
Recette
Ces moules se servent de préférence lors de l'apéritif ou en repas style assortiment de tapas. Commencez par ôter le byssus (filaments par lesquels la moule se fixe à son support), rincez les soigneusement sans les laisser tremper. Faites les ouvrir avec un verre de vin blanc sec, puis jetez les demies coquilles vides. (Je précise, car j'en connais un ou deux qui...)
Disposez les moules par couches dans un plat creux, et parsemez les au fur et à mesure de brins de fenouil ou aneth hachés pas trop finement, et d'échalotes hachées. Dosez la quantité de fenouil en fonction de la force de celui-ci. Le fenouil vendu par les maraîchers ou revendeurs pousse souvent en serre et a bien moins de goût que le sauvage récolté par exemple en Provence, très parfumé. Le breton se défend bien habituellement, mais cette année, après les trombes d'eau subies de début mai à fin juillet, les plants sont magnifiques, mais la saveur peu concentrée. Habituellement, j'en mets beaucoup moins!
Filtrez l'eau de cuisson pour éliminer les éventuels débris de coquille, puis mélangez la à une quantité équivalente de vinaigre d'hydromel (procédez en deux fois, cela vous évitera d'en préparer trop si les moules ont rendu beaucoup d'eau). Ajoutez plusieurs tours de moulin à poivre blanc et versez sur les moules. Réservez au frais pendant au moins trois heures, six heures idéalement. Vous pouvez présenter en petite assiette ou laisser chacun se servir dans le plat de préparation, en ce cas videz un peu de la marinade afin de faciliter la pêche!
Beaucoup de vins sont bienvenus avec ces moules, y compris des vins rouges même légèrement tanniques, nous, on a bu le muscadet Amphibolite 2006 de l'ami Jo Landron, parfait. Il est certainement déjà en photo quelque part sur ce blog, car c'est l'un de mes préférés sur les fruits de mer.