Filet de rouget-barbet, sauce passion et thym-citron, royale de foie et oeufs
Je cherche depuis plusieurs semaines l'auteur qui aimait l'oeil étonné des poissons, impossible de le retrouver, mais ce qu'il a raison, à l'instar du proverbe chinois qui affirme que "Celui qui regarde le ciel dans l'eau voit les poissons dans les arbres". Je comprends mal ceux qui ont une répugnance à avoir la tête d'un poisson dans leur cuisine, ou encore pire dans leur assiette.
Je répugne pour ma part à acheter un poisson dont je n'ai pas vu la bouille, la couleur de ses branchies est une indication de fraicheur, son oeil l'est plus encore, il doit être bien bombé, bien translucide, en aucun cas enfoncé et trouble.
L'oeil des poissons est comparable à celui des mammifères, les différences principales étant la forme ronde de la cornée et l'absence de paupières. Ces rideaux servent principalement aux mammifères à l'humidifier, ce qui vous en serez d'accord, est inutile dans la mer.
A de rares exceptions près (les poissons des abysses ont de plus petits yeux voire en sont dépourvus pour certains), les yeux des poissons sont très gros en proportion de leurs corps, les biches aux grands yeux peuvent aller se rhabiller, il n'y a que les lémuriens qui supportent la comparaison.
Vous l'avez observé, les yeux des poissons sont situés de chaque côté de la tête, leur cerveau doit donc faire la synthèse de deux visions opposées, c'est un dispositif de survie, leur champs de vision est bien plus important que le notre, on a calculé qu'ils n'ont qu'un angle mort d'environ 30° vers l'arrière. Je connais des inquiets et des gens au régime qui aimeraient disposer des mêmes facultés pour surveiller qu'on ne vient pas leur planter un couteau dans le dos ou pour observer leurs fesses dans un miroir...
Selon qu'ils sont plutôt grands prédateurs ou proies, leur vision est soit binoculaire pour repérer le gibier à distance, soit monoculaire et donc panoramique, pour avoir un aperçu rapide et large des dangers alentours. Certaines espèces ont une vision jusqu'à 300°, ce qui indique qu'elles n'ont pas froid aux yeux.
Bon évidemment, tout n'est pas parfait, les poissons sont presbytes et ne distinguent pas bien ce qui se trouve tout près (j'allais dire sous leur nez). Par ailleurs, les poissons plats se singularisent, ils ont les yeux au dessus de la tête, et ne voient donc que la partie de la mer située au dessus d'eaux. Comme ils mangent ce qui est au sol, leur existence doit être bien étrange... Notez que la sole a de magnifiques yeux verts.
Puisque ce billet tourne à la leçon de choses, je poursuis avec les autre sens des poissons, que je crois toutefois et hélas dépourvus du sens de l'humour.
L'odorat joue un rôle important dans la détection des proies, et leur "nez" n'est consacré qu'à cela, tout le monde sait bien qu'ils respirent par les branchies. L'odorat agit chez eux aussi en symbiose avec le goût, les poissons possèdent des papilles gustatives, et j'en suis particulièrement heureux pour eux, car ils peuvent ainsi se régaler de produits de la mer.
On ne pense pas en revanche que leur toucher soit très développé, à l'exception précisément de ceux qui comme le rouget-barbet, possèdent des barbillons dont le rôle tactile et sensoriel est fondamental pour la quête de sa nourriture.
Contrairement à une idée reçue, les poissons n'entendent pas par les ouïes, leur oreille est exclusivement interne. On ne sait pas vraiment comment ils entendent, on sait que sous l'eau, les sons se propagent plus vite que dans l'air, et qu'ils sont autrement déformés. Quelques espèces communiquent par le son, ainsi le hareng pète en contractant sa vessie natatoire.
La ligne que la plupart d'entre eux portent en longueur sur le flanc constitue un autre organe sensoriel, dont nous sommes dépourvus. Elle agit comme un détecteur de vibrations. C'est un instrument d'une grande puissance. Grace à cette ligne, ils peuvent nager à grande vitesse et en formation serrée dans les bancs sans jamais se percuter, et appréhender la survenance d'un prédateur avant même de le voir.
Il reste une question aussi épineuse que l'échine des rascasses (et quand les rascasses, les souris dansent), celle de la souffrance des poissons. Si vous allez consulter les défenseurs des droits des animaux ou certains végétariens militants, ils vous expliquent que les poissons souffrent énormément, et d'autant plus qu'ils ne peuvent l'exprimer (sans doute parce que les grandes douleurs sont muettes ?).
Si vous prenez vos informations auprès de pêcheurs, vous apprenez que ce sont billevesées et sensiblerie, que le cerveau des poissons ne possède pas de zone de la douleur, et qu'il ne faut pas confondre réflexe de danger ou de fuite avec de la souffrance.
Je ne me risquerai pas à trancher, et je vous laisse avec un autre proverbe chinois : "Le poisson qui s'asphyxie sur la berge bouge plus que celui qui guette dans l'eau".
Filet de rouget-barbet, sauce passion et thym-citron, royale de foie et laitances
Ingrédients
- un gros rouget barbet
- un fruit de la passion
- quelques brins de thym citron frais
- deux oeufs
- crème fraîche
- whisky
- lait
- macis en poudre (ou muscade râpée à défaut)
- piment d'espelette
- poivre noir
Lorsque je suis entré dans la poissonnerie L'Aquarium à Brest, je n'ai vu que lui à l'étal, en dépit des araignées de mer faisant les marionnettes avec les pinces ou des langoustines vivantes exécutant de superbes sauts de carpe... Un très gros rouget-barbet, il pesait 1,1 kg; je l'ai également mesuré en arrivant à la maison, 23 cm.
Les rougets sont bons quand ils sont très petits (on peut alors les manger entiers après les avoir poêlés à l'huile d'olive ou au beurre clarifié) ou quand ils sont gros, car ils sont alors faciles à fileter sans trop de déchets, et à désarêter. Bref, il m'a carrément tapé dans l'oeil avec ses teintes chatoyantes, je l'ai adopté et je l'ai appelé Roger (ce qui vaut mieux que Claude-Joseph comme son cousin de L'Isle).
Recette
Commencez par ébarber et écailler le poisson, puis videz-le en conservant son foie. C'est là que je me suis aperçu que Roger était une fille, car il avait deux belles poches d'oeufs dans le ventre (je l'ai alors nommée Roseline, après avoir cherché sur Copains d'Avant). Une fois le poisson vidé, vous levez les filets et vous les désarêtez à l'aide de la pince ad hoc.
Préparez alors l'appareil à royale, lavez soigneusement le foie et vérifiez qu'il est vierge de toute trace de fiel. Sortez les oeufs de leur membrane, écrasez le tout à la fourchette dans un bol. Ajoutez un oeuf et un jaune d'oeuf, une belle cuiller à café de crème fraîche épaisse, un verre de lait et un trait de whisky. Assaisonnez de sel, poivre noir, piment d'espelette et macis. Mettez à cuire au four au bain marie environ 30 mn avant de servir, à une température de 150°. (petite discussion domestique sur l'utilisation des tasses à café pour mes préparations avec abats).
Préparez la sauce : Recueillez la chair du fruit de la passion, ajoutez des feuilles de thym-citron frais que vous aurez écrasées car elles sont un peu coriaces, puis diluez avec une bonne huile d'olive, salez et poivrez. Cette sauce sera servie à température ambiante.
Faites cuire les filets de poisson sur un gril ou dans une poêle à fond épais, entre deux feuilles de papier sulfurisé, comme décrit dans ce billet.
Présentez avec la royale démoulée, éventuellement des pâtes; ce jour-là c'était un peu un hasard, j'étais pressé et j'ai cuit des trofie que j'ai arrosées d'huile d'olive au citron, ça se mariait très bien.
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