Calamars à la braise, beurre au pimenton
Une chose est sûre lorsqu'on exerce l'improbable métier de blogueur, plus on publie et plus on a de lecteurs, à condition toutefois de n'être pas que confidentiel. A force d'avoir glandé tout l'été, vous n'êtes plus qu'une poignée d'interactifs à passer croquer mes fruits de mer plus ou moins défendus. Si je ne réagis pas, CdM va se transformer en un site tout venant, fréquenté quasi exclusivement par les robots de recherche et quelques milliers d'anonymes plus ou moins sains d'esprit. Rien qu'aujourd'hui, trois dangereux maniaques sont arrivés sur ces pages en tapotant dans Google : "huile de vieux merlans", "tuer un poulpe" et "comment cuisiner la raie".
Je ne veux certes pas concurrencer notre chère Marion, dont le bilan mensuel des mots-clés d'accès à son blog est un incontournable bréviaire des perversions culinaires, toutefois le "comment cuisiner la raie" m'a donné à réfléchir; en fait, pour avoir de l'audience, un blog de cuisine doit aussi sacrifier à ce qu'internet a de plus populaire, le cul sans l'inaire, ce que je déplore, mais je vis dans mon époque et ce n'est pas facile tous les jours.
Non que j'aie un quelconque intérêt pécuniaire (je n'ai pas écrit "péculinaire", en dépit d'une louche tentation de m'en tamponner le coquillard) à multiplier le nombre de clics et de claques amicales, tout est gratuit ici, y compris l'auteur toujours pas décidé à se vendre en dépit des aléas des bourses. N'empêche que si j'écris pour le plaisir, je travaille également pour être lu, c'est une évidence que beaucoup gagneraient à envisager avant de tenter l'exercice d'un blog.
Alors éloignez les enfants entre sept et treize ans de cette page, elle est saturée de contenu explicite, le titre du billet aurait déjà dû vous mettre la puce de mer à l'orteil. Loin de moi néanmoins l'idée de codifier un Kalamar Sutra, encore moins de gloser sur la sexualité des créatures des mers que vous rencontrez dans vos assiettes, un jour le ferai-je probablement, mais c'est compliqué, il y a des bi, des trans, des collectifs, des violeurs, des sados et même des couples fidèles, un vrai bordel...
Cela dit, avant de vous retranscrire le dialogue équivoque entre Calamarcel et Calamartine, je tiens à exprimer une mise en garde écologique. Le réchauffement de la planète profite certes aux méduses, mais plus encore aux céphalopodes. A savoir, les calamars, les seiches et les poulpes, pour ne mentionner que les espèces les plus comestibles. Dans un petit siècle si on ne réagit pas, la mer ne sera plus qu'un amas de bestioles à tentacules.
Scène de ménage sous les mers
Je dérivais débonnaire sur mon canot presque épave, laissant plomber sans conviction une turlutte, cet engin de pêche qui fait merveille pour remonter calamars et seiches, quand soudain, le bruit du clapot fut brouillé par des invectives.
- Va te faire farcir, espèce de surimi mal bronzé!
- Ferme ta bulle eh, endive à fish-burger!
J'ai l'habitude d'entendre des voix lorsque je navigue, je n'y prends plus garde, car j'ai passé l'âge d'écouter les sirènes et de décapeler mon ciré pour la moindre Marie-Morgane qui me chante romance. Je tiens mon cap bien mieux qu'un Cyrano de barge. Là cependant, ce n'étaient pas des propos ordinaires, aussi tendis-je l'ormeau pour entendre cette discussion animée entre un calamar et sa blonde.
- Non mais dis, tu t'es vu avec ta dégaine de garçon coiffeur, aller friser les tentacules de la voisine avec des yeux de merlan frit?
- Tu plaisantes ou quoi, cette femme est sèche comme un coup de trique!
- Seiche peut être, mais poulpeuse quand même, tu t'en es bien rendu compte mon céphalaud!
- Pfft il ne s'est rien passé tu le sais bien...
- C'est bien parce qu'elle était en panne d'encre, si tu veux mon avis, et pas assez encore, tu ne peux pas le nier, tu en as encore sur le bec!
- Dis pas n'importe quoi, c'est juste que j'ai bouffé une langoustine mazoutée!
- Ah cette mauvaise foi, tu es bien trop difficile pour te régaler avec ce genre de créature!
- Je n'ai pas aimé en effet, pas plus que je n'aime les seiches, même poulpeuses, comme tu l'affirmes sans raison. D'ailleurs à propos de poulpeux, tu me prends pour un idiot ou pour un mari complaisant? Tu crois que je n'ai pas remarqué ton manège avec Gaston?
- Quel Gaston?
- On en connaît beaucoup des Gaston peut-être? Gaston, le poulpe, tu lui tournes autour parce qu'il a des tentacules plus longs que les miens? Dis le tout de suite que je suis encornet !
- Tentacules ta mère, oui! Tu es vraiment trop dégueulasse d'imaginer des trucs pareils. Ce garçon a facilement cinquante ans!
- Et alors, cinquante ans, huit gros tentacules et un seul testicule qui lui sert de cerveau, si c'est ce qui t'attire, on n'a plus rien à se dire.
- Tu es méchant... tu sais que je tiens à toi!
- Et toi t'es trop bête de penser que je puisse fondre pour une seiche, allez pleure pas, viens dans mes ventouses...
Le dialogue s'interrompit, je ne vis plus crever à la surface que de grosses bulles pleines de larmes et de soupirs, puis de bisous secs (sous la mer, le bisou sec est nettement plus érotique que le bisou humide) ... Il reprit ainsi :
- Allez ma petite, c'est pas tous les jours qu'on se retrouve après des années de mariage, fais moi une turlute et je te ferai des petits suçons et des beaux supions.
- Non mais, tu es vraiment con de dire des choses pareilles!
- Pourquoi, tu m'as toujours dit que tu voulais des enfants?
- Je ne te parle pas de çà, anguille sans civelle! Mais de l'autre obsédé sur son bateau là haut, tu n'as pas remarqué que cela fait une heure qu'il agite sa turlutte dans l'espoir de me choper?
- Lui? Bah, il n'est pas bien dangereux, d'abord son bateau est tout pourrave...
- Tu ne l'as pas reconnu, c'est le mec de CdM!
- CdM, comme "sado-maso"? Il fait des trucs louches avec ses hameçons et son fil à pêche, laisse moi rire!
- Non, un vrai affreux sous ses airs d'écolo bon teint, c'est le pire de nos prédateurs.
- D'accord, si ça peut te détendre, on va descendre s'ébattre hors de portée de sa petite tentacule...
Je perdis le contact à ce moment, je rentrai en fredonnant une turlute, une façon de chanter du Québec, bredouille mais heureux de les imaginer s'enfonçant tous les deux vers le septième abysse. Le calamar a une faible longévité, et sa reproduction dépend beaucoup des aléas climatiques. De plus, le mâle meurt très souvent d'épuisement à la fin de la période de reproduction, alors, un peu de compassion et de romantisme, s'il vous plaît!
Bon allez, ce n'est pas tout de s'attendrir, le temps de prendre une douche froide et je reviens en cuisine, toujours un peu sur des charbons ardents...
Calamars à la braise, beurre au pimenton
Ingrédients
- calamars
- beurre
- pimenton de la Vera doux
- poivre noir
- gros sel
- facultatif : ail ou vinaigre
Le pimenton de la Vera est un poivron rouge séché grâce à un feu de bois de chêne, puis pulvérisé. Sa saveur est nettement fumée, les anglo-saxons le nomment smoked paprika. Il est beaucoup utilisé dans les charcuteries espagnoles, à commencer par le chorizo auquel il donne cette saveur si particulière. Il y en a deux variétés, celui de la Vera est selon moi le meilleur, voici celui que j'utilise, l'un des plus connus je crois. Il en existe trois versions, une douce, une médium et une bien pimentée, comme le paprika donc; j'achète la douce et si j'ai envie de corser, j'ajoute un peu de piment d'espelette.
L'association avec les calamars, qu'il m'arrive également de poêler en y ajoutant un peu de chorizo est vraiment très bon. Pour la cuisson à la braise telle que je la pratique, il faut choisir des calamars dont le capuchon a la longueur d'une main environ.
Recette
Préparez les calamars. Coupez la tête au dessous des yeux, vers les tentacules, enlevez le bec et coupez la couronne de tentacules. N'enlevez pas la peau , elle donne une excellente saveur. Ouvrez les et nettoyez bien l'intérieur, selon la saison, c'est plus ou moins ragoûtant... Rincez et séchez le tout.
Mélangez les avec un peu d'huile d'olive, puis juste avant de les mettre à griller sur des braises bien vives (ou à la plancha éventuellement), ajoutez du gros sel. Il est utile d'enfiler les tentacules sur une brochette, cela facilite grandement leur tenue sur la grille de cuisson!
Mettez dans une casserole du beurre à fondre doucement avec du pimenton et un peu de poivre noir. Vous pouvez ajouter un peu d'ail pilé ou un trait de vinaigre, mais ce n'est pas nécessaire.
En cours de cuisson, les capuchons vont se recroqueviller, faites attention à que dans le creux ainsi formé, l'eau rendue à la cuisson ne stagne pas, on recherche une grillade, pas une pochade. Les calamars sont cuits lorsqu'ils ont l'aspect si dessous, ne les faites pas griller au delà, vous les feriez durcir.
Disposez les dans un plat, et versez par dessus le beurre au pimenton bien chaud, que vous aurez un peu fouetté pour lui donner une apparence un peu liée.
Pour obtenir des calamars tendres et bien cuits, il faut qu'il se débarrassent vite de leur eau de cuisson. A la poêle, je les démarre à froid avec un peu de sel et d'huile, à feu rès fort. Dès que les lamelles ou les anneaux commencent à se gondoler, je me débarasse de l'eau avec une passoire, j'obtiens alors des sujets prêt à être ensuite colorés au beurre ou à l'huile d'olive. A la braise, c'est bien commode, elle s'évacue d'elle même