Tartare de saint-jacques à la vodka, oeuf poché et caviar
Il est de ma prose comme du ketchup dans un flacon de verre, des fois ça ne sort pas, des fois ça vient en excès, et plus je me sens attendu et moins ça fulgure. Voici donc un mois que je n'ai rien publié ici, certes il y a eu un peu de vacances, beaucoup de boulot mais plus encore d'incapacité à produire un texte sympa pour introduire cette recette de caviar tombée par chance dans nos gamelles familiales.
Cela a commencé par un déjeuner avec ma copine Sophie, au restaurant coréen que nous aimons particulièrement, où elle m'explique fin novembre (ouais, c'est pas du tout frais) qu'elle est le relais d'un concours sympa sur son blog Dans la Cuisine de Sophie, avec un ingrédient qui ne serait pas déplacé dans ma ligne éditoriale. Du caviar donc, de chez monsieur Dom Petroff.
Cela consistait à proposer une recette intégrant cet ingrédient, et si elle était retenue, on en recevait un pot de 30 grammes, charge alors de réaliser et publier cette recette. Moi le caviar, j'en mange très rarement; beaucoup trop cher à ce point que la petite boîte achetée deux mois plus tôt chez un fameux marchand arménien pour notre anniversaire de mariage m'avait laissé pantois d'avaler tant d'argent en quelques claquements de langue. Je ne l'avais pour l'instant que mangé avec du pain et du beurre, ou alors sous forme de quenelle surmontant un oeuf à la coque, bref, rien qui ne ressemble vraiment à une recette élaborée.
Et puis bon, voulant faire plaisir, le rythme de mes rendez-vous professionnels se ralentissant en décembre, j'ai un peu gambergé la recette présentée ci-dessous, et puis comme un malheur est vite arrivé (je plaisante naturellement), elle a été sélectionnée et j'ai donc reçu les précieux oeufs de poisson par porteur à mon bureau (où en passant on s'étonne de ma capacité à passer de la rigueur financière qu'exige mon job à la récréation permanente que constitue ce blog et ses à-côtés).
J'ai donc réalisé la recette, on la goûtée et elle a plu, je l'ai photographiée sous tous les angles, il ne restait plus qu'à la publier, facile normalement. Sauf que je n'ai toujours pas de texte me satisfaisant pour servir en même temps, alors comme vous le voyez, je vous raconte ma vie...
Et puis hier soir, retrouvant sur G-Talk après de courts séjours en Bretagne et au Maroc l'une de mes amies préférées, et lui exprimant une fois de plus toute ma détresse, elle me souffle un titre dont je pense qu'elle appréciera que pour une fois je ne la cite pas car elle est journaliste culinaire, alors je me lance...
Le caviar, ça craint
Historiquement, ce met était un plat de pauvre, les paysans-pêcheurs des rivages où s'ébattaient les esturgeons devaient s'en contenter, tirant leurs subsides de la vente de la chair du poisson, qui au passage, est un régal une fois bien fumé. Les grecs et les romains en mangeaient, sous forme de bouillie, et c'est pour l'exporter vers chez eux qu'on s'est mis à le saler.
Quiconque goûte du caviar pour la première fois retient essentiellement cette saveur très salée, presque agressive, il faut un palais entrainé aux délices de la mer pour y trouver toutes les nuances de saveur qu'il contient et sont effectivement d'une grande finesse. On peut avoir le même réflexe qu'avec les oursins par exemple, je connais des tas de gens qui n'ont jamais pu en manger un second tant ils ont été déstabilisés par l'intense saveur iodées des gonades orangées.
Je ne vais pas vous refaire l'histoire du caviar, vous savez comme moi qu'il est devenu un synonyme du plus grand snobisme, depuis les cours impériales au début du siècle précédent, jusqu'à plus récemment, le symbole des yuppies gagnant beaucoup d'argent sur les marchés financiers, époque un peu révolue depuis que la cavalerie des empilements de dettes pourries a explosé en vol.
Ce snobisme, ce m'as-tu-vutisme, ne me dérangent pas vraiment, chacun claque son fric comme il l'entend pour paraitre exister, après tout, un mec qui bouffe du caviar à chaque repas est moins dangereux que son collègue qui préfère foncer dans la ville avec la rutilante Ferrari qu'il ne contrôle pas bien. Surtout il a auparavant ingurgité des hectolitres de vodka lors de la caviar-party d'un de ses potes nouveau-riche par les hasards de la vie.
Ce qui me consterne plus profondément, c'est bien ça, cette façon d'édulcorer au maximum la saveur forte et salée du caviar en l'accompagnant soit de brutalité encore plus extrême (alcools blancs, parfois aromatisés), soit de douceur masquante, typiquement les blinis et la crème fraîche.
Pour moi, une dégustation de caviar doit se pratiquer exactement comme on procède pour les huîtres quand on a un minimum de civilisation : Une bouchée nature, une autre de pain beurré, seigle ou autre, et un verre de vin. J'aime beaucoup la vodka, mais je la préfère accompagnée de molossols, on reste dans un registre cohérent. Tentez le caviar ainsi, arrosé d'un joli Graves (Pessac-Léognan) blanc, un peu vif comme l'excellent Château de France. Bonheur absolu.
En cuisine, on l'associe souvent à la pomme de terre (mais on peut tout associer à la pomme de terre, parole de breton), ou à l'oeuf. Contrairement à la crème fraîche, le jaune d'oeuf répond parfaitement au caviar dont il constitue un assaisonnement royal, les deux se magnifient. J'ai donc souhaité partir de cette association pour cette recette.
J'ai ensuite réfléchi à intégrer dans la même assiette une préparation de contrepoint, et en cette saison la coquille saint-jacques crue s'est imposée naturellement, contrairement au caviar, sa saveur est douce, légèrement sucrée et peu iodée. Une saveur qu'il fallait réveiller pour qu'elle ne soit pas tuée par la force du caviar et le crémeux de l'oeuf poché. Par ailleurs, je voulais un support à saveur herbacée et marquée, en saison j'aurais mis une crème d'asperges vertes froide, là je me suis contenté de quelques graines germées.
Œuf poché au caviar et au tartare de coquilles saint Jacques
Ingrédients
- quatre œufs
- trente grammes de caviar
- six coquilles saint jacques
- graines de poireau germées (ou d'oignons)
- huile citronnée de Toscane
- vodka
- cumin en poudre
- sel fin de mer
- sel fumé (fleur de sel à défaut)
- poivre voatsiperifery (ou autre poivre noir très aromatique et fruité)
- pain de seigle
- beurre salé
Je vous ai fait grâce de tous les jeux de mots à deux balles que j'avais imaginé pour le caviar et la maman esturgeon, mais le caviar à la louche, vous n'y échappez pas...
Recette
Faire pocher quatre œufs, les parer et les poser dans une assiette garnie d’un rond deux fois plus grand de graines de poireau germées, sur une petite épaisseur.
Préparer au dernier moment un tartare de coquille saint jacques, en les coupant en dés et en les assaisonnant d’une cuillerée à soupe d’huile citronnée et autant d’aquavit, d’une pincée de cumin en poudre et de sel fin.
Saupoudrer l’œuf de sel fumé et de poivre voatsiperifery, et disposer autour des petites quenelles de tarte de coquille saint-jacques et de caviar.
Présenter avec les mouillettes de pain de seigle légèrement toastées et beurrée.
Bilan des courses, comme vous l'avez peut-être vu sur la boîte ci-dessus, il s'agit de caviar d'esturgeon blanc, originaire de la côte pacifique des Etats-Unis où ce poisson s'ébat et est élevé pour ses oeufs. Il est loin d'avoir une saveur aussi développée que celui des plus célèbres des caviars européens, notamment ceux de la Mer Caspienne, dont les fameux beluga, osciètre et sévruga. Il y en a d'autres (baeri etc...).
Il est toutefois agréable avec ses gros grains et sa saveur délicate, et il convient parfaitement à une utilisation culinaire, à la différence par exemple de l'avruga (oeufs de hareng à l'encre de seiche dont je vous ai dit tout le mal dans ce billet). Il a aussi le bon goût de ne pas être trop cher, enfin tout est relatif; je ne l'ai pas payé, mais sur le site de la marque, les 30 grammes coutent 27 euros, j'en avais suffisamment pour quatre assiettes. A comparer par exemple aux 30 grammes de beluga chez Petrossians, affichés de 228 à 366 euros selon la qualité...
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