Salade de poulpe à l'orange (et quelques criminels)
Entre nous, c'est rigolo d'avoir une copine cuisinière-légiste, qui sait inventer des recettes à partir du récit de la vie d'horribles méchants. Une belle inspiration littéraire, une plume drôle, fluide et très documentée, il s'agit du dernier livre d'Esterelle Payany "Les criminels passent à table : 30 recettes vraiment mortelles des méchants de la littérature".
Vous me connaissez, j'aime qu'on me raconte des histoires autour de la table, c'était d'ailleurs l'un des critères de choix du "Concours de Recettes Simples de la Mer", dont nous n'allons pas tarder à vous donner le palmarès. Alors forcément, j'ai beaucoup aimé ce livre, la finesse des portraits, les extraits littéraires choisis qui révèlent (s'il en est besoin) la profondeur de la culture littéraire de l'auteure. J'aime beaucoup aussi les illustrations drôles et pertinentes, tout comme la parfaite adéquation des recettes aux personnages, d'ailleurs j'ai découvert des méchants -et surtout des vilaines- que je ne connaissais pas, ça va me donner des idées...
Pour en découvrir plus, je vous invite à aller consulter l'interview d'Esterelle réalisée avec un vrai talent de questions par Anne, sur Papilles et Pupilles. De même que pour découvrir une partie de l'esprit de ce livre, je vous suggère de passer sur Esterkitchen, où est reproduit un inédit qui n'a pas trouvé place dans l'ouvrage. Serial killer et beurre aux fleurs, presque un poème!
De mon côté, je vais me contenter de m'amuser un peu dans la même veine, sauf que non seulement je n'écris pas aussi bien, hélas, mais de plus, je ne suis pas très sérieux dans mon boulot de blogueur et trop fainéant pour me lancer dans l'écriture d'un bouquin. Alors voici (entre autres) ce que m'a inspiré la plongée dans ce livre de cuisine pas comme les autres, Esterelle, pardon par avance!
(Merci Mathilde pour ce montage!)
Comme tout bon livre de cuisine, il comporte un index des recettes, or dans celui-ci ne figure aucune recette comportant des produits de la mer, sinon quelques algues dans les biscuits de mer de mon collègue Long John Silver (délicieux au demeurant, j'ai eu la chance de les goûter lors d'une séance de dédicace). Certes, je trouve réconfortant de constater que la cuisine de la mer n'est pas un truc de méchants, mais quand même...
Je me devais donc de réparer cette pénurie, avec si possible un produit qu'Esterelle affectionne et une recette teintée de la Méditerranée chère à son coeur. Il ne me restait plus qu'à trouver le méchant, un casting s'imposait où se sont présentées des bobines barbues.
Barbe Noire
De son vrai nom Edward Teach, ou plus probablement Edward Drummond si on en croit Daniel Defoe, il fut l'un des pirates les plus cruels et téméraires des Caraïbes. Il finit par être arraisonné par un navire anglais, Le Pearl. On l'a souvent vu au cinéma, et la rumeur prétend qu'il fera une entrée remarquée dans le quatrième opus de "Pirates des Caraïbes".
Barbe Rouge
Je suis né avec Barbe Rouge, alias Le Démon des Caraïbes; c'est en effet en 1959 que la bande dessinée de Charlier et Hubinon est parue dans le premier numéro du Journal Pilote (matin...). Je possède bien entendu tous les albums de la série et je m'y replonge régulièrement. Barbe Rouge figure régulièrement aussi dans les albums d'Astérix où il m'amuse, tandis que sa représentation donnée au cinéma par Alain Chabat m'a juste consterné...
Barbe Bleue
Celui-ci n'est pas un pirate, mais un garçon plutôt spécialisé dans les penderies, le crime de placard, comme on dit sur les blogs culinaires. Il tuait ses femmes, il semble que le personnage ait été inspiré à Charles Perrault par le roi anglais Henri VIII, monarque qui eut six épouses dont aucune ne survécu. Certains veulent y voir Gilles de Rais, mais ce dernier s'expliquait plutôt dans la magie noire et le sacrifice rituel d'enfants.
Barbe à poulpes
Ce beau pirate aux yeux bleus a pactisé avec le diable par dépit amoureux. Il fut ainsi doté de pouvoirs fantastiques, en particulier d'être le maître du Kraken, pieuvre géante assez grande pour entraîner les navires par le fond. Davy Jones avait donc toutes les chances d'être retenu pour illustrer une recette de poulpe, mais si vous comptez attentivement les tentacules de sa barbe, vous vous rendez vite compte qu'il s'agit d'un déguisement et non d'un octopode.
Barberousse
C'est bien entendu lui que j'ai retenu, un pirate de la Méditerranée, qui aurait pu goûter à cette salade aux accents du Maghreb. Ainé d'une fratrie de quatre, Aroudj se mit au service des turcs. C'est ainsi d'ailleurs qu'il y gagna son surnom, puisque de "Baba Aroudj" ("baba" est un titre honorifique), les occidentaux firent "Barbe Rousse", alors qu'il l'avait chataîne.
Avec ses janissaires particulièrement brutaux, il s'empara de Tunis puis d'Alger (où il fit égorger le roi dans son bain et pendre les dignitaires aux remparts du Penon). Cette ville devint alors le nid d'où des dynasties de pirates barbaresques allèrent écumer la Méditerranée occidentale, et cela jusqu'au débarquement des français.
C'était un vrai sale type, auquel il ne faisait pas bon chercher des poulpes dans la tête... Une discipline de fer régnait sur ses chébeks, où lorsque le terrible chat à neuf queues était usé sur le dos des marins, il ordonnait de pêcher un poulpe afin de pouvoir continuer à les fouetter. Inutile de vous préciser qu'ensuite, la créature était parfaitement attendrie et prête à cuire dans un poulpeton (je parle du poulpe, pas du marin).
Avec les femmes c'était pareil, il surgissait vent en poulpe dans les harems, et pas question de poulpée qui fasse non, non, non, même si d'après la rumeur, il ne cassait pas trois pattes à un calmar. (En aparté, je me demande comment se nomme la femme du poulpe, poulpette, pieuvre, poulpeuse, ou carrément poulpoupidou?)
Bon j'arrête, et je file me cacher en cuisine, pour cette recette que je pense, ce brave homme aurait aimé déguster tranquillement sur la plage de Tipaza.
Salade de poulpe à l'orange
Ingrédients
Pour la cuisson du poulpe:
- deux poulpes de un kilo environ
- une orange
- une papaye
- branchettes de fenouil
- feuilles de laurier
- trois gousses d'ail
- quatre échalotes
- graines de coriandre
- gros sel
Pour la salade :
- deux oranges
- un petit bulbe de fenouil
- un oignon rouge
- deux poivrons "corne" verts ou jaunes (les rouges sont moins pimentés)
- trois petits oignons blancs frais
- feuilles de menthe marocaine
- ras-el hanout
- poivre noir
- huile d'olive "ardente" (avec pas mal d'acidité)
Choisissez si vous le pouvez du poulpe de roche, si vous en trouvez, ils sont assez rares. Ils sont réputés plus tendres et savoureux que les poulpes des sables, mais certains prétendent exactement le contraire. Ce sont en tout cas les premiers qui sont servis chez Ducasse à la table du Louis XIV à Monaco. Sachez également que c'est au printemps que les poulpes en général sont les meilleurs et les moins coriaces.
Recette
Il faut commencer par préparer les poulpes. Séparez la tête des tentacules, en coupant au dessus de la bouche, dont vous ôterez alors facilement le bec. Retournez alors le capuchon de la tête, pour mettre les organes de la bestiole à l'air, et enlevez tout. Évitez de percer la poche d'encre, elle noircit la chair qu'il faut beaucoup laver ensuite, elle n'a pas la même valeur gastronomique que celle de la seiche. Ensuite vous séparez les tentacules. Ne vous embêtez pas trop à enlever la pellicule de peau, c'est plus facile après cuisson.
Je vous ai déjà parlé ici des différentes possibilités qui s'offrent au cuisinier pour attendrir les poulpes, la plus efficace me semblait être de les congeler (après s'être assuré de ne pas avoir acheté du poulpe déjà décongelé, ce qui est fréquent), mais il faut en avoir le temps, voire l'envie, or je n'avais ni l'un ni l'autre. J'ai combiné trois techniques qui m'ont donné un résultat impeccable, presque trop tendre!
- La première, je l'utilise pour tous les céphalopodes, elle consiste à démarrer la cuisson à froid, même lorsqu'il s'agit de les poêler. Ici, j'ai préparé mon court bouillon avec les ingrédients de la première liste (dont le jus et le zeste de l'orange préalablement prélevé au couteau économe), et je l'ai laissé refroidir avant de démarrer la cuisson du poulpe, à frémissement vingt-cinq minutes après l'ébullition...
- La seconde technique, je l'ai lue fortuitement sur un forum, où il était dit que les habitants de je ne sais plus quelle contrée, font cuire le poulpe avec de la papaye verte, et qu'il avait été constaté que la papaïne a la propriété d'en attendrir la chair. Je me suis contenté de la couper en morceaux et de la mettre dans le court bouillon, avec les graines. Je n'ai pas trouvé de papaye verte sur le marché, j'en ai pris une pas trop mure, je pense que c'est surtout une question de saveur plus ou moins neutre.
- La troisième technique, je l'ai empruntée à celle des bulots, une autre bestiole coriace, elle consiste à les laisser refroidir dans l'eau de cuisson. Je les ai sortis encore tièdes (pressé je vous dis!), et second bénéfice, la peau s'est alors enlevée avec une facilité déconcertante. Il ne sert toutefois à rien de s'acharner à enlever cette peau jusqu'au bout des tentacules! Par ailleurs, la poulpe prend bien ainsi la saveur du bouillon de cuisson
Coupez les tentacules en tronçons, plus longs dans leur partie fine, le capuchon en bracelets et réservez.
Préparez les ingrédients de la salade : Lavez et ciselez une douzaine de feuilles de menthe marocaine. Pelez les deux oranges à vif, et prélevez les quartiers sans les peaux. Coupez le bulbe de fenouil en lamelles, l'oignon rouge et les poivrons en fines rondelles (sans leurs graines et leurs parties blanches), et enfin les oignons blanc en petits dés.
Mélangez le tout, ajoutez du ras-el-hanout (une cuiller à café rase), du poivre noir, du sel si nécessaire et de l'huile d'olive. Conservez au frais avant de servir.
Vous noterez que cette recette ne comporte pas d'alcool, pas de vin pour la cuisson du poulpe, pas même de vinaigre dans l'assaisonnement. Barberousse était mulsuman, et j'ai respecté cette observance. Ce qui ne m'a pas empêché de l'accompagner d'un bon Faugères rouge, une Cuvée tradition de chez Barral qui s'ennuyait dans la cave.