Filet de barbue aux brocolis et tomates cerises
Pour les distraits ou ceux qui auraient raté le précédent billet, je me permets de rappeler à votre attention que, une fois n'est pas coutume, j'organise avec mes petits moyens mais un jury d'élite un "Concours de recettes simples de la la mer parfois compliquée", auquel sont conviés à participer non seulement les blogueurs, mais tout passager qui le souhaiterait. Les détails sont sur ce billet ou sur cette page Facebook.
Une fois n'est toujours pas coutume, puisque c'est la Saint Patrick et qu'il s'agit d'une recette à la vapeur, je vous propose d'écouter la mélancolique version de Sinéad O'Connor du fameux Foggy Dew, qui comme chacun le sait, signifie "Rosée Brumeuse".
De brumes, vapeurs et brouillards, il va en être question....
Vapeur est sans reproche
C'est en substance ce que je me disais l'autre jour en goûtant ces filets de barbue cuits impeccablement, émollients et à la saveur préservée. Le principal mérite de la cuisson à la vapeur est de ne pas diluer les saveurs, comme dans le cas du pochage, où on est obligé d'aromatiser le court-bouillon pour compenser la perte de saveur dans l'eau.
Cela m'a conduit à utiliser cette méthode de cuisson pour nombre de produits de la mer, les poissons bien sûr, mais aussi et surtout les crustacés (homard, araignée ou dormeur), et certains coquillages, comme les moules, ou alors les couteaux pour simplement les ouvrir sans avoir à trop remuer dans une gamelle leurs fragiles coquilles.
Brumes et brouillards sont les vapeurs de la nature, les marins les craignent moins que les tempêtes, car alors la mer est presque d'huile. Le marin de bon matin toutefois, a parfois l'esprit embrumé de vapeurs sifflantes et nulle corne de brume ne peut écarter le danger. Seul agit comme le chantent (traduction libre) les irlandais dans la ballade ci-dessus, le petit rosé des aubes de brouillard.
N'empêche que lors d'aurores un peu trop glorieuses, j'ai pu tomber dans les vapes sur un vague quai des brumes. N'empêche aussi que certains matins en relevant mes casiers, je me suis égaré dans un brouillard à couper à la mandoline (on est cuisinier ou on ne l'est pas, et on fait une brunoise), ne sachant plus si je devais rentrer à la voile ou à la vapeur.
J'ai finalement opté pour naviguer à l'estime, parce que steam, c'est la vapeur, et steam-boat, un bateau à vapeur; à hélices, comme des escargots en route vers Valparaiso, ou à roues à aubes, comme des communiantes en digue de Nantes.
Enfin bref, tout ceci n'est que la représentation qu'on s'en fait, la vapeur en soi est invisible, c'est de l'eau en gaz et non de l'eau gazeuse. Le brouillard sur la mer, la brume sur les étangs ou la vapeur s'échappant de nos bouilloire, c'est à nouveau de l'eau, condensée au contact de l'air plus frais. Brume de chaleur donc...
La vapeur d'eau est le principal gaz à effet de serre. Plus l'air chauffe, et plus il y a de vapeur; plus on produit de vapeur, et plus on chauffe l'air. Bref, si vous êtes un super-militant de la planète, ne vous contentez pas de rouler en vélo en expirant le moins possible, mais coupez court aux dim-sun en tout genre, renoncez aux hammam et aux saunas, ces endroits où on va se faire suer les légumes et le reste avec, ne vous lavez qu'à l'eau froide, repassez à sec et ne cuisez plus les nouilles.
Ce qui me rappelle au passage une joliesse de ma fille toute petite, alors que nous passions devant les tours de refroidissement d'une centrale nucléaire, crachant son épais volute de vapeur.
-"Sais tu ce qu'est cette usine, Mathilde?"
-"Oui, c'est pour mettre les nuages dans le ciel."
La vapeur n'attend pas le nombre des apnées
Ce n'est ni une réflexion de cachalot venu souffler en surface ni un remake de l'apnée des méduses, mais un propos de Papin, non pas le Bref, mais le Denis, ancêtre dit-on de la Mère éponyme, qui outre la machine à laver eût aimé connaître le fer à repasser à vapeur, l'aspirateur à vapeur et le Vapeur Camembert.
Je ne pouvais pas aborder ce sujet sans évoquer brièvement l'inventeur de la machine à vapeur, il fut également à l'origine l'inventeur de deux procédés parfaitement en ligne avec celle éditoriale de CdM, cuisine et mer
En cuisine tout d'abord, il inventa le "digestoire", un engin destiné à cuire les aliments à la vapeur sous-pression. L'ancêtre de la cocotte-minute donc, un engin que je ne n'utilise quasiment jamais, mais je trouvais utile de le rappeler.
Utilisant non pas cette fois la vapeur, mais le vide et la pression, il fut à l'origine du sous-marin, avec ce cube qu'il nomma "urinoire". N'allez pas en conclure des choses scabreuses, en latin, "urinare" signifie "plonger".
Je vous explique, cette bulle carrée immergée juste sous la surface n'avait qu'un but d'observation, permettant à un espion d'être proche des navires ennemis sans en être vu. Notez toutefois que les installations sanitaires y sont très sommaires.
Bon allez, ma bouilloire siffle la fin de la récréation, il est grand temps que je me remette aux fourneaux...
Filet de barbue aux brocolis et tomates cerises
Ingrédients
- une barbue en quatre filets
- une tête de brocolis
- une douzaine de tomates cereises
- eau de végétation de tomates
- huile d'olive aromatisée à la truffe
- vinaigre balsamique de Modène
- une gousse d'ail
- huile d'olive au citron
- fleur de sel
- poivre blanc
La barbue est un fameux poisson, qui vaut largement le turbot, sauf pour les très grosses pièces où la chair du turbot est incomparable, mais elles sont hélas assez rares et hors de prix. La barbue reste au contraire relativement abordable, c'est un poisson qui figure assez régulièrement sur ce blog, c'est ici que je vous parle de ses moeurs.
L'eau de végétation des tomates, c'est celle qui entoure les graines et celle qui s'écoule lorsqu'on les épluche. Pour confectionner cette recette, vous devez soit en avoir au frais, soit prévoir de cuisiner des tomates confites ou à la provençale, voire une salade ou ce que vous voudrez...
L'huile aromatisée à la truffe est un rare délice, qui agrémente très bien les légumes, singulièrement les légumes verts. Quant à l'huile d'olive au citron, on en trouve de tout poil et de pires, préférez celle de Ligurie, élaborée avec les citrons pressés en même temps que les olives, c'est un must!
Recette
Préparez le brocolis. Moi qui ne supporte pas bien le chou en général, je n'utilise vraiment que les sommités de la plante. Cuisez les à l'italienne : dans une grande quantité d'eau bouillante salée, faites les blanchir une minute, puis trempez les immédiatement dans de l'eau glacée. Ils conserveront ainsi leur croquant, une couleur magnifique et une petite saveur sucrée bienvenue.
Prenez autant de bonnes tomates que vous voudrez, épépinez-les et conserver les graines et l'eau de végétation, recueillez cette dernière en foulant les graines dans une passette. Mélangez cette eau avec un peu d'huile de truffe et un peu de vinaigre "balsamique" de Modène (de qualité, 10 ans au moins). Pelez la gousse d'ail, écrasez la d'un coup de lame de couteau, et mettez la dans ce mélange pour le parfumer sans plus. Assaisonnez de sel et de poivre.
Les tomates cerises sont simplement roulées dans un peu de vinaigre (cidre, Banyuls, miel ou autre apportant une note un peu douce), puis elles sont mises pour une heure au four sur un papier sulfurisé (d'où l'intérêt de préparer en même temps des tomates confites ou à la provençale!)
Levez les filets de barbue et enlevez la peau (on pourrait la laisser, mais je ne suis pas très amateur de peau de poisson à la vapeur, sauf si elle s'enlève facilement, ce qui n'est pas le cas pour la barbue), ou faites réaliser cette chirugie par votre poissonnier s'il est plus compétent que vous, ce n'est pas gagné d'avance! Lavez les, pas besoin de les sécher car ils cuiront à la vapeur.
Quelques minutes avant de servir, mettez les brocolis à réchauffer doucement dans une poêle avec un trait d'huile d'olive. Placez les filets de barbue dans un cuit vapeur déjà en ébullition, ils cuiront en trois ou quatre minutes selon leur épaisseur. Ici, j'avais des filets peu épais, trois minutes ont suffit. Attention au delà, la chair devient cotonneuse et sèche.
Pour le dressage dans des assiettes chaudes de préférence, vous alignez les brocolis que vous surmontez des tomates cerises. Vous assaisonnez d'une cuiller ou deux de la sauce à l'eau de végétation de tomates. Puis vous déposez le filet de poisson que vous arrosez ainsi que ses pourtours de quelques traits d'huile au citron. Saupoudrez de fleur de sel et de poivre blanc.
C'est diététique et très bon, les trois générations de femmes à qui j'ai servi cette assiette lors de la fête des grand-mères (et pourtant, cette fête, hein?), étaient ravies. On a bu des Blanches Bergères de chez Jo Pithon, cela s'imposait...