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Cuisine de la mer
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17 décembre 2010

Huîtres et coquilles saint-jacques frites, accord en Barsac-Sauternes, Chateau Coutet 2005

Ne commencez pas à m'objecter qu'après avoir clamé dans mon billet de la semaine dernière, que je me mettais au régime, c'est assez désolant de me voir publier une recette au Barsac-Sauternes.  Il y a une vraie raison, de la préméditation même, puisque je m'étais mis en tête de travailler sur une association entre ce vin et des produits de la mer voici déjà un mois. Que je vous raconte...

Parmi les bons moments qui ne me font pas regretter d'être allé au Salon des blogs culinaires, j'ai eu la rencontre furtive mais pleine de sens avec l'auteure du très gourmand blog Tartine Jeanne, qui se trouve être aussi l'ambassadrice et la responsable du marketing de Château Coutet, un Premier Grand Cru Classé en 1885. Je précise à toutes fins utiles que j'ai moi-même acheté le vin fil conducteur de ce billet qui n'est aucunement sponsorisé, ce sont seulement la curiosité et la sympathie qui me motivent, sans compter qu'il est divinement bon...

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Je ne suis pas vraiment amateur de sucre, mais j'apprécie les vins doux, moelleux ou liquoreux. Ils développent en effet souvent des arômes incroyables et rares, et pour peu que le sucre soit vraiment celui du raisin et non provenant de chaptalisation abusive (oui, cela existe encore), ils assurent un plaisir gourmand et élégant.

Je voulais au départ cuisiner du homard, tant ce crustacé est bien adapté aux vins blancs aux arômes puissants, comme certains blancs de Bourgogne, qui parfois ne laissent pas leur part aux chiens pour ce qui est de la sur-maturité et du sucre résiduel.

Mais voilà, déjà que le prix du homard a tendance à augmenter à l'approche des fêtes de fin d'année, dès qu'il fait froid, ces bestioles vont se réfugier en eaux plus profondes, où leur pêche est plus hasardeuse. Bref, il m'a fallu changer mon fusil de pince, revenir à la saison, celle des coquillages (c'est un peu la fin pour les moules et les palourdes, mais pour les huîtres et les coquilles saint-jacques, on y est en plein!).

Je souhaitais aussi sortir des classiques de la cuisine française, comme par exemple une cuisson à la crème et au Noilly-Prat, qui l'aurait bien fait. Je voulais que le Barsac se fasse chatouiller par des saveurs plus exotiques et par une opposition de textures moelleuses et croustillantes. J'ai volé au secours de Marie-France qui cherchait du kadaïf, et j'en ai profité pour en acheter une pelote.

Je me suis dit aussi qu'il ne fallait pas perdre de vue les mètres-étalons, ou plutôt les mètres-canards, et j'ai préparé quinze jours avant un foie gras de canard, en le décorant du titre d'égyptien. C'est historique, un petit moment de culture qui va une nouvelle fois me fâcher avec nos amis les amis des animaux (les amis de mes animaux sont mes animaux), puisque le gavage est un processus naturel chez les oiseaux migrateurs (et non le grattage d'un seul côté, ne me faites pas écrire n'importe quoi non plus, je vais déjà avoir assez d'ennuis).

Les égyptiens  avaient en effet remarqué qu'avant de repartir vers les contrées nordiques, les oies mangeaient énormément de fruits et de grains pour se constituer les réserves nécessaires à leur voyage et à l'épuisante période nuptiale et parentale qui lui succédait. Il constatèrent que cela leur provoquait une délicieuse hypertrophie du foie, et ils commencèrent à élever des oies grasses. Les romains prirent la suite, en particulier Apicius, qui gavait avec des figues, d'ailleurs petit à petit, il y eu une confusion sémantique entre les les deux termes, foie et figue, par exemple, en Corse, les figatelli sont des saucisses de foie... Les romains transmirent leur savoir aux gaulois, d'abord semble-t-il dans le grand est, encore plus à l'orient que Saint-Brieuc. 

Bref, j'avais préparé une terrine de foie gras de canard, mariné dans un peu de cognac, de macis, de sel, de poivre et d'un trait de sirop de rose. Je l'ai farci d'un peu de pulpe de figue sèche qui avait gonflé dans de la liqueur de figue et servi avec du pain à la figue et à la châtaigne. Très bon, le Barsac était parfaitement dans son rôle, et pourtant je bois généralement du vin rouge avec le foie gras de canard. 

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Bien entendu, nous l'avons dégusté avant de l'associer à notre repas. Sur les conseils de Jeanne qui m'a indiqué que le millésime 2005 pouvait être encore fermé (à cinq ans, on est à peine un nouveau-né dans cette région), je l'ai carafé durant quatre heures avant avant le service, deux heures à température ambiante et deux heures au frais pour le mener à une température de service de 9°, qui est gentiment montée à environ 12° durant le repas.

La robe est d'un bel or, très brillant, lumineux même, avec beaucoup d'intensité. Le nez confirme tout de suite l'origine du vin, le botrytis bien mené et sélectionné par plusieurs tries (vendanges où on ne ramasse, en plusieurs passages, que les grains étant parvenus au degré optimum de pourriture noble, qui concentre sucre et arômes dans les grappes. Il y a trois très grandes contrées au monde où on obtient ce résultat dû à des conditions climatiques très particulières, le Sauternais et son presque voisin de Montbazillac, les Côteaux-du-Layon, et au nord de la Hongrie, la mythique région de production des Tokay Aszù).

C'est un nez où s'imposent d'abord les fruits secs ou confits, puis les fruits jaunes (abricot, ananas), puis des arômes plein d'élégance, un peu de brioche toastée, d'angélique confite, de pêche blanche et de litchi. Enfin de façon surprenante et rafraîchissante, une note mentholée. Je précise que je ne suis pas du tout expert en dégustation, mais que je cumule à la fois un bon odorat, une bonne mémoire et une grande gueule, ça aide bien...

En bouche, deux qualités marquent ce vin, d'une part son parfait équilibre, d'autre part sa vivacité. Le sucre en effet est bien présent, mais il ne laisse pas d'impression encombrante de lourdeur ou de pâteux. Au contraire, le vin se permet une certaine nervosité, une vivacité qu'on ne trouve pas aussi marquée dans les Sauternes de "pure" appellation, et qui est induite par le sous-sol de Barsac. Le nez est confirmé à la dégustation, où s'ajoutent principalement le miel d'acacia et des notes de marmelade d'abricot.

Tant la vivacité du vin que ces saveurs proviennent également de l'expression du sauvignon (probablement de vieilles vignes, Jeanne?), puisque ce raisin est présent à hauteur de 23% dans l'encépagement de Chateau Coutet, (avec 75% de Sémillon et 2% de Muscadelle, ce si fragile et aromatique cépage). Je n'ai toutefois pas décelé de franches notes d'agrumes, ni de minéralité, ce qui m'a un peu inquiété au regard de mes recettes de coquillages.

La persistance est remarquable, les arômes restent un temps infini en bouche, le dernier verre dégusté le lendemain était tout simplement magique après cette longue aération, je n'en finissais plus de compter les caudalies comme les pétales d'une reine-marguerite, en égrenant les secondes de cette rencontre. 

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Huîtres et coquilles saint-jacques frites, accord en Barsac-Sauternes, Chateau Coutet 2005

Je vous assure que j'ai beaucoup gambergé pour élaborer ce plat, même si comme d'habitude, certaines fulgurances s'imposent au dernier moment, comme l'emploi d'un fruit que je connaissais pas deux jours auparavant.

Ingrédients

- coquilles saint-jacques
- kadaïf
- citron vert séché

- abricots moelleux (demi-secs)
- vinaigre d'hydromel (ou autre vinaigre au miel)
- manzana (ou une eau de vie de pomme ou de poire)
- macis (le second fil conducteur du repas)
- piment d'Espelette

- huîtres spéciales 
- oeuf
- farine 
- chapelure japonaise ou "panko"
- un kabosu

- huile pour friture (pépin de raisin pour moi)

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Voici les fruits que j'ai utilisés pour cette assiette; le kaki, trop mûr pour que je puisse l'utiliser dans le plat, comme les mini citrons verts, ne sont là que pour le décor.  Vous y voyez les citrons verts séchés qui sont une merveille de saveur, et ce kabosu que j'ai découvert la veille à l'épicerie japonaise Kioko, où en compagnie de La Turtle de nouveau de passage à la capitale, j'allais acheter la chapelure Panko, tout en couvant l'espoir de trouver un yuzu frais pour relever les huîtres panées.  

Point de yuzu, mais ce kabosu dont je blessais discrètement l'écorce de l'ongle pour en humer l'essence, nous avons tout de suite adoré... En saveur, c'est un peu un mélange entre le yuzu, le citron et le citron vert avec des notes de mandarine, le jus est acidulé sans être agressif, et le zeste est fortement parfumé. 

Je tenais absolument à mettre dans l'assiette un ingrédient iodé, pour solliciter la patte du Sauvignon, et lui associer un agrume pas trop acide pour ne pas heurter fortement le sucre du vin. 

Recette

Préparez une manière de chutney avec la pulpe d'abricots moelleux, un peu de vinaigre d'hydromel, un trait de manzana, une pointe de macis, pas mal de piment d'Espelette et du sel. Détendez-le avec un peu d'eau pour lui donner une consistante nappante. Réservez au frais.

Ouvrez et nettoyez les coquilles saint-jacques, et réservez les noix, au frais également.

Décoquillez les huîtres, égouttez les poissons, puis panez-les "à l'anglaise", c'est à dire en les roulant dans de la farine, de l'oeuf battu puis dans la chapelure. Ce sont d'ailleurs les britanniques qui ont transmis ces recettes panées aux japonais, lesquels nomment cette préparation kakifuraï, soit huîtres frites, le "furaï" étant une déformation de l'anglais "fried". Panez les huître au moins une heure à l'avance, et conservez les au frais, c'est valable pour toutes les préparations semblables, la panure tient mieux à la friture après un séjour au froid.

Réduisez le citron vert séché en poudre, parsemez en sans excès les noix de coquille saint-jacques, puis entourez-les de kadaïf. Prélevez le zeste du kabosu, et  recueillez le jus dans une coupelle de service.

Faites frire les coquillages, en commençant par les huîtres que vous conserverez au chaud le temps que cuisent les coquilles saint-jacques. Présentez avec le chutney, un peu de zeste de kabosu sur les huîtres, et le jus de ce dernier à part, chaque convive en versera quelques gouttes sur les huîtres au moment de les manger (afin de ne pas détremper la panure en les arrosant à l'avance). Le chutney d'abricots moelleux est plus destiné à accompagner les coquilles saint-jacques.

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Le résultat  a dépassé mes attentes, même si l'accord avec les coquilles saint-jacques et leur chutney n'était pas vraiment une prise de risque, il fonctionnait bien mais sans grande révélation. La surprise est venue des huîtres, où le vin et le plat se grandissaient mutuellement, se confrontaient de façon joyeuse, charmeuse et élégante, un pur moment de dégustation.

Ma femme, qui n'est guère une adepte de sucré/salé, a aimé les saint-jacques mais sans plus, mais a toutefois craqué pour les huîtres. Quant à La Turtle, retour de séminaire, elle a les doigts en sucres d'orge et en bâtons de cannelle, elle s'est régalée de l'ensemble, ce qui m'a bien fait plaisir car elle sait ce qu'est l'imagination en cuisine. D'un autre côté, elle a une excellente éducation...

Vous vous doutez bien qu'avant vous, Jeanne a bénéficié d'un compte-rendu privilégié, elle m'a répondu un truc du genre "Oui, les gens sont souvent étonnés du mariage réussi entre Coutet et les huîtres". Elle dit "Coutet" comme d'autres disent "Yquem", les pauvres... Comme elle est également pourvue d'une excellente éducation, elle s'est abstenue d'ajouter que j'avais eu la chance du débutant... sic transit gloria mundi...

Voila qui méritait un épilogue, qui pourra peut-être l'étonner, mais du coup j'en doute maintenant. Chateau Coutet construit en effet une grande partie de sa communication autour de la gastronomie, je vous invite à visiter le site du domaine si vous êtes curieux de recettes créées autour de ce vin.

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Mon épilogue prend sa source il y a deux ou trois années, lorsque mon amie Sophie m'a proposé de l'accompagner à une dégustation de Montlouis, lors de laquelle des vignerons de l'appellation étaient accompagnés de chefs de restaurants de grande qualité, proposant une cuisine adaptée aux différentes cuvées.

Je me souviens que nous avions terminé par Les Loges de la Folie, de loin le domaine que je préfère dans cette appellation, autant pour les vins que pour la fraîcheur d'esprit et le talent décomplexé des jeunes vignerons. Leur cuvée la plus liquoreuse, alors que tous les autres chefs s'étaient échinés à trouver un dessert pour l'accompagner chez leurs voisins, était présentée avec ... une brandade de morue, et c'était aussi étonnant que parfait.

J'ai voulu tenter la même expérience avec Coutet, je vous ai raconté en vous présentant cette morue à l'auvergnate, que j'avais gardé sous vide de la morue pochée dans ce dessein. Ma recette de brandade est un classique, elle ne contient que trois ingrédients, de la morue, du lait entier et de la bonne huile d'olive. Tout est dans les proportions et le jus de coude, je l'ai présentée ici

Le lendemain donc, avec le dernier verre sauvé des eaux la veille, j'ai mangé ce toast abondamment garni de brandade très salée, sur un petit toast légèrement aillé et parsemé de niora piquant. Excellent, Coutet est un charmeur, mais c'est aussi un solide gaillard qui s'acoquine facilement avec des saveurs très rustiques. Je l'imagine aussi fort bien avec de la poutargue.

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Commentaires
L
Je garde les coquilles et le Sauternes … Un des rares vins que je bois !<br /> <br /> Heureuse année à vous
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M
J'ai tout lu, mais je n'ai pas compris grand chose!!! suis pas une fine cuisinière, même si j'aime bien mijoter des petits plats, mais, là, je suis restée coite! En tout, ça m'a semblé drôlement bon, juste à l'odeur.<br /> Bonne année et bravo pour la mise à l'honneur sur Canalblog qui est le fil par lequel je suis parvenue jusqu'ici.
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B
Félicitations pour l'honneur sur la première page de canalblog.<br /> Karim
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I
Une entaille à la résolution prise dans le précédent billet prouve que tu gardes donc bien le cap. Bravo.<br /> Je m'efforce de faire la même chose. <br /> Belle et bonne année à toi et ceux qui te sont chers, Patrick !<br /> Amitiés d'Isa-Marie
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G
Nous allons terminer l'année en dégustant qq huitres de Prat Ar Coum !!<br /> Bonne fin d'année et meilleurx voeux à vous trois.
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