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Cuisine de la mer
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12 février 2009

Espadon Hemingway

Dure est la vie, durs sont les éléments, dur de vieillir aussi, pas tellement en soi (je ne me sens au demeurant pas concerné pour encore!), mais dans le regard des autres. Je viens de relire "Le vieil homme et la mer", d'Ernest Hemingway, quelle drôle d'histoire et quelle inquiétante leçon. Cette longue nouvelle est parue initialement dans la revue "Life", quelle étrange ironie pour une confrontation avec la mort...

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Franche leçon d'amitié, entre le vieux Santiago et son novice, que le père n'autorise plus à s'embarquer en pêche avec cet homme d'un passé perdu, qui ne ramène plus rien, le mauvais œil.  Ils vont néanmoins boire une bière "entre pêcheurs", sous les sarcasmes des gens ordinaires. Puis le jeune l'aide à gréer son bateau, à armer ses engins de pêche, harpons et lignes. Vogue la barque qu'il barre seul jusqu'à ce qu'il ferre "the big one", celui qui l'entraîne bien au delà de ses parages familiers, très loin vers sa mer extérieure et intérieure.

Douloureux combat de trois jours, entre l'homme usé et le grand espadon, à se demander lequel va en finir de l'autre.

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"Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C'est ton droit. Camarade, je n'ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi. Allez, vas-y, tue-moi. Ça m'est égal lequel de nous deux qui tue l'autre. Qu'est-ce que je raconte ? pensa-t-il. Voilà que je déraille. Faut garder la tête froide. Garde la tête froide et endure ton mal comme un homme. Ou comme un poisson."

L'homme finit par triompher, l'espadon est trop massif pour être hissé à bord, il l'amarre à couple et met le cap vers son port d'attaches (oui, au pluriel). Viennent alors les bêtes féroces, les requins qui s'invitent à un festin qui ne leur est pas servi. Le vieil homme se dresse, il tue des squales, ses dernières forces projetant des harpons mortels, mais il en vient trop.

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Il échoue enfin à bon port, sa belle prise n'est plus que squelette aux lambeauxde chair déchiquetée, les rapaces, les pilleurs de fortune ont tout dévoré. La leçon semble sage, on peut tout prendre à un homme, le détruire dans sa quête et ses conquêtes, mais on ne peut le vaincre, même en le privant de son bien et du sens de sa vie.

Hemingway, j'ai mis un certain temps à me l'approprier, lectures scolaires, "Pour qui sonne le glas" et  "Le vieil homme et la mer". Plus tard, je l'ai bien plus lu et j'ai souvent croisé son fantôme, tel une silhouette de Lord Kitchener de parade.

Au bar de l'hôtel Ritz maintes fois. Hemingway, qui était journaliste lors de la Seconde  Guerre mondiale, est entré dans Paris avec la Deuxième DB, Maréchal Leclerc et tout le tintouin. Il a demandé un char et une petite escouade, puis il a héroïquement foncé libérer le bar du Ritz.  J'aurais fait pareil à sa place, cet endroit est magique de paix, de légendes aussi.

Il y a plusieurs bars au Ritz, le Bar Vendôme est mon préféré avec son patio verdoyant,  je me souviens que son comptoir ne m'a jamais paru aussi allongé que lorsque j'y ai vu pour la dernière fois un vieux Gainsbourg sur de frêles jambes,  Ecce homo plus vrai que nature, je mets ce lien pour les inconditionnels. Le Bar Hemingway est idéal en saison froide, un vrai lounge à l'anglaise, on y trouve les meilleurs whiskies, un grand maître des cocktails et des souvenirs à fabriquer.

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Pas très loin, le Harry's Bar, rue Daunou, le plus vieux bar américain de Paris, construit en 1911 en copie conforme d'un bar de Manhattan détruit pour cause de prohibition. Hemingway le fréquentait le Harry's tout aussi assidûment, on raconte que c'est là que naquirent des breuvages aussi mythiques que le Bloody Mary et le Blue Lagoon.

Je suis également allé en Floride, tout en bas à quelques milles marins de Cuba, à Key West. Je me souviens m'être arrêté longuement devant la maison d'Hemingway, à ce point que mes potes, à peine moins gris que moi, sont venus me tirer par la manche, ne sachant si  je m'endormais sur place, si je réfléchissais, pleurais ou m'apprêtais à pisser contre le portail mercantile.

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Je pensais seulement à Hemingway et à ce que j'aime et déteste en lui. Sa grande conscience des êtres, ses phrases comme taillées au hachoir, il a inspiré Jack Kerouac et après lui, tous les écrivains de la Beat Génération, son besoin d'agir, son engagement au côté des républicains espagnols, Ava Gardner nue dans la piscine de sa résidence de Cuba... Au rebours, je déteste le viandard qu'il était, fou de corrida, de grandes chasses africaines et de pêche au gros (y compris de requins à la mitraillette), éleveur de coqs de combat, tout aussi prédateur en amour et ivrogne patenté. Voici une caricature qui résume assez bien ces aspects du personnage.

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Il s'est suicidé en 1961, alors que sévèrement diabétique, il devenait aveugle. Lui qui écrivait qu'il n'y a pas d'écrivain sans oreille, lui qui parlait du suicide de son père comme d'une lâcheté, dès lors comment faut-il prendre sa phrase : "Un homme, ça peut-être détruit, mais pas vaincu".

L'espadon

Ils en font peut-être un peu trop dans la vénération à l'Hôtel Ritz, puisque leur restaurant gastronomique, tenu par l'excellent Michel Roth (Bocuse d'or et MOF), est nommé L'Espadon. En fait, il le fut par Charles Ritz, ami d'Hemingway, comme lui un grand amateur de pêche, à la mouche comme au harpon. Je ne sais s'il y est encore, mais je me souviens d'un espadon naturalisé suspendu au dessus d'une porte qui m'avait fixé pendant tout un déjeuner, de son oeil rond et méchant.

espad

Ce poisson, je vous en dis quelques mots, car c'est la première fois (et sans doute la dernière), qu'il figure sur CdM. C'est un prédateur magnifique, avec ses dimensions  pouvant être impressionnantes (plus de 5 mètres de long et jusqu'à un poids de 500 kg). C'est l'un des plus puissants et plus rapides habitant des mers, il peut atteindre une vitesse de 130 km/h sur une courte distance et sonder jusqu'à 800 m de fond.  Ce sont ces performances qui en font une prise recherchée en pêche sportive.

espadon

Son rostre aplati en forme d'épée qui lui vaut son nom commun (espadon, swordfish en anglais, beg-sabrenn en breton), n'est pas seulement décoratif. Représentant environ le tiers de son corps, il lui sert de stabilisateur et pour tuer certaines proies. Il se nourrit d'à peu près tout, avec une préférence pour les céphalopodes et les méduses. On fait parfois le rapprochement entre la diminution du nombre de grands poissons chasseurs et la prolifération des méduses, mais les facteurs climatiques sont probablement bien plus influents.

skeleton

Un terrible prédateur donc, même son oeil est un engin de chasse dont ne disposent pas les autres poissons : on a découvert il y a peu qu'autour des yeux de l'espadon, il existe une zone "chauffée" par vascularisation, qui accentuerait son acuité visuelle.

Les gros poissons mangent les plus petits, qui eux mêmes ont mangé... etc..  Si bien que la mer étant assez largement polluée, les plus gros chasseurs en bout de chaîne alimentaire marine, ont ingurgité tous les éléments polluants ingérés et fixés par les proies successives, ils se trouvent ainsi très chargés en différents toxiques, comme les métaux lourds, entre autres gâteries. 

L'espadon est ainsi un véritable réservoir à méthylmercure (mercure sous forme organique). A ce point que les autorités sanitaires s'en sont inquiétées. Depuis 2006, l'Afssa déconseille ce poisson aux femmes enceintes ou allaitantes, et aux enfants de moins de 30 mois. Pour le reste de la population, ce n'est pas forcément une nourriture à privilégier. Il en va de même pour l'espadon voilier, le marlin et le siki (ce petit requin des profondeurs au ventre rugueux que vous apercevez parfois sur l'étal de votre poissonnier).

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Voici l'une des raisons pour lesquelles je disais plus haut que ce poisson ne faisait qu'un passage furtif sur ce blog, en dépit de sa saveur et de sa texture exceptionnelles. Les autres raisons en sont la sur-pêche accessoire ousemi-industrielle (et notamment en France, à l'île de la Réunion) qui exerce une pression sur la population juvénile, pression à laquelle les pratiques de pêche sportive s'ajoutent fortement. Ajoutez à cela que c'est plutôt un poisson de mers chaudes, qu'il faut donc transporter jusqu'à nos assiettes, et le tableau devient hideux...

Je n'en avais pas cuisiné depuis au moins une quinzaine d'années je crois, je voulais que ma fille en goûte au moins une fois, et pourquoi pas mettre un peu de lecture et de pédagogie sur CdM avant la recette que voici.

Espadon Hemingway

Habituellement, je n’apprécie pas les intitulés de recette qui n’informent pas un minimum sur le contenu de l’assiette, mais bon, c’est vraiment une thématique de littéraire géographe et gourmand qui m’a conduit à la réaliser, je l’ai voulue d'inspiration cubaine.

Je ne suis pas parvenu au résultat escompté, mon huile de rocou, pourtant achetée sur le marché de Fort-de-France n’avait pas ce pouvoir colorant en orangé vif que cette graine apporte au haddock et à quelques fromages comme la boulette d’Avesne, le livarot ou le cheddar.

J’ai cherché dans tout le Chinatown parisien une carambole mure et donc bien jaune, pour une décoration en étoile comme sur les drapeaux  communistes. J’ai par contre trouvé de belles et fraîches feuilles de bananier.

Carambole

Amateur de cigares, exclusivement de havanes, j’ai interrogé Françoise Izrael, la papesse parisienne des épices, pour vérifier s’il en existait une à base de tabac, et bien non pas à sa connaissance. J’ai donc rusé avec du thé fumé, non pas du Laspsang Souchong, version édulcorée pour délicats, mais du Tarry Souchong, qui sent le feu de bois au point que les voisins rappliquent avec un extincteur à chaque fois que je m’en prépare une théière. Oui, je bois du thé, contrairement à ce que prétend une rumeur malveillante…

Vous ne vous rendez pas compte du mal et des distances qu’on doit parfois s'imposer pour réaliser une recette,  même aussi simple que celle là!

Ingrédients

- escalopes de longe d’espadon
- huile de rocou
- purée de piment
- citron vert
- poivre de la Jamaïque moulu
- rhum blanc
- thé fumé
- beurre salé

Pour l’accompagnement

- riz cuit à la créole
- haricots rouges cuits
- un bel oignon
- thym
- quelques feuilles de bois d'Inde (ou de laurier à défaut)
- poivre de la Jamaïque moulu

Recette

Lavez et séchez les escalopes d’espadon, puis enduisez-les d’un mélange d’huile de rocou, de purée de piment et d’un trait de citron vert. Faites une tasse d’infusion bien corsée de thé très fumé.  Coupez environ 100g de beurre salé en petits cubes que vous placerez au frais. Mon huile de rocou, non seulement ne colorait pas vraiment, mais se figeait comme beurre au pôle nord!

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Au moins une heure après, faites fortement  chauffer à sec une poêle anti-adhésive et cuisez le poisson pas plus d’une minute sur chaque face (enfin, adaptez en fonction de l’épaisseur de vos morceaux, là j’avais vraiment le format escalope de veau). Une fois le poisson cuit, flambez d’un trait de rhum blanc, et réservez le au chaud, le temps de verser dans la poêle une petite tasse de thé fumé, de faire réduire ce jus et de l’émulsionner avec les petits morceaux de beurre bien froid. Vous arrosez le poissons avec cette sauce courte.

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L’accompagnement est un classique cubain, et même la nourriture de base de la plus grande partie de la population. On fait revenir un oignon grossièrement coupé, des haricots rouges cuits (j’ai ouvert une boîte) et rincés, dans du beurre et un peu d’huile, on ajoute du riz cuit également, beaucoup de thym, du sel et du poivre de la Jamaïque moulu. Un vrai délice, qu’on peut également agrémenter de grains de maïs, si on n’aime ça (uniquement en pop-corn , grillés ou en polenta en ce qui me concerne).

Si vous adoptez cette présentation sur feuille de bananier, lavez la très soigneusement, il suffit d'avoir vu les hélicos sulfater les plantations pour s'imposer quelques précautions. Pour que ce soit plus joli, frottez la d'un tampon gras pour qu'elle luise comme au soleil.

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Je termine ces quelques mots par un aparté d'ordre semi-privé. Une blogueuse m'a récemment éreinté dans un de ses billets, comme quoi j'écris bien trop long, que je me prends pour l'ayatollah du poisson, que je me suis affranchi de ma régularité de publication du vendredi, et que sais-je encore d'incongru. Oui, je publie ce billet un jeudi, le 12 février, car c'est la date d'anniversaire de cette insolente. Comme elle est aussi une championne d'escrime et une graphiste de talent, voici ma petite carte... en espérant qu'elle lise jusqu'ici ce billet dru, mais concis!

escrime

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Commentaires
L
Moi aussi, j'arrive sur votre blog et votre recette de l'espadon Hemingway et délicieux. Amusant, je trouve, je viens de partager une recette:Swordfish Niçoise - Espadon à la Niçoise. Et pas tellement surprenant, cela commence avec quelque mots du livre de EH,bien connu, The Old Man and the Sea. Et voila, l'association Hemingway-Espadon redux.<br /> <br /> <br /> <br /> http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=5309516305931073049#editor/target=post;postID=6995913904624808314<br /> <br /> <br /> <br /> Merci, <br /> <br /> L'Amerloc
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F
Je viens de découvrir votre blog. Quel régal , recettes comme humour, merci, rien a jeter ! Vos rubriques me font penser à celles de San Francisco ...je souris, je ris, tout est délice ! Encore, encore.
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V
Je me rappelle, tu m'avais parlé du coup du mercure, vite fait, un jour où j'avais fait un yassa avec de l'espadon. Je rejoins Gracianne, quel dommage, cuit je le trouve meilleur que le thon...<br /> Je comprends mieux maintenant, je pourrai expliquer à ceux qui me demandent ! (et aussi à ceux qui ne me demandent pas, hahaha, quelle boulet je suis)<br /> Très jolie quand même la recette, elle me plaît beaucoup ! Pour bien faire luire la feuille de banane, tu peux aussi la passer rapidement sur la flamme, elle devient luisante, c'est magnifique.<br /> Quant à Alex, elle a ce qu'elle mérite... quelle impertinence, je t'assure, ces filles de l'Hémisphère Sud !!! :-)
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A
Je dois avoir l'esprit contestataire, mais je préfère cent fois quand tu contes Hemingway que lorsque tu mimes la blogosphère! Tu es étonnant, Patrick, et présent lorsqu'on ne t'attend pas forcément. Une vraie belle surprise. Reste que cette huile de rocou (j'aime beaucoup le prononcé de ce mot !) ainsi que les autres ingrédients de ta recette me parlent. T'ai je dit que je ne cesse plus de réaliser des recettes de W. Ledeuil?
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C
C'est du lourd ton billet !<br /> Merci c'est passionnant.
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