Huîtres chaudes sous julienne de poireau et oeufs de saumon
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je ne croise ces temps-ci que des gens pressés et en retard, préparatifs de Noël, course aux cadeaux et toute la lyre. Je compatis, aussi vais-je être assez bref aujourd'hui, avec cette recette d'huîtres qui a été mon premier sursaut créatif en matière de cuisine des coquillages, c'était il y a déjà longtemps, la première fois où nous recevions mes parents pour une soirée de Noël, justement...
Je me souviens encore du triple salto de Sylvie dans la voiture, un samedi matin très tôt alors que nous allions aux puces, quand après m'avoir distraitement demandé ce que je prévoyais comme entrée, je lui ai répondu "des huîtres chaudes avec des poireaux et des oeufs de saumon", elle m'a regardé en se demandant si vraiment j'avais toute ma raison (je pense par ailleurs qu'elle n'est toujours pas rassurée sur ce point, car depuis elle en a vu bien d'autres, et pas qu'en cuisine).
Je vous ai assez parlé des huîtres l'an dernier exactement à la même époque, pour ne pas revenir sur ce magnifique coquillage. Non, juste quelques mots sur la grosse tempête qui a déferlé durement sur nos côtes voici une dizaine de jours, car nous avons trouvé de drôles de trucs dans la laisse de mer en Bretagne Nord.
Les épaves
De tout temps, les gens de chez nous se sont promenés sur le littoral pendant et surtout juste après la tempête, pour profiter d'une éventuelle fortune de mer, souvent le résultat d'un naufrage ou d'une avarie. D'après le "Lagan" ou "Loi de la mer", tout bris venant à la côte est la propriété du premier qui met la main dessus. C'est une de mes promenades préférées, je n'en reviens jamais les mains vides, ne serait-ce qu'avec un morceau de bois flotté, voire simplement quelques planches pour la cheminée.! Si vous saviez tous les cadeaux de la mer, que le vent du nord apporte lorsqu'il se calme et vire au nordet...
Je tiens à ce sujet à rappeler un usage de plus en plus battu en brèche par les badauds ignorants : Si vous voyez assez haut sur la grève un objet, quel qu'il soit, du bout de bois à la planche à voile sans son porte-manteau, avec un caillou posé dessus bien au milieu, dites-vous que cette pierre n'est pas arrivée là par le simple jeu d'un goéland facétieux, mais qu'il a été posé sur l'épave par quelqu'un, qui marque ainsi sa propriété en attendant de repasser la prendre.
Cet atavisme de coureur de grèves date de longtemps. Les populations côtières manquaient sérieusement de bois, ce n'est pas un hasard si certains modes de chauffage (à la bouse ou à la tourbe) ou de cuisson (dans les mottes à Ouessant) soient particulièrement développées dans nos régions.
Chaque tempête était une occasion de voir (au minimum) des espars s'échouer, parfois mieux, comme un navire entier. On guettait, les premiers arrivés étaient les premiers servis, en cela le monde n'a pas tellement changé.
De là à accréditer que les habitants des côtes provoquaient eux-même les sinistres, il n'y a qu'un coup de nageoire, c'est ainsi qu'est née la légende des naufrageurs, allumant des feux sur les grèves pour tromper les navires caboteurs et les conduire à s'échouer ou à se planter sur les brisants, dont nos eaux sont plus truffées qu'une poularde demi-deuil.
Onévoque parfois le leurre d'un animal promené sur le rivage avec une lanterne, accrochée à la corne d'une vache (entravée pour mimer la lumière d'un bateau en plein tangage) par chez nous, ou pendue à l'encolure d'un âne, en Vendée par exemple. Noël encore, l'âne et la vache (oui, rien ne prouve qu'il s'agissait d'un boeuf, dans la crèche). Moi je n'y crois pas, qu'on puisse distinguer à plus d'une ou deux encablures la lueur d'un lumignon en pleine tempête, et vous?
Naufrageurs non, pilleurs d'épaves sans aucun doute. Ils secouraient néanmoins les éventuels rescapés, à la condition bien entendu que ces derniers se fassent discrets et ne s'opposent pas au droit ancestral ; par ailleurs il fallait se dépêcher avant la venue d'une patrouille de la maréchaussée, car bien entendu, c'était interdit, la Loi de la Mer a des subtilités coutumières qui échappent aux censeurs...
Les épaves qui sont venues à la côte durant la dernière tempête étaient d'ordre consommable, des marchandises échappées de conteneurs tombés à la mer ou disloqués à bord. Par chez nous, ce furent des paquets de lait en poudre (à moins que ce ne soit de la coke, je vous dirai ça après le petit déjeuner) et des sachets de tabac à rouler, bien étanches dans des poches plastifiées. Des amis de Plouescat en ont même trouvé dans leur jardin, c'est dire si çà a déferlé!
Dans le grand est, les Côtes d'Armor, plus précisément à Trébeurden sur la Côte de granit rose, ils ont reçu des fruits et des légumes, des ananas surtout (si ce n'est pas de la Fraich'attitude ça, je veux bien apprendre à nager!). Un peu étonnant, j'aurais plus vu des pomélos roses ou des lychees, dont la couleur est plus appropriée au ton girlie des rochers locaux. Dans mon coin, les rochers sont d'un gris très foncé, on attend le caviar et les truffes. Des marées noires de ce genre, on ne dirait pas non...
Là encore cependant, les temps n'ont guère changé, les gabelous rodent. Nous avons été sèchement avertis qu'il est interdit de ramasser ces paquets de tabac entrés sur le territoire sans acquitter les taxes, sous peine d'une amende équivalent au double de la valeur estimée de la marchandise, voire d'une peine de prison de un à trois ans, pour ceux qui sont passés avec une brouette. Tiens, fume ! C'est du breton.
On rigole, mais certains ne rient pas du tout : ce sont les pêcheurs... Parce que ces objets en tout genre, particulièrement les grosses billes de bois et les conteneurs, sont de véritables dangers pour la navigation ; en effet beaucoup de ces boîtes flottent, en fonction de leur contenu ou en raison de la présence mousse isolante. Ce sont aussi des fléaux pour la pêche, il n'est pas rare d'y crocher ses engins.
Une grande partie du transport de marchandises se fait ainsi dans ces boîtes, et économies d'échelle obligeant, on construit des navires de plus en plus gros qu'on charge de plus en plus, la photo ci-dessus en est un exemple (les lecteurs assidus de CdM ont reconnu qu'il s'agit du Canal de Panama et non du Chenal du Four). A ma connaissance, mais je ne suis pas un spécialiste, le plus gros de ces entrepôts voguant est un navire qui fait la navette entre la Chine et l'Europe, avec un chargement de près de 7000 conteneurs. Ce qui serait bien, c'est que ces cargaisons soient mieux arrimées et que ces cargos ne continuent pas à foncer en pleine tempête...
Bon revenons à des préoccupations plus culinaires, les plus beaux des conteneurs, ce sont les coquillages!
Huîtres farcies sous julienne de poireau et oeufs de saumon
Ingrédients
- deux douzaines d'huîtres "spéciales"
- un poireau
- un petit pot d'oeufs de saumon
- beurre salé (pléonasme)
- échalotes
- persil frisé
- macis en poudre
- piment d'Espelette
- poivre blanc
Les huîtres "spéciales" sont très charnues. Ne tentez pas de cuire des huîtres "fines", vous n'en retirerez qu'une limace genre fève tonka, et beaucoup de regrets...
Recette
Commencez par ouvrir les huîtres, videz la première eau, et laissez les de côté le temps que la seconde eau se génère. Dans la partie vert tendre du poireau, taillez une julienne un peu large, que vous faites rapidement blanchir (à l'italienne, eau bouillante salée, et rafraîchie immédiatement à l'eau glacée, on préserve ainsi saveur et couleur).
Malaxez le beurre avec du persil et de l'échalote hachés, n'en mettez pas trop pour ne pas tuer la saveur de l'huître. Ajoutez un peu de macis et de poivre blanc, une pincée de piment d'Espelette est facultative, mais bienvenue. Ayez également la main légère sur ces épices, le goût de l'huître doit être préservé.
Couvrez les huîtres de quelques rubans de julienne, et disposez une noisette de ce beurre, vous obtenez ceci. (Et gare au premier qui me dit que c'est plus appétissant avant cuisson...).
Enfournez à four chaud (180°) pendant cinq minutes, le temps que le beurre fonde bien et commence à bouillir. Disposez alors les huîtres dans les assiettes, éventuellement calées sur une couche de gros sel, ajoutez quelques oeufs de saumon, et c'est prêt et délicieux : les huîtres ont juste poché dans le beurre qui a fondu et le poireau leur a évité l'outrage de la chaleur trop vive. SI vos huitres sont biscornues, la couche de gros sel est importante pour ne pas que le beurre ne verse, j'en profite pour rappeler qu'il ne faut surtout pas servir les huîtres crues sur un lit de glace, ça les abîme vraiment, et c'est par ailleurs complètement idiot lorsqu'il s'agit d'huîtres chaudes.
Sachant que beaucoup vont m'expliquer qu'ils préfèrent les huîtres natures (désolé, c'est un blog de cuisine), je prends les devants, alors oui moi aussi, je considère que c'est encore vivantes (oui, c'est dans notre culture occidentale, le seul animal qu'on consomme vivant, du moins volontairement) qu'elles sont les meilleures. A ce point que lorsque je réalise ce plat, je propose parfois à mes convives de faire comme moi, à savoir panacher l'huître crue et l'huître chaude dans la même assiette, c'est vraiment un contraste intéressant, mais à la maison, il n'y a que moi que ça branche...
Du vin bien entendu, la première et lointaine fois où j'ai réalisé cette recette, j'ai servi un Sancerre rouge, j'ai tenté d'autres accords par la suite, mais rien à faire, il y faut un pinot noir léger, mais un bon rosé de Provence passe très bien ausi.
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