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Cuisine de la mer
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27 avril 2012

Tartelette de brick aux oignons et supions

"Franchement les amis, ce qui m’arrive n’est pas drôle, et je me fais un sang d'encre. Je vais mourir et ma future épouse aussi. Je n’ai vraiment pas le cœur à enterrer ma vie de garçon, un enterrement dans la semaine, ça suffit bien comme ça, surtout quand c’est le sien. Je dis enterrement, mais nous reposerons au fond de l'océan, et pas en paix.

Nos os blanchis finiront par s'échouer sur une plage, où des oiseaux viendront les piqueter sans vergogne ; les enfants s'en empareront et y planteront une plume, pour fabriquer un voilier, ultime affront pour nous qui utilisions l'hydro-propulsion depuis notre naissance. 

Adieu l’Emile je t’aimais bien quand tu jouais à Nemo, dans Emile L'Ouie Sous les Mers, tu n’as pas ce problème mon cochon, tu n’as pas la malédiction de la sémelparité. Adieu le poulpe à grosse tête, mon encéphalo-pote de toujours, qui y passera comme moi bientôt ; j’adorais trinquer avec toi lorsque tu tenais un verre dans chaque tentacule, rien qu’à nous deux, c'était le banquet de l'Amicale de la tentes acculée…

Mon encre est comme figée lorsqu’il s’agit de rédiger le faire-part de mariage, ce n’est pas facile, d’autant moins que je ne peux pas adopter la formule classique : "Monsieur et Madame Trucmuche ont le plaisir de vous annoncer le mariage de leur fils ou fille", car ni elle ni moi n’avons jamais connu nos parents, morts avant notre naissance.  J’en suis là, j'avoue que je sèche un peu :  

"Mademoiselle Caroline Sépiane et Monsieur Renaud Seichan
ont le plaisir de vous annoncer leur mariage le 28 avril 2012,
et l'immense douleur vous inviter à vous unir d’intention lors de leurs obsèques
qui se dérouleront le 29 avril 2012 dans la plus stricte intimité.
Fleurs et couronnes bienvenues, mais pas en même temps"
.

C’est là où je me dis que nous aurions dû envoyer ces faire-part bien plus tôt, jamais nos amis n’auront le temps d’aller consulter notre liste de mariage. Quant à établir maintenant une liste de décès, on crierait haro à l'abus... D'ailleurs, nous n’avons même pas organisé de banquet nuptial, tant nous serons occupés à vivre notre passion brève, et je l'espère intense.

J'ose à peine me demander comment nous occuperons au mieux ces moments. Un dîner, forcément on va suçoter quelques crevettes, puis trouver un coin tranquille pour nous ébattre et déposer les oeufs. Je l'entends déjà d'ici "Doucement Renaud, c'est la première fois". Si elle me dit ça, je vais aussitôt penser que pour moi aussi, c'est la première... et la dernière. Ma réaction est imprévisible, soit ça me coupe l'envie, soit ça me stimule pour en profiter pleinement. Mourir d'amour, il y a pire, j'aurais pu crever d'une simple turlutte. Mais mourir au printemps, c'est dur tu sais ? "

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Ce pourrait être la complainte de la seiche, comme celle de tous les éphémères, frappés donc de sémelparité.  Il s'agit d'ailleurs d'une sémelparité homme-femme, puisque les deux meurent peu après leur reproduction, celle-ci n'intervenant donc qu'une fois, cela ne vous aura pas échappé.

Chez la seiche, elle intervient au bout de deux ans environ, ce qui permet une rotation rapide de l'espèce, d'autant que l'animal est très prolifique et n'a pas d'état larvaire, ce sont de petites seiches déjà formées qui s'échappent des grappes d'oeufs noirâtres, appelées raisin de mer. 

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Bien souvent, les seiches choisissent de s'ébattre dans un casier de pêche (ici un casier à crabes artisanal, d'avant l'âge du fil de fer et du plastique réunis), endroit qui leur parait protégé et donc idéal pour y déposer les oeufs, lesquels sont le plus souvent détruits au moment du nettoyage des casiers, avant d'éclore.

Dans quelques coins de la côte, des pêcheurs pratiquent une démarche durable, en ré-immergeant ces casiers jusqu'à l'éclosion du raisin. Les résultats de cette pratique sont mal évalués, mais de mon point de vue, c'est toujours mieux qu'un coup de karcher, et ça montre bien l'attitude responsable de nombreux pêcheurs côtiers. Par ailleurs, et sauf erreur de ma part, la seiche n'est pas en danger de surpêche, même si on n'a peu de données récentes sur le gisement.

supions

Les seiches que je vais avoir le plaisir de vous cuisiner dans un instant proviennent de Méditerranée, ce sont des juvéniles, vendues sous le nom de supions, ou casserons en d'autres endroits. Vous pouvez apprécier leur taille par comparaison avec une cuiller à café ci-dessous.

Nice donc, j'aurais pu vous produire la complainte du breton à la fenêtre de son hôtel sur la Promenade des Anglais (en plus...), observant un ciel breton et une pluie battante sur une mer qui reste figée à la même lisière de plage. J'aurais pu vous pianoter qu'entre deux averses, j'ai quand même pu faire le marché et tomber sur ces beaux supions, et comment j'ai dû piquer de la glace au poissonnier pour ramener cette provende sans dégât dans le TGV (juste la glace odorante qui a coulé un peu dans le porte-bagages). 

J'aurais pu vous fredonner le blues du cuisinier solitaire en pleine nuit, occupé à parer ces animaux emplis d'encre et à les poêler rapidement pour qu'ils soient au mieux pour la recette que j'ai concoctée chemin faisant et qui est d'inspiration niçoise.  Mais non, il paraît que j'exagère trop avec la Méditerranée... n'empêche que je plains les autochtones, il pleut plus sur Nice que sur Brest, Barbara devrait s'en rappeller. 

supions1

Tartelette de brick aux oignons et supions

Ingrédients

- supions ou casserons
- oignons
- feuilles de brick
- pignons (de pin, c'est un pléonasme)
- ail
- pissala ou anchois au sel
- origan
- poivre noir
- sel

Recette

 Commencez par parer les supions, ce qui consiste simplement à enlever ce qui craque sous la dent, à savoir le bec et l'os (ou sépion). Procédez avec tact, en laissant l'animal le plus intact possible, comme ci-dessous (une fois rincé).

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Mettez les bestioles lavées et épongées (oh, le beau torchon noir, utilisez plutôt du papier absorbant si vous ne voulez pas vous faire chanter Ramona par votre épouse préférée) dans une poêle à froid avec un peu d'huile d'olive et une ou deux gousses d'ail hachées, à votre goût. Egouttez rapidement, et conservez un peu de l'encre qui s'est exprimée durant cette opération. 

Pelez et coupez en "lanières" des oignons, et faites les revenir dans un peu d'huile d'olive, en les faisant cuire, presque fondre sans coloration (il convient de les saler en début de cuisson pour obtenir un meilleur résultat, mais pas trop car on ajoute un ingrédient salé).  En cours de cuisson vous les assaisonnez d'un peu d'origan et de pissala. A défaut de pissala faites fondre dans huile d'olive deux ou trois filets d'anchois au sel, rincés, avant d'y ajouter les oignons. En fin de cuisson, ajouter du safran et du poivre noir. 

Faites griller à sec quelques pignons de pin.

Comme vous le constatez ci-dessous, rien qu'en le remuant un peu dans la poêle,  le supion a pris la couleur de son encre, un petit malin parlerait étourdiment de Supion l'Africain, mais ici on ne plaisante pas avec la couleur des gens. Dommage, car j'aurais bien aimé un numide pour mes petites seiches (merci Goscinny).

Donc voici les ingrédients, les oignons au pissala et au safran, un peu d'encre récupérée dans la sauteuse, les supions à l'ail et les feuilles de brick. Au verso de la photo, les pignons légèrement grillés. 

supions3

Huilez légèrement les feuilles de bricks, et pliez les dans le sens qui vous conviendra (j'aime bien les rectangles vu que j'ai des assiettes adaptées), l'essentiel est qu'il y ait deux couches à l'endroit où vous allez mettre la garniture. Passez les feuilles à four chaud, le temps qu'elles soient rigides et un peu colorées.

Puis vous les garnissez d'une couche d'oignon, vous les replacez au four jusqu'à ce que les oignons soient chauds et un peu colorés en surface ; enfin, vous ajoutez les supions les pignons, et repassez au four quelques instant, afin que les premiers arrivent à température sans trop de cuisson. 

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Je rassure les niçois, rien à voir avec une pissaladière, même si on en reconnait deux ingrédients et une certaine inspiration. Je pensais au départ conserver l'encre pour la verser sur la tartelette, mais au final j'ai trouvé qu'il en restait bien assez comme ça autour des supions, et je me suis contenté d'en faire un décor à deux balles. 

C'était vraiment très bon, et même exceptionnel avec un petit verre d'anisette...

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