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Cuisine de la mer
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21 mai 2010

Tempura d'algues et d'anémones

Nul n'est prophète en son pays, je ne trouve rien à redire à cette maxime; pour autant, je n'étais pas préparé à me sentir novice sur les grèves de mon enfance. J’avais pourtant la certitude un peu blasée, depuis presque un demi-siècle que je les arpente par tous temps et hauteurs de marée, d’avoir goûté à tout ce qui est possible de porter en bouche, cuit, cru ou même parfois encore vivant, comme les délicates crevettes roses, dont la queue claque la mer en nos palais.

Ce fut un  sentiment d’ailleurs bien agréable, qui m’a exagérément ému et excité, de découvrir une nouvelle chose comestible en un endroit pourtant exploré de fond en combles. Pas des inconnus ces machins-là pourtant, déjà lorsque j'étais tout petit, ils faisaient partie des dangers dûment signalés à chaque partie de pêche dans les rochers :

- Attention, ça glisse!  (les algues)
-
Attention, ça brûle!  (les anémones)
-
Attention, tu vas revenir noyé!  (la montante)

En somme, des années perdues à me méfier des jolies anémones vert bronze, à me rincer d'urgence les mains si par malheur j’en avais effleuré une par mégarde en retournant un caillou en quête d’étrilles ou autre butin. Cela dit à ma décharge, je ne connaissais personne dans le coin, qui ait accordé la moindre attention outre qu'esthétique à ces bestioles. Il a fallu l’intervention de mon pote éleveur d’ormeaux, Sylvain Huchette, le fondateur de France-Haliothis (un scientifique lui, pas un glandeur de plage),  pour que ma perception tactile soit changée.

Avant de vous raconter cette histoire, comme en d’autres temps je vous ai parlé des fruits de mer, je vais vous entretenir quelques instants des fleurs de mer.

Médisez-le avec des fleurs

Elles ne sont pas nombreuses les fleurs de mer, une recherche rapide ne m’a permis que d’en dénicher trois, outre l’anémone, et j'en tire quelques regrets :

- Il est triste de constater que nul chrysanthème de mer ne décore le Cimetière Marin.
- De ne pas avoir de muguet comme un poisson, de coquelicot en coquille ou de jonquille en jonque.
- De ne trouver ni bleuet dans le grand bleu, ni gentiane dans la mer, ni mélisse de bateau, ni fleur d'abri côtier ou d'eau rangée...
- Le nénuphar d'Alexandrie a disparu, perdu dans des pensées et des romarins de pleine terre.
- Il y a plus d'iris dans l'œil d'une seiche que dans un octupus's garden, et quant aux gueules de loup de mer, elles ont plus de vague à l'âme que de fleurettes à conter.

La rose de mer est un animal-colonie comparable aux formations coralliennes, en plus mou. Il s’agit exactement d’un bryozoaire composé d’une colonie de zoïdes, chacun vivant dans sa chambre chitineuse. Aucun rapport avec la rose de sable.

rosedemer

La tulipe de mer n’est pas hollandaise pour une fois, il s'agit d'un gros bigorneau carnivore assez répandu en mer des Caraïbes. Son nom, ami buveur, proviendrait d'une analogie au verre tulipe.

Fasciolaria_tulipa

Quant au dahlia de mer, ce n’est qu’une superbe anémone, pour qui je sonne le glaïeul.

Urticinafelina_dalhia

Les formes et les couleurs des anémones sont extrêmement variées et sachez-le, il  s’agit d’un animal carnivore, le plus souvent urticant voire allergène ou dangereux. Il capture ses proies en leur lançant des mini-harpons enduits de venin, qui constituent aussi une arme de défense efficace, que seuls les animaux qui vivent en symbiose avec lui ne subissent pas.

L'anémone de mer  constitue à mon avis la fleur idoine pour une rupture :  munissez-vous d’un bocal d’eau de mer contenant quelques anémones, puis débarquez chez votre future ex-copine, pour lui déclamer cet anti-madrigal.

Je reconnais que le procédé est plus théâtral que le sobre et classique SMS : "C fini JTM+ kass ta", mais je le trouve plus élégant. Ne vous arrêtez pas à la difficulté qui se présente dès le premier vers, vous n’êtes pas obligés de rompre avec une Simone, cela fonctionne aussi avec Hermione, Cameron, Coconne, Bobonne ou Trombone (avec parfois un pied en prime, pour que cela marche mieux).

Il est pour toi Simone
Ce bouquet d’anémones
Ce jour est notre automne
Cruelle Perséphone.

Accepte ma jolie
Ces belles actinies
Tu m’as gâché la vie
A aimer sans envie.

Que ces orties de mer
Soient douces et légères
A toi plante de chair
Hétaïre et mégère.

Que ces chardons marins
Te brûlent les deux mains
Toi la femme de rien
Projet de nul destin.

Si après cela, elle n’a pas envers vous une haine constante et à toute épreuve, je veux bien l’épouser à votre place. Merci qui?

Anémones bretonnes

L'histoire a donc commencé chez mon pote Sylvain Huchette. En passant voici peu chez lui, au lendemain d'une pêche abondante en crabes mais nulle en ormeaux, il m'a montré rapidement (il avait la visite d'un car du treizième âge du Morbihan), des anémones de mer qu'il tient captives dans un bassin voisin de celui de ses délicieux coquillages, en m'expliquant qu'il étudiait la possibilité de les transporter vivantes à l'instar des ormeaux, dont il fournit déjà les plus grandes tables. Je résume :

- "Tu comprends, au ***, ils les importent du Japon et à El Bulli, ils les recevaient congelées, ce qui est n'importe quoi, sachant que ce n'est quasiment que de l'eau.
- Ah bon, ils cuisinent des anémones ces gens-là?
- Attends, je vais t'en filer quelques-unes, tu me diras...
- Euh, tu prépares ça comment?
- En tempura, ce n'est pas mal..."

Et me voici avec mes anémones et mes ormeaux, un peu ébahi je dois le dire. La marée était encore bien descendue en début d'après-midi lorsque j'ai entraîné ma fille (qui n'en demandait pas tant) pour un safari photo d'un genre particulier, avec évidemment, l'idée de les faire figurer sur ce blog, après les avoir cuisinées avec des algues, que j'ai récoltées en même temps. 

Voici comment se présente cette anémone dans la mer, elle peut être beaucoup plus verte (c'est une question de symbiose avec une algue microscopique colorée, qui varie avec les conditions de lumière et le milieu marin). Il en existerait une forme grise, mais c'est le même animal. Elle perd par ailleurs rapidement ses couleurs une fois hors de l'eau.

Son nom vernaculaire "anémone verte", vient de son nom latin (à moins que ce ne soit l'inverse) "anemonia viridis". Mon copain Sylvain utilise l'autre nom latin de la bestiole "anemonia sulcata". Il s'agit de la variété la plus répandue sur nos côtes, elle se rencontre en Méditerranée, en Atlantique des Canaries à l'Ecosse, en Manche et au début de la Mer du Nord. Voici ses autres noms en France, ainsi que quelques traductions (source : DORIS).

- Actinie verte, anémone commune, ortique, anémone (à) beignets (ah, tiens?), ortie de mer, ortigo (en provençal)
- Snake-locks anemone, opelet anemone (GB), Anemone capelli di serpe, matrona di mare, morosa (I), Actinia comun, anémona de mar comun, ortiga de mar (E), Wachsrose, Grüne Seerose, Fadenrose (D), Anémona do mar comum (P), Wasroos, draadroos (NL)

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Il semble que selon les régions, elle soit plus ou moins urticante. Elle serait particulièrement virulente en Méditerranée, où il est recommandé de les récolter avec des gants et de prendre des précautions de préparation que je détaillerai dans la partie recette. Émergée, elle se rétracte autour d'une réserve d'eau.

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Même pas mal!

anemonemer

 

Tempura d'algues et d'anémones de mer

- jeunes pousses de dulse
- l'extrémité de tiges d'himanthale (sur 20 cm environ
- anémones de mer vertes
- farine
- oeufs
- eau gazeuse
- sauce tempura

La dulse (palmaria palmata) est avec le wakamé, l'une des meilleures algues, mangée par exemple crue mêlée à des crudités terrestres. L'himanthale (himanthalia elangata) est l'algue la plus consommée en France, où on la nomme aussi haricot (ou spaghetti) de mer. On utilise normalement les dix derniers centimètres de la tige, mais récoltée au printemps, cette algue est très tendre, il n'y a aucun inconvénient à l'utiliser sur une plus grande longueur.

Recette

- Placez au congélateur dans un bol quatre à six cuillers à soupe de farine de blé (on peut y mêler une partie de farine de riz) et une petite canette d'eau gazeuse. Ne laissez pas cette dernière trop longtemps, sous peine d'avoir une surprise jaillissante au moment de l'ouverture, une demi-heure suffit.

- En Méditerranée par exemple, on rince les anémones au vinaigre avant de les passer à l'eau fraîche, ce qui a pour effet de leur faire cracher leur venin. Sylvain Huchette les utilise directement sans autre forme de procès, estimant que la cuisson, surtout à température de friture, neutralise les molécules irritantes. Dans le doute et n'ayant alors pas encore ce retour d'expérience de mon initiateur, je les ai rincées dans de l'eau un peu vinaigrée, je ne le ferai pas la prochaine fois, mais faites-le si vous sentez que les tentacules vous irritent un peu la peau, ce qui n'était pas le cas.

anemonemer5

- Rincez la dulse séparée en fragments d'une dizaine de centimètres et épongez-les, elle n'a besoin d'aucune autre préparation. L'himanthale (à ne pas confondre avec le fromage) gagne par contre à être trempée une quinzaine de minutes dans de l'eau douce. Il ne s'agit pas de la dessaler (les algues ne contiennent pas plus de sel que la plupart des plantes) mais d'améliorer sa texture.

- Au dernier moment, préparez la pâte à tempura. Il faut procéder ainsi, car sinon elle s'alourdit et durcit à la cuisson au lieu de développer le croustillant et la légèreté requis. Il faut qu'elle soit la plus froide possible, l'une des clés de la réussite résidant dans le choc thermique avec l'huile de friture. La pâte se prépare dans un bol, on ajoute à la farine de l'eau gazeuse mélangée avec un ou deux jaunes d'oeuf. On mélange avec une baguette, pas trop, il doit il y avoir beaucoup de grumeaux et "encore de la farine sur le bord du bol". La consistance est voisine de celle d'une pâte à crêpes, les grumeaux en plus.

- Passez rapidement les ingrédients dans cette pâte et faites les frire dans un bain à 180°, en commençant par les anémones, puis par l'himanthale roulée en toron et enfin par les rameaux de dulse. Servez aussitôt, j'ai surélevé les anémones sur un petit galet, après tout, ce sont les vedettes inattendues de cette préparation!

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La sauce pour tempura est traditionnellement confectionnée avec du bouillon dashi, du soyu et un peu de sucre, on y trouve parfois du mirin, auquel cas on ne met pas de sucre. En panne de sauce soja, j'ai utilisé de la sauce "ponzu", qui est à base de dashi de bonite, de soyu et de jus de yuzu. J'avais déjà remarqué que sa saveur s'harmonise à merveille avec les notes iodées, et ce plat n'en manque pas!

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Bien entendu, ma femme et ma fille ont catégoriquement refusé d'en manger, elles souhaitaient je le suppose d'abord constater quel effet aurait cette ingestion sur mon organisme. Effet positif, c'est bon, iodé, sans atteindre des sommets de gourmandise. Ce serait le cas, je suppose qu'on en parlerait beaucoup plus!

On en parle pourtant un peu, c'est moi qui ne suis pas assez attentif. J'ai ainsi découvert depuis qu'on l'utilise par exemple en Italie, frite certes, mais aussi en salade ou en omelette. Esterelle (décidément...) en parlait déjà en 2006, et plus récemment Julie Andrieu s'y est intéressée au hasard d'une émission tournée en Andalousie. Là bas, ils les trempent dans la farine et les cuisent immédiatement, ou alors pour conserver une texture fondante, ils les farinent puis ils les placent deux heures au congélateur avant de les frire.

La cuisson en tempura me parait idéale, car la pâte protège bien la texture un peu gélatineuse des anémones, le contraste entre celle-ci et le croustillant de la pâte est vraiment intéressant.

(Enfin, je ne serais pas très étonné si une copine vivant aux Açores venait m'expliquer que là-bas, non seulement ils en mangent à chaque petit-déjeuner, mais qu'aussi, ils les utilisent comme tétine à mâchouiller pour les bébés :-))

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Commentaires
P
Je croyais apprécier TOUS les produits de la mer , avec un bémol pour les violets, mais finalement ...... bof ! <br /> <br /> Les vers de rupture , ( ça s’arrose) sont géniaux, on regrette presque de ne pas evoir de Mone à larguer, en revanche à Avignon, pour le bouquet d’anémones ça se Corse .
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Y
J'en mange depuis 50 ans ... avec délice ! En beignets, omelettes, clafoutis, sauce bolognese, les "villorbi", comme on les appelle en Corse, sont plats de roi ... pour amateurs éclairés, happy few ! Seule ombre au tableau, on se pourrit un peu la peau des mains, car pas question de mettre des gants, on en manque 3 sur 4 - il faut glisser le bord de l'ongle au ras du pied pour le décoller doucement, sinon carnage .<br /> <br /> Très content de la nouvelle recette en Tempura, j'essaye à la prochaine récolte . <br /> <br /> J'ai trouvé les anémones Bretonnes beaucoup plus sauvages et iodées que les Corses, elles méritent plus de dilution (omelette, clafoutis) . Par contre, lors des fortes marées, on peut se remplir ! J'ai souvenir d'avoir fait découvrir ça à des Bretons ébahis . <br /> <br /> Elles supportent TRÈS BIEN la congélation, dans deux doigts d'eau de mer .
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C
bonsoir, une réponse tardive en recherchant la préparation d'huile de combawa...<br /> <br /> pour les anemones de mer elles sont excellentes revenues dans de l'huile d'olive, avec de l'ail bien frit, du persil et en brouillades d'oeuf...on jurerai une omelette aux cèpes de mer...bien connue de nonbreux 'pieds-noirs'<br /> <br /> catherine
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P
bonjour,<br /> je viens de lire votre billet avec grand intéret. Je suis passé avant hier à Plougerneau pour visiter Haliotis (ces gens font un super boulot et me compte désormais parmi leurs supporter) et je suis reparti (entre autres) avec des anémones. J'en avais déjà mangé à Marseille sous forme de flan, mais n'en avais jamais cuisiné moi-même. tempura classique farine/écule/eau glacée/jaune d'oeuf. Délicieux.<br /> Est-ce que vous savez qui pourrais me montrer un crabe de pierre à mon prochain séjour en Novembre? Un plan pour une poignée de pétoncle noir et des palourdes roses? merci. Phil de Bruxelles.
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G
Les espagnols me surprennent par leur cuisine de la mer et j'y ai gouté des patelles en sauce (cuisinés avec de la bourrache mais à vérifier) et dernièrement des orties de mer en beignets, pas du tout gluant, iodé; pas une merveilles non plus. Avec la marée qui arrive le week-en prochain, faute d'ormier ou de homard dans la hotte il restera bien quelques anèmones à ramasser mais je n'ai pas souvenir d'avoir vu celles en photo sur le blog, alors en essayer une autre espèce...hummmm à suivre. Ah! Un grand bravo pour ces billets que je lis depuis quelques années.
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