Ormeaux et pain au plancton
C'est beau la forêt, les arbres majestueux, les baies savoureuses, les champignons hasardeux, les animaux curieux et les fleurs gracieuses. Je ne rigole pas du tout, j'aime les forêts, et je suis toujours désespéré d'apprendre quand elles disparaissent, déforestation industrielle, incendies ou progression inéluctable du désert.
Non seulement c'est de la beauté qui disparaît, mais aussi de l'oxygène qu'on me pique. La photosynthèse... vous vous souvenez à coup sûr de la formule qui nous fait si bien respirer :
6CO2(g) + 6H2O(l) C6H12O6(aq) + 6O2(g)
Pour faire court, la plante capte du dioxyde de carbone (CO2) et de l'eau, et sous l'effet de l'énergie solaire, elle les transforme en glucose et dérivés pour sa croissance, en dioxygène et en carbone organique. Cool non? C'est la base de toute conscience écologique. Par exemple, lorsque je grille des sardines au feu de bois, je compense cette production intempestive de C02 en plantant un pied de persil ou de basilic.
Les plantes terrestres nous apportent la moitié de l'oxygène dont nous avons besoin, tout en éliminant ce fichu CO2 qui pique la gorge... et plus si affinité. L'autre moitié, vous vous en doutiez un peu, vient de la mer, des algues bien entendu, mais aussi et surtout du phytoplancton.
Le plancton (anciennement "plankton", du grec "plagkton" qui signifie "errer") fait partie du seston, qui désigne toutes les particules en suspension dans la mer (ou dans l'eau douce), à savoir les non-vivantes (le tripton) et donc les vivantes, elles-mêmes animales (zooplancton) ou végétales (phytoplancton).
C'est un monde presque invisible à l'oeil nu, mais il constitue la principale biomasse au monde. Il nourrit tous les animaux marins, directement ou indirectement, ce n'est pas forcément une question de taille, mais seulement de régime alimentaire. Les baleines à fanons (dont le plus gros animal au monde, le rorqual bleu) s'en nourrissent exclusivement, comme excusez du peu, la raie manta ou le requin pèlerin, toutes créatures qui ne tiendraient pas entières dans ma cheminée. C'est de l'espace qu'on dicerne le mieux le plancton, grâce à des satellites équipés d'instruments pour étudier la couleur des mers (beau métier au passage...)
Foisonnement de plancton au large de l'Irlande (Source : ESA)
On hurle à propos de la prolifération des algues vertes, certes à raison, mais bien tardivement et avec excès; du coup je ne connais que peu de gens inquiets pour le phytoplancton. Pas de prélèvements industriels, les incendies y sont rares, mais la désertification progresse aussi en mer. Une étude publiée fin juillet dans la revue Nature, montre en effet que la quantité de de phyto plancton diminue régulièrement depuis un siècle, diminution qui est de l'ordre de 40% depuis 1950, sous l'effet probable du réchauffement climatique. Il y a en effet une corrélation relevée entre l'élévation de la température des mers en surface et la diminution du phytoplancton.
Si ce phénomène persistait, voire s'aggravait, ce n'est pas de sur-pêche que crèverait la mer, mais de sous-alimentation et d'asphyxie.
En cuisine, le plancton de service est le phytoplancton, le plus utilisé et le plus connu étant la spiruline, une micro-algue d'eau douce (et oui...) se développant dans les pays chauds. C'est au bord du lac Tchad qu'on la découvrit en 1934, séchée sous forme de galettes sur les marchés de la tribu riveraine. On sait également que les aztèques la récoltaient aux mêmes fins alimentaire, en la recueillant grâce à des filets très fins, la méthode n'a guère changé aujourd'hui.
La bonne santé de cette population africaine par rapport à d'autres, fut tout de suite observée, et il est vrai que la spiruline est une fabuleuse ressource alimentaire, très riche en protéines et divers nutriments précieux. Elle pourrait contribuer à combattre la malnutrition qui sévit en de nombreux pays et elle a même fait l'objet de tests en station orbitale. Chez nous, elle est surtout consommée pour ses vertus reconstituantes, stimulantes, voire aphrodisiaques. On la cultive dans de l'eau douce, mais aussi dans un mélange d'eau douce et d'eau de mer (ah mais...).
Les autres planctons les plus répandus car cultivables sont la chlorelle, provenant également d'eau douce, et connue pour ses propriétés purifiante, de détoxication même, et l'odontelle, une diatomée d'origine marine (ah quand même!), qui sert d'aliment à la plupart des poissons consommant du phytoplancton. C'est de cette micro-algues que les poissons gras retirent en particulier leurs acides gras omega-3.
Planctons des choux-marins à la mode de chez nous
Nous avons un boulanger de compétition à Lannilis, Michel Izard, un bigouden passionné de cuisine qui, après une carrière aux fourneaux de grands établissements, se consacre désormais entièrement aux pains, des plus anciens et traditionnels aux créations parfois étonnantes. Le journal "L'hotellerie-restauration" lui consacre une page dans son numéro de juillet dernier, je vous invite à la consulter ici.
Outre un tendre et délicatement sucré pain blanc aux oignons de Roscoff, sa dernière création consiste précisément en un pain au plancton, à la mie d'un beau vert primesautier (vert coquin est le plancton, tout le monde sait ça), qu'il a réalisé lors d'une exposition sur le plancton qui s'est tenue à l'Océnaopolis de Brest.
En dépit de ses origines bigoudènes, Michel ne fait pas dans l'odontelle, son pain au plancton ne contient que de la spiruline et de la chlorelle. Beaucoup de ses clients font la comparaison avec son pain aux algues, le trouvant plus doux, plus herbacé qu'iodé. C'est logique, les planctons d'eau douce ne contiennent pas d'iode (sauf si ils sont cultivés dans une eau mixte), à la saveur forte, voire âcre, qui ne plait pas à tout le monde.
Lorsque je l'ai goûté, j'y ai discerné également des notes de champignon très agréables, donnant de la densité en bouche, vraiment savoureux, un peu capiteux même.
Ormeaux et pain au plancton
L'absence de saveur iodée m'a justement encouragé à l'associer à un produit qui l'est au contraire assez fortement, ça aurait pu être un tartare d'huîtres, ça a été des ormeaux, ceux-là même dont je vous ai déjà parlé ici, là et là aussi.
Ingrédients
- ormeaux
- pain au plancton rassis
- beurre
- fleur de sel
- poivre noir
Recette
Laissez rassir le pain, ce qui va vous permettre de couper des tranches très fines, vous pourriez même le couper à la machine à jambon, mais ce n'est pas utile pour cette recette. Placez ces rondelles dans une plaquee au four chauffé à 60° et laissez le sécher environ deux heures ainsi, il peut colorer un peu, mais pas trop afin de ne pas "caraméliser" sa saveur.
Décoquillez les ormeaux : Coupez le pied situé à droite de l'animal (lorsqu'il est "sur le dos"), puis poursuivez avec une cuiller, en contournant l'animal sur les bords de sa coquille (si je me fais bien comprendre, une prochaine fois, je filmerai l'opération!). Otez la tête et les parties noires, puis incisez les bardes que quelques entailles tout autour de la noix. Je trouve cela dommage, en particulier pour les ormeaux car elles sont riches en saveur.
Les bardes n'ont pas le même rôle chez l'ormeau qui est un animal brouteur plus proche de l'escargot que chez les huitres, coquilles saint jacques et autres coquillages filtreurs qui se nourrissent en filtrant l'eau au travers de ces bardes. Retenant ainsi d'ailleurs des éléments indésirables, des polluant ou des toxiques : lorsqu'il y a une interdiction de pêche à pied pour des raisons sanitaires (bactéries ou micro'algue toxique, cela ne concerne pas les brouteurs, sauf avis contraire des services sanitaires, vous pouvez encore ramasser ormeaux, bigorneaux et patelles.
Il s'agit ensuite d'attendrir la bête, pour cela vous la placez dans un vieux torchon, et à l'aide d'un maillet de bois, vous aplatissez la bosse blanche, qui est la partie réellement coriace. Ne tapez pas comme des sourds, il ne faut pas les écraser. Cette opération terminée, laissez les reposer au moins douze heures au frais sous film, c'est indispensable pour que leur saveur s'affine et s'exprime. Dans un monde idéal, on les pare le soir pour les cuisiner le lendemain midi.
Réduisez quelques parties du pain en grossière chapelure. Disposez une tranche par ormeau dans les assiettes. Poêlez les ormeaux dans une petite noix de beurre, pas plus de deux minutes sur chaque face. Disposez les sur le pain dans les assiettes, puis "déglacez" la poêle avec du beurre frais. Lorsqu'il mousse, arrosez-en les ormeaux, poivrez puis saupoudrez de chapelure et de fleur de sel.