Filets de lotte au jambon Iberico, sauce soubressade et flan de pois cassés
Je réalise en relisant ce titre, n’avoir pour encore rien raconté à propos du filet, un objet dont on fait pourtant grand cas non seulement en mer, mais aussi en cuisine. C'est une négligence incroyable, alors même que je prétends partager mes recettes sur le net!
Des filets de pêche
Le sujet est vaste, concentrons-nous d’abord sur les filets de pêche, dont l'origine remonterait à des pratiques ancestrales de l'île de Ré ou de la presqu'île de Retz, personne ne s'en souvient au juste, mais ce n'est guère important. Il est à noter que non loin de ces parages, un naufragé britannique aurait inventé la mytiliculture en tendant des filets dans la mer pour capturer des oiseaux. Un précurseur du beach-volley et un pan de notre histoire maritime que je vous ai déjà raconté ici.
Le filet allait rapidement devenir un engin incontournable sur les bateaux de pêche et dans le langage maritime, ainsi qu'en témoigne ce dialogue relevé au Moyen-âge sur une barque en Mer Celtique ("Les très riches heures du Duc de Lannilis", page deux à gauche en sortant).
- "Je n'ai pas la pêche patron, j'ai le filet dérivant, le chalut chahuté et la bolinche bourlinguée" déclarait le bosco au patron de la barque.- "Bougre de Fékussec, tant que tu voudras mettre en filets le mousse sur ton hamac, tu ne fileras pas droit", aurait répondu le vieux marin, qui avait contraint bien d'autres mutins à filer doux.
Le mot allait également envahir la nomenclature de la marine armée.
Des filets militaires
Militaires ou pirates, tous se référaient au filet, qu'ils cherchassent ou non maille à partir à d'autres navires. Ainsi, alors que le brigantin du fameux flibustier Barbe-Rose se faufilait en louvoyant sous les canons vomissant d'une frégate anglaise, son second vint le voir : - "Commandant, il n'y a pas un filet de brise, nous filons un mauvais coton!"
Le pirate cracha bout au vent et répliqua sèchement en dépit d'un copieux filet de salive resté sur ses lèvres confites au rhum : -"Trouilladec, nom de dieu, monte au filet et envoie les cacatois, on filera au moins deux nœuds de plus".
Sur le contre-torpilleur L'Insupportable où je servais en tant que Premier Maître-Queux, j'ai pu entendre cet échange entre deux amiraux, dont une amirale :
- "J'ai le filet mignon, mais le contrefilet nerveux", avouait la contre-amirale à l'amiral au large des côtes philippines.
- "Ma chère Tifenugrec", lui répondit celui-ci, "Tant qu’il vous reste un filet de vie et un filet de voix, tous les espoirs sont permis"
De la mer à la cuisine, il n'y a qu'une palme à franchir, comme ce blog l'illustre par entrefilets.
Des filets à provision
En cuisine également, le filet tient une place importante. C'est d'abord l'objet qui permet de rassembler la matière première. Un objet précurseur de la bobiosphère, tellement pratique et moins polluant que les sacs en plastique, heureusement en voie de disparition sous leur forme gratuite…
On n’imagine pas le nombre de filets accommodés en cuisine, de poissons bien entendu, mais aussi filets de bœuf et d’autres ruminants, filets de canard et d’autres volatiles, filets de vinaigre et d’autres liquides à marée basse.
Il faut bien entendu se méfier des imitations, en particulier du faux-filet, qu'il ne faut pas hésiter à acheter comme un faux-jeton avec de faux billets. Ou des contrefaçons telles le contrefilet qu’on se procure normalement en contrebande. Restons également, en référence à ce passé maritime qui nous remonte à la gorge, dubitatif à l’égard des filets à l’anglaise ou du sucre filé.
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Des filets fantômes
Je ne rigole plus là. Il s’agit des engins de pêche perdus chaque année par les flottilles, qui dérivent par toutes les mers, et continuent à pêcher tels des pièges mortels et inutiles. Au début des années 80, la FAO considérait déjà cette question comme un problème majeur; on considère aujourd’hui que 10% de la masse des déchets présents dans les mers sont des engins de pêche. Du casier perdu qui est une cage, aux murs de filets maillant (les filets dérivant ont heureusement été interdits) pouvant atteindre de 600 à 10 000 mètres de long !
Ces engins continuent à pêcher, ils sont conçus pour ça. La seule façon de les éradiquer est de les… repêcher. Des récompenses sont prévues pour ceux qui en ramènent à terre, l’idéal serait de prévoir des engins biodégradables. Sacré coup de filet, le pêcheur payé pour pêcher des filets en lieu et place des poissons que nous faisons disparaître par tant de moyens… Pour en savoir plus, vous pouvez aller lire cet article paru sur « Univers-Nature». Parmi les principales victimes de ces engins à la dérive, il y a les tortues marines...
Bon, ce n’est pas tout de causer, le temps file, il est temps comme on dit en Bloggosphérie, que je provoque des filets de bave sur les claviers…
Filets de lotte au jabugo, sauce à la soubressade et flan de pois cassés
Ingrédients
Pour le poisson
- une lotte
- une tranche un peu épaisse de jabugo
- beurre
- huile d'olive
- sel et poivre
Pour la sauce
- une soubressade douce
- bouillon de volaille
- huile d'olive
- piment d'Espelette
Pour l'accompagnement
- pois cassés
- bouquet garni
- œufs
- crème
- lait
- macis
- oignons blancs frais
Cette recette est partiellement inspirée d'un plat servi dans un restaurant lyonnais que j'aimais beaucoup auparavant, et pas seulement parce qu'on y mange en excellente compagnie. La dernière fois que nous y étions, en avril dernier, il m'a été servi une belle côte de carré de porc, mais trop cuite jusqu'à l'étouffement, avec quelques légumes glacés genre retraite de Russie, c'est à dire froids et désordonnés. Le tout baignait dans une sauce à la soubressade, dont j'ai toutefois bien aimé le principe, et décidé illico de l'adapter à un poisson.
Recette
Préparez le poisson, enlevez soigneusement la peau et levez les filets. Tronçonnez les en portions, en réservant les parures et les morceaux fins de la queue pour un curry par exemple.
Entaillez les portions, de manière à les contiser d'une belle lanière de jabugo. Vous pouvez utiliser n'importe quel jambon sec, y compris du Bayonne. Placez une lanière dans cette entaille, et faites tenir de deux tours de ficelle, pour faciliter la cuisson à la poêle.
Préparez la sauce, dépouillez la quantité de soubressade dont vous avez besoin. Passez-la au blender avec en volume les deux-tiers de bouillon de volaille. Ajoutez de l'huile d'olive, et du piment d'Espelette si vous souhaitez la corser. Il vaut mieux réaliser la recette avec une soubressade douce, car les fortes peuvent l'être vraiment, quitte à ensuite ajouter du piment à votre goût.
Préparez l'appareil à flan, cuisez les pois cassés à petit feu avec un bouquet garni, jusqu'à ce qu'ils soient pratiquement réduits en purée (cela peu prendre deux heures ou moins en fonction des pois, du taux de calcaire dans l'eau etc.). En tout état de cause, ne salez qu'en fin de cuisson. Ne mettez pas trop d'eau au départ, mais rajoutez-en au fur et à mesure qu’elle est absorbée, de façon à obtenir une purée bien liée.
Une fois cette purée tiédie, ajoutez de la crème, et détendez là avec du lait afinqu'elle ne soit pas compacte. Ajoutez des œufs (environ un œuf pour 150g de purée) du sel et du macis. Placez les dans des ramequins et passez au four environ 20 minutes à 160° (ils sont cuits quand ils sont gonflés et commencent à craqueler en surface). Tenez au chaud dans le même bain-marie (couverts et tenus à 70°).
Cuisez les filets de lotte à la poêle, dans un mélange de beurre et d’huile d’olive, en arrosant copieusement. Réchauffez la sauce dans une casserole en la fouettant régulièrement. Une fois le poisson cuit, disposez en assiette chaude, enlevez les ficelles, placez les flans). Terminez par une généreuse flaque de sauce.
Oups, je vois que j'ai oublié l'oignon de la photo dans les ingrédients, et pourtant sa saveur apporte beaucoup au plat, elle se marie très bien à celle de la soubressade. Alors je le rajoute ci-dessus et je précise qu'il est cuit à l'eau bouillante salée deux minutes, puis plongé dans de l'eau glacée. Il est ensuite mis à réchauffer dans la poêle où cuit la lotte.
Dans le doute, j’ai laissé les flans dans les ramequins car j’avais oublié d’en beurrer les parois, mais même ainsi, j’ai constaté pour la seconde assiette qu’ils se démoulaient très bien. J'avais mis une pincée de pimenton par dessus avant cuisson, ce serait mieux après, car il a grillé!
Je remarque également que mes morceaux de lottes ressemblent plus à des pavés qu’à des filets. Le pavé, voilà un bon sujet également…
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