Une bouillabaisse
J'ai récemment reçu comme beaucoup de blogueurs, un mail provenant d'un site qui fait la promotion du surimi, à chacun ses vices, mais puisqu'ils sont passés par le lien "Contactez l'auteur" de CdM pour envoyer leur spam, ils auraient pu jeter un œil et se rendre compte que le surimi et moi, on n'est pas copains.
Je déteste, alors que le poisson sauvage est en voie de disparition, qu'on exerce une pression sur les stocks de certaines espèces, comme le colin d'Alaska, le merlan bleu, et d'autres parfois pêchés en vrac, pour aboutir à ce truc industriel pré-mâché, la négation d'un produit naturel. J'en ai déjà parlé aux débuts de ce blog, vous allez lire ici. Après, on viendra dire que ce sont de bonnes protéines, avec un bon goût de crabe, on croit rêver ou ne jamais avoir mangé de crabe.
Ô tempuras! Ô mauresques! Quelques chefs se prêtent à cette mascarade, de ceux jamais rassasiés de recettes publicitaires, ainsi dans ce spam sont cités : Flora Mikula, David Zuddas, Gilles Choukroun, Eric Guérin et Bruno Monnoir.
Autres lieux que la mer ne découvre pas à marée basse…
A propos de crabe, j'ai voulu m'en procurer pour réaliser la bouillabaisse qui figure ci-dessous, j'étais au bord de la Méditerranée, mais aucun poissonnier ou pêcheur de Saint-Raphaël n'en vendait, de ces "favouilles" comme on appelle là-bas les crabes verts.
Casse la tienne, j'irai en pêcher, j'ai l'habitude. Je me suis donc assis sur un rocher en attendant que la mer baisse. Comme un fait exprès, je n'ai pas non plus trouvé d' "Horaire des Marées" dans aucune boutique. Une bouteille de whisky et trois cigares plus tard, la mer n'avait pas bougé de place. Étrange endroit. En remontant dépité, j'ai compris pourquoi en allant vérifier sur le site du SHOM.
Une chose me console, c'est que les méridionaux sont aussi perturbés par la marée, que moi par son absence (face à une eau que j'hésite à qualifier de stagnante, car j'ai pas mal de potes sur ces rivages, et je ne veux surtout pas me fâcher avec eux). Sylvie a un oncle provençal qui a fait un long périple côtier pour nous rejoindre dans les abers, là où l'Atlantique et la Manche se marient, sur les cartes marines, c'est situé exactement au phare en bannière de CdM, vous devriez y venir, la fête du vent, de la mer et des lumières ne cesse jamais. Bref, l'oncle s'était muni de ses plus redoutables cannes à pêche, de celles qui font parler la poudre sur la mare, entre Hyères et Porquerolles.
"Qu'est-ce c'est que ton pays?", me dit il, "A chaque fois que j'ai voulu pêcher, il n'y avait plus de mer. Une fois, j'étais content, je me suis arrêté à un endroit où je n'avais pas trânnnte kilomètres à faire pour tremper l'asticot, à peine arrivé j'ai rencontré des pêcheurs qui remontaient, qui m'ont dit que j'allais perdre mon temps, car c'était terminé pour le poisson, et merde!".
L'histoire de cette bouillabaisse a toutefois démarré dans de l'eau douce, puisque que l'incroyable Estèbe a pris le risque de me demander quelques tuyaux sur ce plat, puis de me citer dans son journal helvétique. J'y ai gagné un grade de quartier-maître dans la Marine Suisse, et l'envie de réaliser ma première bouillabaisse. OK, je suis un escroc...
Le flux et le reflux me font marée
Certes, je n'ai pas le talent d'un Devos pour évoquer la mer démontée, mais tout de même, depuis le temps que je regarde la mer monter et descendre, j'ai acquis une vue synthétique à propos de la hauteur comparée à l'horizontalité, de l'effet relativisant du vent sur les coefficients, de l'attraction de la lune renforcée par le soleil aux équinoxes, de l'influence de la grande marée sur le temps qu'il va faire jusqu'à la prochaine.
J'ai appris à me révolter contre les marées colorées, les marées vertes d'algues proliférantes, dopées par les effluents agricoles, les marées noires de pétroliers vétustes, les marées blanches de plastiques que l'homme déverse dans la mer en pensant qu'elle peut tout absorber.
La mer est néanmoins imperturbable, elle monte et descend, deux fois par jour par chez nous, lorsque ma fille se plaint que la vase est sale, je lui rétorque qu'elle est lavée bien plus souvent qu'elle. La mer ne cesse jamais son va-et-vient, plus ou moins ample, j'en retiens une image presque érotique, basse, elle dénude et offre l'estran, haute elle conquiert et fait l'amour à la terre. Je suis subjugué par tant de constance sans questionnement, marié à la marée.
Il n'est d'autre endroit où le paysage change autant en quelques heures, à conditions météorologiques égales. Des plaines se découvrent, des brisants dangereux qui affleuraient à peine se changent en cailloux baroques posés sur le sable. Les bateaux gîtent impuissants sur le flanc ou sur les béquilles.
Allez sur ces étendues, regardez la forme des vaguelettes sur le sable découvert, les ruisselets immuables et fragiles, les chemins de charrettes des anciens, imaginez les êtres qui se cachent dans les trous, terrés et fragiles jusqu'au retour de leur mur de protection liquide. Il n'est pas question de pêche ici, juste de la rencontre d'un univers jamais arrêté à la même place, seuls les dunes des déserts et les nuages du ciel peuvent en dire autant. La marée comporte le coeur des hommes, vide ou plein, il ne s'arrête jamais et transforme tout.
Bouillabaisse
La mer se conduit donc comme un liquide dans chaudron, qui monte en bouillant, et retombe lorsqu'on baisse le feu. A Marseille, la mer ne fait pas cela, bouillabaisse oui, mais bouillamonte jamais! Alors, les marseillais ont inventé la marée en cocotte.
J'ai l'air de plaisanter (comme si c'était mon genre), sachez toutefois que se serait l'origine du nom de ce plat, je cite Madame Wikipedia : "de l'occitan provençal « bolhabaissa », de bolh « il bout » et abaissa « il abaisse »". Toujours selon la même source, la bouillabaisse serait originaire de la Grèce Antique, où il était consommé un râgout de poisson nommée kakavia, toujours présente d'ailleurs sur les tables grecques, kakavia désignant le récipient dans lequel il est préparé, exactement comme le mot breton "kaoteriad" (contenu d'une marmite) a donné la cotriade, c'est tout aussi évident pour la chaudrée, anglicisée en "chowder".
La bouillabaisse, comme les plats ci dessus et bien d'autres de bord de mer, du blaff à la bourride, de la zarzuella à la caldeirada, en passant par le ttoro, l'aziminu ou le zimino, ont tous à l'origine la même origine, l'utilisation en soupe de poissons abîmés lors de la pêche, ou non consommables ou vendables entiers en raison de leur taille. Cette "godaille" a même un moment fait partie du salaire des marins-pêcheurs, et sa distribution fut réglementée au même titre que la répartition du produit dde le vente des prises commercialisées.
De tous ces plats à l'origine populaires, c'est certainement la bouillabaisse qui a gagné le plus de lettres de noblesse, je ne sais pas si c'est un bien par ailleurs, et qui je crois a dû se voir infliger une Charte. Sa composition fait parfois l'objet d'attentions vétilleuses, j'en veux pour preuve cet article, paru dans "La pensée de midi". Alors tant pis si je dois être interdit de séjour sur le Vieux Ports ou dans les calanques, j'assume. D'ailleurs, j'ai intitulé ce billet non pas "La bouillabaisse", mais "Une bouillabaisse".
Ingrédients
- poissons de roche pour bouillabaisse
- tomates
- concentré de tomate
- oignons
- poireau
- ail
- fenouil
- thym
- laurier
- sel
- poivre noir
- safran
- poissons blancs
Ci-dessus, voici un assortiment "spécial bouillabaisse" de poissons vendus sur le port, le plus remarquable est la proportion notable de petites rascasses, lesquelles ont indispensable à la saveur et à la texture de la bouillabaisse. Je ne connais avec précision pas tous ces poissons, et je n'ai pas le temps de les identifier, mais celui qui est coupé en morceaux, j'en suis certain, c'est un petit congre!
Recette
Pelez les oignons et nettoyez le poireau et coupez les en morceaux, mondez quelques tomates. Ici, j'avais 3 kg de poissons, j'ai utilisé trois oignons, un poireau de taille moyenne et quatre belles tomates.
A ce stade, on met normalement les favouilles à rissoler dans de l'huile d'olive à laquelle la carapace va donner sa saveur incomparable, on ajoute ensuite poissons et garniture aromatique. Faute de marée et donc de crabe, j'ai mis directement les poissons non vidés à rissoler avec les oignons et le poireau. Lorsque le tout a un peu coloré, et même attaché un peu au fond de la cocotte, ajoutez une cuiller à soupe rase de concentré de tomate, puis les tomates fraîches mondées. Laissez fondre un peu, et mettez pendant ce temps quelques tiges de fenouil, un peu de thym et de laurier, ainsi que deux ou trois gousses d'ail hachées.
Versez le triple de la hauteur d'eau, puis faites cuire environ 50 minutes à feu moyen en remuant régulièrement. Laissez un peu refroidir, puis passez le tout au moulin de légume, après avoir ôté les plantes aromatiques.
Remettez cette base à chauffer, et servez là après l'avoir assaisonnée de poivre noir et de safran, et rectifié le sel. C'est la première assiette, composée uniquement de "soupe", qu'on accompagne de croûtons un peu grillés et de sauce rouille (celle de ma provençale d'épouse, c'est mayonnaise à l'ail pilé, avec un peu de piment, et de paprika doux pour la colorer).
Le second plat est composé toujours de cette base, dans laquelle on fait pocher des poissons blancs. C'est important, n'utilisez pas de poissons gras (genre maquereau, sardine, thon, etc... leur saveur ne s'y accorde pas). Ne les laissez que le temps nécessaire à ce qu'il soient juste cuits, sinon ils vont se démolir. Là, j'ai utilisé du chapon, de saint-pierre et du grondin, mis à pocher dans cet ordre, mais vous pouvez utiliser d'autre poissons, comme de la lotte (ou baudroie), du merlan, des filets de rouget barbet, etc... mais pas de surimi hein!!!