Homard grillé au feu de bois
Depuis toujours, j'ai une vraie fascination pour la cuisine au feu de bois, et lorsque j'entends des débats sur le bon choix entre le gaz, l'induction, les plaques, l'halogène, je rigole un peu... La seule vraie source de chaleur vraiment radiante, c'est la braise de bois. Pour le reste, je n'ai qu'une religion, pouvoir utiliser mes cocottes en fonte et mes casseroles en cuivre, le reste n'est que technologie. Par exemple, si j'avais été équipé à l'induction, je n'aurais jamais pu utiliser une belle cataplana pour ma recette de la semaine dernière (ce qui m'aurait gravement traumatisé).
Vous me direz, le feu de bois dans la cuisine n'est pas à portée de tout le monde, y compris pour moi lorsque je suis parisien (à ce propos et contrairement à la légende, il est parfaitement autorisé de faire du feu dans sa cheminée à Paris, moyennant quelques contraintes - feu ouvert, bois sec, usage accessoire, ramonage deux fois par an pour les assureurs, ce qui me parait excessif pour un usage accessoire !).
Lorsque je suis en Bretagne, j'ai la chance de disposer de deux cheminées, l'une à l'intérieur et l'autre à l'extérieur sous un petit préau, et j'use et j'abuse de cuisine au feu de bois, vous verriez ça si je mettais des recettes de viande sur ce blog. Cela dit, les produits de la mer sont tout aussi magnifiés par cette cuisson, j'entame aujourd'hui une petite série de billet autour de ce thème.
Avant d'aborder la bonne façon de griller un homard, il me semble qu'il faut nous replacer dans un contexte historique, celui qui veut que l'homme, au sens masculin, n'est que rarement rétif pour s'occuper du barbecue, alors que c'est la croix et la bannière pour lui faire préparer une casserole de nouilles ou un oeuf au plat... Cela remonte à la Guerre du Feu, car le feu de bois est une conquête avant d'être un mode de cuisson.
La Guerre du Feu
Le terrible et glorieux Barbââk Tartââr vivait à l'époque préhistorique. La tradition rapporte qu'il fut le ferment de la Guerre du feu :
"Oum zam ralbol bouffékru", affirma-t-il un beau jour à la gracieuse Fââbhyène, sa compagne de caverne, et il partit dans le monde farouche et cru, à la conquête du feu. Il enfourcha fièrement son béhemvéosaure, et se dirigea en hâte vers l'ouest, là où chaque soir, le ciel s'embrase. Les péripéties de son trajet sont de peu d'importance, retenons seulement qu'il fut brave.
Il parvint enfin à l'extrémité de la terre, face à une vaste étendue liquide où s'ébattaient des bêtes répugnantes au sang froid. A cet endroit, il rencontra une tribu étrange, peuplée de gnomes comiques, mais néanmoins véloces. La tribu des Vénères, dans les grottes de Kââverneuf-du-Fhâou, détenait le feu, qu'elle gardait captif dans des krepp-pierres polies. Cette peuplade tranquille vivait de l'élevage du saucissosaure, et cueillait aux arbres de délicieuses pikhôles.
"Oum zam fher ami-ami" proposa Barbââk Tartââr, avec un sourire avenant, au chef du clan, l'incroyable Cromââgnec, dit "Le Véloce dans le nez", ou parfois "Menhir Rose".
Ce dernier paru fâché :"Pa fher krak-krak", lança-t-il avec un air de défi.
Barbââk aborda alors le point qui lui tenait à cœur, celui pour lequel il était venu, et il s'enquérit d'un ton aimable: "Tââppa dupheu, pliz ?"
C'est comme s'il avait déclenché la foudre. Le cruel Cromââgnec prit les siens à témoin : "Tapavu lotr ââbruti? Savâppal athêt!" Et il entonna le chant de guerre des Vénères : "Hun quilôm êtrapié, sahuz lêzoullié". La tribu reprit ce chant altier, et tous s'élancèrent à l'assaut de notre héros
Il s'ensuivit une mêlée confuse, mais Barbââk Tartââr finit par vaincre. Il captura le chef, puis il l'échangea contre un baâhar-bekkiou, sorte de krepp-pierre portable. Il ramena fièrement ce butin à sa caverne, et il devint le Maître du Feu. Depuis lors, chaque dimanche, lorsque le soleil brille, les descendants de Barbââk Tartââr procèdent religieusement au sacrifice rituel du Baârhar-Bekkiou, en souvenir du glorieux ancêtre qui battit les Vénères à plate couture.
Une commémo en quelque sorte...
Homard grillé au feu de bois
Ingrédients
- homards vivants
- huile d'olive
- (fleur de) sel
- poivre
Afin que vous voyez mieux, j'ai choisi des homards de belle taille pour ce billet (genre 1,6 kg pour celui-ci), et la photo ci-dessous montre comment tenir ces bêtes fragiles sous une apparence blindée... Le homard doit être tenu les pinces vers le bas, et celles-ci un peu soutenues de l'autre main. Sinon, il risque tout simplement de larguer ses pinces.
Ce n'est pas pour protéger la main du manipulateur qu'on leur met des élastiques, mais pour éviter des scènes de carnage dans les viviers.
Le choix d'un homard est assez simple, d'abord sa meilleure saison est l'été, ensuite, comme tous les crustacés, il doit avoir la carapace un peu sale (présences d'algues et autres commensaux) signe que sa mue n'est pas récente, et surtout, de longues antennes (au moins aussi longues que lui), prouvant que sa pêche est récente et qu'il n'a pas trop longtemps séjourné en vivier, où il finit par prendre une saveur douteuse, et à maigrir faute d'alimentation : Il en vient à manger ses antennes et /ou celles de ses compagnons de captivité.
Depuis trois saisons, ce n'est plus un produit de grand luxe. En juillet, je le payais 15 euros le kg auprès du pêcheur (et du homard "portion", plus cher car c'est celui que préfère les restaurateurs), en août, la demande augmentant avec l'afflux des touristes, les prix se sont un peu plus tendus, mais ça restait moins cher que le bar, la sole, la lotte... et surtout que la langoustine qui a atteint des sommets indécents.
Recette
Plus que d'une recette, il s'agit surtout d'une série de tours de main.
Avant de sacrifier l'animal, comme la plupart des cuisiniers respectueux, je lui ôte ses menottes, ce qui en général donne l'occasion d'un pas de deux, sur cette photo, c'est lui qui recule en se demandant ce que je lui veux, mais lorsque que j'en viens à libérer la seconde pince, c'est moi qui fait gaffe à la première...
Vient alors le moment du sacrifice, avec bien entendu la volonté de tuer rapidement l'animal, au cas où celui-ci souffrirait (ce que personne n'a encore réussit à démontrer, mais au moins son instinct de survie est mis à mal).
Pour cela, munissez-vous d'un solide couteau que vous enfoncez sur le céphalothorax la lame tournée vers l'avant (la nature est bien faite, elle a placé une croix sur la carapace à l'endroit précis), tranchez alors rapidement : dans ce mouvement, vous sectionnez à la fois le cerveau et l'estomac cardiaque.
Tournez le couteau dans l'autre sens, et finissez la découpe vers la queue.
Une fois parvenu au bout de la queue, prenez une paire de ciseaux d'écailler pour couper la patie inférieure de la carapace. Pour des petits homards, dits "portion", soit environ 500 g (la taille idéale, mais aussi les plus recherchés et les plus chers), on coupe tout d'un seul mouvement de couteau, mais pour les gros lascars du genre, je préfère m'y prendre ainsi, en deux temps.
Profitez d'avoir les ciseaux en main pour trancher les pinces au niveau de leur premier tronçon, ce n'est pas obligatoire, mais au-delà de la facilité de rangement sur la grille de cuisson, cela présente selon moi également un avantage pour la conduite de la cuisson.
Au final, le demi corps de votre homard se présente ainsi, vous remarquer une cavité au sommet de la tête, là se trouve la "poche à gravier" qu'il convient d'enlever.
Peut-on tuer l'animal plus rapidement, ou tenter d'amenuiser ses souffrances potentielles. Aux âmes sensibles, je recommande de le faire séjourner au frigo pendant une heure avant de le couper. Je n'ai aucune idée sur le fait que ce soit efficace ou non, mais une chose est certaine, engourdi par le froid il va moins se débattre, ce qui donne moins de scrupules.
Pour ceux à qui c'est impossible, il reste la solution du poissonnier si on le cuit rapidement ensuite, mais le mieux est de le cuire aussitôt découpé. Il est aussi possible de le plonger trente secondes dans un bain d'eau bouillante de façon à le tuer d'un coup, mais franchement, c'est un pis-aller.
Une fois la braise à point, c'est à dire bien rouge et ornée d'une pellicule grise, vous y mettez le homard à cuire, les pinces au fond où la chaleur est la plus vive (les pinces mettent plus longtemps à cuire que les corps, ce qui m'incite à les traiter un peu différemment), et les corps chair tournée vers les braises.
Beaucoup recommandent de ne cuire que du côté de la carapace, mais je ne suis pas d'accord, d'une part, la chair est ainsi marquée et raidie, d'autre part, cela permet une bonne cuisson du corail contenu dans les femelles, qui reste noir s'il n'est pas assez cuit au lieu d'un rouge bien appétissant.
Soyez intransigeants sur la qualité de votre combustible. J'utilise du bois ni aromatique (résineux) ni vert (fumées indésirables), et le plus souvent du charbon de bois (afin de réserver conserver le bois que je tronçonne aux flambées de la saison fraîche). Pas de succédané de charbon de bois, comme ces boulets agglomérés qui dégagent une fumée infâme, pas de rafles de maïs qui sont très aromatiques et se consument en quelques minutes. J'utilise exclusivement du charbon de bois "Qualité restaurant", aux gros morceaux qui font une braise intense et durable.
Lorsque la chair est un peu marquée (quand elle a légèrement coloré), retournez les pièces (sans oublier les pinces), salez et poivrez, et versez un petit filet d'huile d'olive.
La cuisson parfaite est atteinte quand la chair de la queue a pris une jolie teinte blanche nacrée, il est temps d'arrêter, au risque sinon de la voir devenir cotonneuse (il est rare, mais possible, que même la cuisson bien menée, la chair de votre homard soit un peu cotonneuse, pas de chance, mais la nature n'est pas une science exacte).
Vous servez avec à disposition de la fleur de sel et de l'huile d'olive.
Vous avez plusieurs solutions d'accompagnement, mais l'une qui fonctionne toujours, ce sont les pommes de terre grenaille longuement cuites au four, dont voici la meilleure façon de les préparer : je m'inspire de celle que pratique mon copain Jean-Luc L'Hourre, MOF et restaurateur étoilé à Lannilis (capitale du monde), un gars à qui je dois pas mal de tours de main ou d'idées de plats dont je vous fais profiter ici.
Lavez soigneusement les pommes de terres, et passez les à la poêle dans du beurre, jusqu'à ce qu'elles prennent un peu de coloration. Passez-les ensuite dans un plat à four avec quelques échalotes et gousses d'ail pelées, des feuilles de laurier, et un peu de gros sel. Mélangez bien, et laissez cuire deux heures à feu doux, en remuant de temps à autres.
Très franchement, je ne connais pas de meilleure façon de déguster du homard, l'huile d'olive lui va mieux que le beurre, le flambage à l'alcool lui donne de l'âcreté, j'ai arrêté tout ça... Il se défend aussi en salade une fois cuit à la vapeur, mais j'ai de plus en plus de mal à l'apprêter en sauce.
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