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Cuisine de la mer
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1 avril 2010

Boucané de mergule nain

Voici quelques mois, en visitant le Musée des Morutiers de Bar-le-Duc, j'ai découvert l'existence du mergule nain, [Alle alle  (Linnaeus, 1758)], qui ne vit pas à Bora-Bora, mais aux limites du cercle arctique, même s'il est fréquent de le rencontrer sur les rivages plus méridionaux du Royaume-Uni et plus rarement sur ceux d'Europe continentale, où il vient hiverner. C'est un oiseau marin, le plus petit de l'ordre des alcidés, au sein duquel on trouve également le pingouin, le guillemot et le macareux. 

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J'ai plus récemment découvert qu'il est très comestible, grâce à un ami naturaliste à son retour du Groenland. J'aurais préféré pour l'occasion rester dans l'ambiance des blogs de cuisine et vous préparer des macarons au macareux, mais vous me connaissez, je n'ai pas l'alcidé sulfureux. Remettons-nous dans le contexte

Faute de merguez, mangeons des mergules

Depuis que vous fréquentez ce blog, la pêche à la morue n'a plus de secret pour vous, ni la dureté du métier ni la fierté des hommes ne vous sont inconnus; vous ignorez toutefois à quel point cette histoire fut constellée de drames éparpillés.

Contrairement à une idée faussement répandue mais bien reçue, les trucideurs de morues (qui à ce stade ne sont encore que des cabillauds), ne pêchaient pas depuis leurs gros navires ventrus à la poupe carrée, ancêtres des bateaux-usines, où on vidait, apprêtait, salait et stockait le stockfish. 

La pêche se pratiquait à partir des doris, petites embarcations qui se manœuvraient aux avirons, mais qu'il était possible de gréer en voilier. Deux hommes, un patron (de barre) et un matelot y embarquaient avec leur attirail de pêche, de longues lignes munies de dizaines d'hameçons, des bulots ou des capelans pour boetter, et comme seul viatique quelques biscuits de mer et un peu d'eau.

Doris

La saison était courte, il ne fallait pas perdre de temps. On ne s'arrêtait de pêcher que lorsque la mer était si mauvaise que les cabillauds eux-mêmes en perdaient l'appétit. Le brouillard était toutefois le phénomène le plus redouté, et croyez-moi, il est là-haut très fréquent et encore plus épais que l'humour de [espace contre-publicitaire à louer].

Seule la cloche du navire permettait aux pêcheurs de le situer dans l'immensité cotonneuse, et lorsqu'ils ne l'entendaient plus, c'était un peu comme si sonnait leur glas. Bien des hommes furent ainsi perdus en mer, non en raison de la perfidie des tempêtes, mais de la traîtrise des brumes (pour en savoir plus sur la traîtrise des brumes, merci de consulter ce billet).  

doris1

Ils finissaient souvent par toucher une terre, si on peut donner le nom de terre à un bout d'ilot aussi froid que nu, âpres havres où ces pauvres hères déshérités ne pouvaient qu'espérer en la pluie et en leur ténacité pour survivre quelques mois avant le grand hiver, avec l'espoir ténu qu'ils fussent secourus.

Une vie rude de souffrance et de privation les attendait, avec pour seules nourritures les poissons, quelques coquillages arrachés à l'estran, et les oiseaux de mer qu'ils pouvaient attraper. Parmi ces derniers, le mergule nain était (et est toujours) un gibier de choix, petit et tendre, dodu et facile à capturer, en quelques sortes l'ortolan polaire, la grive du givre ou la caille du froid. 

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Affublé d'un bec bref et d'un cou court, cet oiseau ne se nourrit pas à l'instar de ses congénères de poissons, qu'il ne peut saisir et avaler en longueur. Il lui faut des proies trapues, essentiellement des crustacés planctoniques (voir la première image) qu'il capture en nageant entre deux eaux, se propulsant plus des ailes que des pattes, selon la déplorable habitude commune à cette famille. 

Ce régime spécifique lui procure non seulement une saveur sans pareille, mais aussi la surprenante teinte orangée de sa peau. Il serait un peu plus haut perché, on le surnommerait le flamand d'Islande, bien que ses plumes ne soient pas colorées, au contraire elle sont blanches et noires, la partie blanche augmentant en période nuptiale, comme sur le drapeau breton.

Ses courtes ailes ne lui autorisent que des vols de proximité et font de lui une proie facile, au point qu'il renonce souvent à fuir le danger, préférant l'intimidation. Menacé, il se dresse en une posture belliqueuse, bombant le torse et dressant les ailes. Avec un peu plus d'envergure, on le surnommerait la buse de l'Arctique...

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Mergule nain en colère

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Mergule nain à moitié en colère

Les robinsons du grand nord et autre Polémique Victor de passage ne sont pas les seuls amateurs de cet oiseau étonnant. Ses prédateurs sont les autres oiseaux de mer, les poissons et les mammifères marins. Les mouettes affamées, comme les mergules nains anodins, reviennent au printemps. Les navigateurs le savent, on les entend souvent affirmer "Sea-gulls come back for spring", ce qui à Bar-le-Duc se traduit par "Les cigognes reviennent au printemps". Et hop, le mergule dans la gueule de la sea-gull goulue, attention, c'est insoutenable :

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"Allez, allez... avance mergule!"

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"Oh grande mouette, que vous avez un long bec!"

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"C'est pour mieux te becter, mon enfant"

(Crédit photos Birdblog)

Je me demande du coup quel goût aurait une mouette exclusivement nourrie aux mergules nains? En dépit de toutes les convoitises dont il est l'objet, le mergule pullule, la colonie du Groenland compterait dans les 25 millions d'individus, auxquels s'ajoutent plusieurs millions disséminés dans les îles et archipels nordiques. Son mode d'alimentation où il n'a pas beaucoup de concurrents, explique cette prospérité.

mergull

(Crédit photo)

Les mergules nains vivent en mer, la nidification les ramène à terre, en de vastes colonies bruyantes et odorantes, les remugles des mergules étant particulièrement puissants. La maman dépose dans les roches un seul oeuf, un gros, ce qui permet à l'oisillon de bien se développer avant l'éclosion. Lorsque ce dernier est en âge de se réchauffer seul, c'est le père qui le conduit à la mer. 

Boucané de mergule nain

Ingrédients

- mergules nains boucanés 
- purée de pimientos del piquillo
- oignon rouge

Le plus difficile de la recette est bien entendu de disposer d'un ou plusieurs mergules nains, autant vous dire qu'on ne les trouve pas dans le commerce en France. C'est cet ami de passage à la maison qui m'a apporté ce trophée, il rentrait d'une baie au nom imprononçable du Groenland, où il comptait les animaux pour le compte d'une ONG, chacun s'occupe comme il le veut!

"Tiens, je t'ai rapporté des scandales gastronomiques, je sais que tu préfères ça à une poupée folklorique" Et le voila qui nous sort de son sac à dos non seulement le mergule, mais des saucisses fumées de phoque et un bout de viande  boucanée qu'il a prétendu être de baleine, mais j'ai un doute, son organisation étant justement connue pour sa lutte contre les baleiniers; cela dit, rien n'arrête ce garçon dans l'excès... Enfin, voici le butin. Sur ces photos, on distingue bien la peau et la chair orangées de l'oiseau.

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Recette

Je ne sais pas s'il est possible de parler de recette, tant j'ai opté pour la simplicité... Lorsque je goûte un produit pour la première fois, je tente de le cuisiner le plus sobrement possible pour n'en point masquer la saveur.

J'ai choisi la purée de pimientos de piquillo pour apporter un contraste ensoleillé et une douceur venant tempérer la saveur de gibier salé du mergule nain. Je l'ai relevée d'un peu de piment d'Espelette, de quelques gouttes de vinaigre balsamique et d'une cuillerée d'huile d'olive pour la faire briller.

L'oignon rouge procède d'une démarche souvent utilisée lorsqu'on apprête des mets marins très salés, comme le hareng saur par exemple, il tempère l'excès de sapidité. Vous n'en voyez ici que quelques anneaux en décoration, mais j'en ai présenté quelques rouelles à part.

Le mergule nain est coupé en deux, puis réchauffé au four, à couvert pour ne pas le sécher. Il est ensuite simplement dressé en assiette, au fond de laquelle est déposée la purée de pimientos del piquillo, laissée à température ambiante. 

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Très honnêtement, je n'en ferai pas des folies, ça ne vaut pas un rouge-gorge dûment bardé et cuit aux sarments... J'ai un peu eu l'impression de manger un perdreau qui aurait mariné dans le nuoc-mam, avec de surcroit une saveur  âcre due au fumage à je ne sais quel bois, herbe ou algue, mais surement pas du copeau de hêtre ou de pommier! Croyez le ou non, ma fille s'est régalée, je suis tenu de lui en refaire, ça ne va pas être simple... enfin, on verra si elle fera autant la fière devant la saucisse de phoque - purée, je vous raconterai...

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A propos de "simple", je me permets de vous rappeler que le "Concours de recettes simples de la mer parfois compliquée" poursuit vaillamment sa petite croisière dans vos cuisines. Vous avez encore une dizaine de jours pour y participer, tous les détails sont sur ce billet ou sur cette page Facebook

 

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