Homard au wasabi, écrasé de pommes de terre au raifort
Je réponds à nouveau à mes amis de la Table Monde qui m'ont demandé d'un peu raconter la mer cet été, afin d'illustrer la nouvelle étape des "Mille et Une Escales", dont à défaut d'être le mécène et le pilote, je suis le sponsor et le skipper.
Je vous l'ai dit, la mer semble immense, on n'en voit pourtant que le dessus. Sur la mer vont les vagues, lorsque vous pensez contempler l'océan, ce sont elles que vous regardez. Leurs mouvements les plus déchaînés comme les plus imperceptibles sont une source inépuisable de rêveries, je vous en confie quelques unes de plus.
J'ai songé durant ce texte à une autre amoureuse de la mer et des mots. Lenverre son nouveau blog, n'est plus de cuisine, dommage et tant mieux peut-être ... les épices sans le pain, c'est bien aussi.
Vagues propos sur la houle
Vagues à l'âme, vagues alarmes et lames en armes. Chevauchant une mer démontée, elles montent bravement à l'abordage de ma coque pour la drosser. Je la pensais pourtant infroissable, haute et fière, avec son franc-bord tout aussi abrupt qu'un franc-parler, son hiloire brise-lames coupant toute illusion aux claques ailées de l'océan.
Vague de tempête démesurée, dure et lourde telle une muraille de roche froide, la crête hérissée d'une cavalcade d'écume, balayant un pétrel assommé dans une flaque de rhum sur le pont de mon lougre fuyant à la cape sèche.
Vague d'ouragan, déchaînée et dangereuse, la mer fulmine et ne tolère plus rien sur la peau, elle engloutit puis rejette, il ne reste alors de toi qu'épaves, espars brisés, espoirs nus abandonnés à la picorée des fulmars.
Vague de houle, coulant de bien plus loin que l'horizon, conteuse d'histoires et diseuse de sommeil, longue berceuse pour grands enfants aux mains d'encre bleue. Là naissent des albatros.
Vague scélérate qui soudain se glisse sournoise, au sein de vaguelettes tranquilles, lame de fond qui emporte tout, hommes et souvenirs, vie et mort, ramassés en une ultime roulade. Ne te fie ni à la mer calme, ni au cormoran qui sèche.
Vague déferlante, vague mythique des surfeurs, éphémères navigateurs ne sachant que partir et arriver, macareux bariolés dépourvus de croisières, pingouins dénués de banquise. Un rouleau vous enrobe et vous cache, vous revenez en glissade, fiers de vos muscles secs.
Vague du clapot quotidien, migrant sans cesse autour du bateau, mimant la chute d'une mouette rieuse et l'envol d'un goéland argenté, têtes liquides qui se baissent et se lèvent sans fin. Ma coque tangue et roule, tes rêves aussi, de plus en plus vite jusqu'à la nausée souvent, sous le vent alors tu rends à l'océan, petit pélican et vilain clapot...
Vague de ressac, éclatante et gaie, je me souviens d'un été, quand tu te baignais entre sable et rochers, je te voyais t'éloigner, voler puis plonger tel un fou de bassan immature, j'étais inquiet.
Vague de grand calme venant patiemment caresser l'estran, rumeur de soie nerveuse, à peine mouillée. Le sable brille et crisse en douceur, une plume flotte.
Vague fuyante du jusant me laissant gisant sur un sable dessiné. De vagues regrets s'éloignent avec la marée, je leur souhaite bon vent, belle mer. Elles voguent les vagues comme tournent les pages.
Cela dit, je ne suis pas seulement venu bayer aux cormorans, il me faudrait également un homard, c'est pour l'anniversaire d'une copine.
Comment voyager avec un homard
Ce titre retranscrit le "Comment voyager avec un saumon" d'Umberto Ecco. Un auteur que j'aime beaucoup.
J'ai fait une virée éclair mi-juin pour un mariage dans les abers, chez des amis importés par nos soins. Un vrai mariage, qui a commencé le samedi après-midi pour se poursuivre le dimanche. Je n'avais donc pas très envie de cuisiner le samedi midi.
Ma priorité lorsque je reviens sur les lieux de mon enfance, est d'aller tôt le matin humer l'air du bourg et faire dangereusement monter mon taux de caféine avec quelques copains. Ce samedi donc j'étais avec mon pote Jean-Luc à boire une tasse au comptoir de son restaurant, L'Auberge des Abers, dont je vous ai déjà parlé ici, histoire aussi de verrouiller trois couverts pour la formule bistrot du midi, sûrement le meilleur qualité/prix à l'ouest du Couesnon (lequel en sa sagesse a laissé la Normandie aux normands).
Nos discussions, après les propos sur la vie qui passe et les plats qui repassent, arrivent toujours sur des choses fondamentales, comme les oreilles de mer ou les oreilles de cochon. Ce jour là, il me lâche à bout portant :
- "Les homards sont superbes en ce moment, et pas chers!
- C'est con, je ne suis là que pour deux jours et je ne n'aurai pas le temps de cuisiner.
- Ben Patrick, ramène en un à Paris ! C'est facile, j'appelle mon pêcheur, qu'il en mette un de plus, et tu le récupères ce midi!
- Oui pourquoi pas, mais ça m'ennuie un peu de le cuire aujourd'hui pour ne le cuisiner que lundi.
- Bien sur qu'il ne faut pas risquer avec ce temps orageux, ramène le vivant.
- Vivant?"
Je le regardais incrédule, et lui m'observait comme si j'étais devenu en un mois le dernier des parisiens... Pour autant, l'idée faisait plus que me séduire, j'ai toujours eu beaucoup de sympathie pour cet épisode où Gérard de Nerval, en pleine polémique littéraire, s'en était allé promener un homard en laisse dans les jardins du Palais Royal.
- "Ben oui vivant, je vais te le conditionner, un torchon humide autour avec quelques élastiques pour le tenir, et tu le laisses au bas de ton frigo jusqu'au départ, tu pourrais même le garder vivant presque une semaine."
Affaire faite, me voici à midi l'heureux maître d'un beau sujet, dûment neutralisé d'une camisole humide et de quelques gros élastiques. 1,3 kg le Totor, à 18 euros le kilo, merci pour tout Jean-Luc!
Le dimanche soir, je le glissais dans une poche de ma valise, et vas-y petit , direction Montparnasse, six heures de trajet tout compris. Arrivé à la maison, il était encore vaillant, et bien que commençant sérieusement à m'attacher à ce garçon, je l'ai passé à la vapeur pour le cuisiner le lendemain soir après le boulot.
Homard au wasabi, écrasé de pommes de terre au raifort
Ingrédients
- un homard bleu
- pommes de terres à chair ferme
- lait
- huile de noisette
- crème de raifort
- wasabi en poudre
- poivre blanc
- sel
Recette
Commencez par cuire le homard à la vapeur ou à défaut en le pochant, comptez dix minutes, il ne faut pas qu'il soit trop cuit. Une fois cuit, laissez le refroidir en ayant étendu la queue sur une planchette, afin de la maintenir droite, elle sera plus facile à trancher ainsi ensuite.
Cuisez les pommes de terres épluchées, puis malaxez les à chaud avec du lait chaud et de la crème de raifort (J'en avais acheté un tube à l'Atelier des Chefs, j'avoue avoir été déçu par son manque de saveur, une autre fois, je la ferai moi-même, mais le soir en rentrant du boulot, hein?). Ajoutez un peu de beurre. Prévoyez de servir tiède.
Coupez la queue du homard en fins médaillons, procédez de la même façon pour les plus grosses parties des pinces. Hachez très grossièrement le reste de la chair des pattes, et ajoutez y les chutes, la chair de la tête et celle des petites pattes (facile à extraire en appuyant sur les tronçons avec le dos d'une cuiller, voire d'un rouleau si on a l'âme pâtissière). Ajouter un trait d'huile de noisette et du poivre blanc.
Dressez l'écrasé de pomme de terre dans l'assiette, surmontez le du homard haché, puis disposez les médaillons autour. Arrosez ces derniers d'eau dans laquelle vous avez dilué du wasabi en poudre.
L'assiette est assez dépouillée, mais bon, retour de week-end et pas le temps après le boulot de passer prendre quelque verdure pour agrémenter l'ensemble. Jolie recette au final, qui mériterait une crème de raifort plus corsée, et peut être d'utiliser de l'huile au wasabi plutôt que de l'eau, mais c'est déjà bien bon comme cela!