750 grammes
Tous nos blogs cuisine Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Cuisine de la mer
Cuisine de la mer
Newsletter
Archives
3 mars 2008

Colombo de lotte à l'ugli et au lait de coco

Ceci est un billet longuement écrit face à la mer, l'Atlantique comme souvent, mais cette fois considéré vers l'orient, depuis les Caraïbes, elle me paraît loin ma Bretagne. Ce ne sont pas des flagrances d'algues et de rochers noirs, mais des parfums de mer fleurie que m'apportent les alizées. C'est fabuleux d'être posté bien avant sept heures du matin sur une terrasse que baigne une aurore tourmentée puis si paisible, sirotant le premier rhum vieux de la journée (lequel je surnomme "Adam", bien entendu...)

colotte
Photo prise par Mathilde, elle aussi levée très tôt.
"Dommage que tu aies coupé le cocotier"
Haussement d'épaules synchronisé à ses yeux au ciel.
"Mais papa, j'ai fait exprès, je voulais un cadre."
OK ma fille, tu vois l'essentiel bien mieux que moi.

Je déconne, pas de rhum le matin à jeun, je suis avec femme et fille, faut pas pousser. Avec quelques potes tout aussi boucaniers que moi autour d'un barbecue, je ne dis pas, mais là non, je grignote un quignon de pain et quelques goyaves roses, clairement mon fruit préféré depuis mon enfance africaine, et dire que certains se contentent de madeleines... Une chose est certaine, on ne trouve pas de goyaves roses en métropole, ce qui justifie d'avoir renoncé pour une fois à la Bretagne, comme je m'y étais engagé dans ma lettre au Père Noël. Ici, vous l'avez deviné au parfum du rhum, c'est la Martinique, je suis posté en hauteur sur la côte nord-est (entre Trinité et Sainte-Marie, si après cela je ne deviens pas un ange ou au minimum l'âne de la crèche, c'est à désespérer de la piété engagée...)

colotte1

C'est venté, c'est beau, la mer n'y est pas très différente d'ailleurs. Mes deux sirènes lui trouvent un avantage sur celle de Bretagne, à savoir sa température. Comment peut-on être aussi bassement quantitatif face au spectacle de l'océan? C'est bien égal pour moi, je ne me baigne jamais en Bretagne (je tombe parfois à l'eau, mais c'est involontaire), sauf pour la belle coquille de quelques ormeaux. Je ne modifie pas mes habitudes au simple prétexte d'avoir décalé mes amers. J'ai concédé une demie heure de trempette pour faire plaisir à Mathilde, laquelle se demandait jusqu'à présent si son père savait nager (et surtout ai-je compris, parce qu'elle a promis à Véro une photo de l'évènement, je vous jure ces instits, dès qu'ils cessent d'éduquer nos enfants, ils nous les dissipent!).

Je considère les plages surtout comme un merveilleux endroit pour lire ou marcher. Dans mes bagages, j'ai emporté "Océan Mer", d'Alessandro Baricco, que m'a fait découvrir Annie de Dedicacessen, l'une des plus fines plumes de nos blogs à savourer sur place, merci beaucoup, il est vraiment très bien ce livre. A propos de plage, voici ce qu'on y lit, exactement à la page 100 de l'édition qui m'accompagne. Prenez le temps s'il vous plaît, ou alors passez, vite et loin.

"Tu sais ce qui est beau ici? Regarde : on marche, on laisse toutes ces traces sur le sable, et elles restent là, précises, bien en ligne. Mais demain tu te lèveras, tu regarderas cette grande plage et il n'y aura plus rien, plus une trace, plus aucun signe, rien. La mer efface, la nuit. La marée recouvre. Comme si personne n'était jamais passé. Comme si nous n'avions jamais existé. S'il y a, dans le monde, un endroit où tu peux penser que tu n'es rien, cet endroit, c'est ici. Ce n'est plus la terre, et ce n'est pas encore la mer. Ce n'est pas une vie fausse, et ce n'est pas encore une vie vraie. C'est du temps. Du temps qui passe. Rien d'autre."

Moment rare, moment précieux que celui de lire ce que je n' exprime pas aussi bien, mais qui me raconte à la perfection.

Bien, maintenant que je vous ai raconté mes vacances, je vais vous raconter un curry, à l'invitation de Salwa qui me transmet le "Hé cric!", ainsi que commencent les conteurs d'ici; je ne vous oblige pas à lancer un "Hé crac!" à votre écran, mais si vous le faites, je vous entendrai. Merci chère Salwa, j'ai un réel plaisir à raconter ce curry depuis une latitude proche de la tienne, c'est une vraie bonne idée qu'ont eue Véro et Dorian.

Mon curry, c'est un colombo voyageur. Le conte est court mais il fait voyager. D'où vient-il ce colombo, et surtout pourquoi le nomme-t-on ainsi? J'élimine d'instinct les colombophiles et leurs pigeons voyageurs, ils ne peuvent se comparer aux albatros.

En Martinique, mon premier réflexe est de penser à Christophe Colomb, j'y songe  d'ailleurs souvent à ce garçon qui s'est trompé de chemin et n'a pas voulu l'avouer tout de suite, il aurait mérité d'être breton. Ici face à la Presqu'île de la Caravelle, encore plus qu'il y a quelque mois devant la sinistre pâtisserie qui lui sert de tombeau dans la cathédrale de Séville (il a une autre sépulture quelque part dans les Caraïbes, mais on ignore où il git vraiment, et on ne cherche pas à savoir. Son éternité est à l'image de sa vie, un peu paumée!) et au retour du Carbet où il aurait débarqué en 1502, il est tentant de penser que c'est de son nom qu'est issu celui du colombo.

Vous n'y croyez pas? Je ne peux vous donner totalement tort en première analyse, mais si vous saviez comme moi les voyages de la cuisine par les mers, vous attendriez un peu avant d'applaudir d'apparentes certitudes.

Le colombo est un mélange d'épices à curries, c'est donc bien des parages de l'Inde que provient cette recette devenue un classique de la cuisine antillaise.

On ne peut se trouver ici sans penser à l'esclavage, sa première abolition (que n'a pas connue la Martinique, sous domination anglaise lors de la Révolution de 1789) puis son rétablissement par Napoléon, (cette petite baudruche belliqueuse et népotiste), à l'instigation de la belle Joséphine de Beauharnais. C'est en 1848 qu'il fut définitivement aboli, du moins dans les textes. N'empêche que la traite fut rendue impossible, et qu'il fallu dès lors trouver d'autres mains d'oeuvres.

Parmi les premiers travailleurs émigrés, (en fait seul le nom a changé après  l'esclavage, les formes d'exploitation des déracinés restèrent les mêmes et elles sont à peine différentes encore dans certains endroits du monde), furent des indiens, de Ceylan pour la plupart, auxquels ont faisait miroiter un travail sous contrat et un retour après au moins cinq années de labeur. Bien entendu, le bateau du retour ne vint presque jamais. Aujourd'hui, cette population de koulis (de "coolies") est très fondue dans celle de la Martinique, mais quelques uns en conservent le souvenir, allez voir cette page qui raconte bien cette histoire.

Donc oui, ce colombo, c'est à eux qui l'ont apporté ici, et c'est à la ville de Colombo qu'il doit son nom. Bien très bien, tout est logique, juste que l'histoire est un peu plus jolie qu'ainsi posée entre cuisine et champs de canne à sucre.

La capitale de l'actuel Sri-Lanka s'appelait à l'origine en cinghalais "Kola-amba-thota"  ce sont les portugais qui l'ont déformé en "Colombo", en hommage à leur grand navigateur. Je vous disais plus haut que la cuisine voyage aux travers les mers, c'est donc bien Christophe Colomb qui a donné son nom à ce merveilleux plat antillais, j'adore cette façon qu'à l'improbable d'exister. A propos  d'improbable, interrogez Sylvie sur ce qu'elle en pense : je lui ai fait arpenter le nord est de l'île dans l'espoir déçu de trouver un temple indhou à photographier pour ce billet. Elle se demande du coup si, lorsque nous serons en Inde, je n'y chercherai pas les traces d'un culte Vaudou...

Colombo de lotte à l'ugli et au lait de coco

C'est un plat que je n'ai pas préparé ici, mais à Nantes voici un mois. Lorsque je vais la voir, ma soeur me prête volontiers sa cuisine, (privilège que je n'ai pas réclamé à l'hôtel où nous sommes actuellement, histoire de ne pas leur donner des complexes...). Alors, je passe au superbe marché de Talensac picorer l'inspiration, très honnêtement, c'est une interprétation libre de la recette traditionnelle, mais vous pouvez vous en inspirer car c'était vraiment très bon.

Ingrédients

- petites queues de lotte
- trois citrons jaunes
- lait de coco
- un oignon
- un ugli
- poudre à colombo
- piment
- sel

Accompagnement
- riz
- un citron confit

Facultatif
- un chutney acidulé (ici : tamarin, tomates et figues)
- quelques petits popadums
- quelques physalis

La poudre de colombo est un mélange comprenant basiquement les épices suivantes,curcuma, girofle, gingembre, poivre, coriandre, fenugrec. La version indienne des Antilles marie l’anis, le girofle, la coriandre, le safran, l’oignon et le poivre, à des doses variables. A Nantes je n'ai pas eu grand choix, mais pour le colombo de poisson, préférez des mélanges tirant plus sur le vert que le jaune, ces derniers sont trop dominés par le curcuma.

L'ugli, c'est un agrume issu du croisement entre le pamplemousse, l'orange et la mandarine. En m'y intéressant de plus près, j'ai découvert qu'il est originaire de la Jamaïque, comme quoi j'avais déjà les Caraïbes en tête... d'ailleurs il a une forme aussi baroque qu'une coiffure de rasta! On a cultive trois variétés, une seule est commercialisée en France, produite en Israël ou en Californie.

ugli

Recette

Commencez par lever les filets de lotte en ôtant bien toute la peau. Mettez les à pocher cinq minutes dans de l'eau salée frémissante avec le jus des trois citrons. Egouttez aussitôt et réservez.

Pelez l'oignon et coupez le en petits morceaux. Pressez l'ugli, on n'utilise que le jus. Coupez l'écorce du citron confit en dés (ne tentez pas de traire une noix de coco, procurez vous plutôt du lait en boîte).

Dans une cocotte, mettez l'oignon à fondre dans un peu de beurre et dès qu'il commence à roussir, mouillez avec le jus d'ugli et le lait de coco à parts égales. Laissez épaissir un peu, puis ajoutez une cuiller à soupe rase de poudre à colombo et une pointe de piment. Salez, mettez y la lotte à réchauffer et servez avec un dôme de riz créole parsemé du citron confit.

colombolotte

Les autres éléments de l'assiette (chutney, popadums, physalis) sont utiles mais pas nécessaires. Ils ont apporté des saveurs et des textures complètant bien la recette de base et ramenaient aux origines indiennes du colombo. Nawal, tu en penses quoi? Car c'est à toi que je passe le relais du curry à raconter, puisque nous avons été proches durant cette semaine martiniquaise.

colombolotte3

Publicité
Commentaires
B
Voilà un plat qui a l'air terriblement appétissant. J'adore le curry de lotte aux fruits, et je viens de découvrir l'ugli. Et quel beau texte qui fait voyager en terres exotiques...
Répondre
I
J'adore le nom: ugli !<br /> Magnifique plat, je salive...
Répondre
D
Qu'entends-je ??? Tu serais venu à Nantes le mois dernier sans m'en informer ! suis triste... nous aurions pu ne serait-ce que boire un pot ensemble et faire connaissance en vrai.<br /> Talensac est mon marché d'approvisionnement mais on y trouve le meilleur comme le pire. L'oeil avisé reste indispensable.<br /> Je ne sais pas ce que vous avez tous en ce moment à vous envoler dans les îles. Autour de moi, je n'entends que ça. Moi j'en rêve mais monsieur a peur de l'avion.<br /> Pour le colombo de lotte, je ferme les yeux et je savoure. Les joues de lotte au coco vues dans "Ma cuisine des Pontons" me plaisaient déjà mais avec ta recette à base de colombo passe au dessus du lot. Je vais m'en inspirer pour ma prochaine lotte
Répondre
E
Toujours un plaisir de te lire surtout quand tu nous offres un joli et bon repas dans un paysage paradisiaque....
Répondre
G
J'ai fait ce plat mercredi. Je te dois ma première<br /> utilisation du lait de coco, jamais trop tard pour<br /> commencer hein ? Fait mon curry "Colombo" en pilant ttesles épices, enfin j'ai trouvé l'utilisation du fenugrec ramené de Martinique par une amie.<br /> L'ugli a été remplacé allégrement par le jus des<br /> trois agrumes indiqués.<br /> C'était très, très bon.<br /> Quel voyage historique de l'Indes aux Caraïbes tu<br /> nous as fait faire ! Beau billet.<br /> Je trouve que le qualificatif de Napoléon "petite<br /> baudruche belliqueuse et népotiste" pourrait bien<br /> s'appliquer à quelqu'un de chez nous......tu sais<br /> son nom..... N.S
Répondre
Publicité