Axoa d'auxide au cidre
Encore un billet à boniments allez-vous me dire, non sans justesse, mais que puis-je faire d'autre avec un poisson nommé bonite (oui, l'auxide est classée dans les bonites, et non dans les ferrailles), qui de plus fait son entrée sur CdM ? Je vous gâte, deux petits nouveaux en deux billets, avec le flétan fin septembre.
Dans l'océan, c'est comme dans la vie, il y a les petits thons et les gros thons. Il y a même un thon obèse (thunnus obesus), assez proche d'aspect du thon rouge martyr, victime d'un massacre dont il semble que c'est le cadet des sushis du plus grand nombre d'entre nous.
C'est le plus petit en haut à gauche qui nous intéresse en premier lieu (et même en premières vingt mille lieues), et il n'est pas si petit que ça, pas le genre de poisson que vous allez élever dans un bocal sur le guéridon d'ébonite de mémé. D'ailleurs, le listao (sur la colline) peut grandir jusqu'à 1,20 mètre et non se cantonner aux modestes 70 centimètres indiqués sur cette planche. C'est l'un des trois poissons les plus pêchés au monde, avec l'anchois et le colin de l'Alaska.
Sa répartition géographique est distribuée dans les mers un peu chaudes, surtout dans le Pacifique et l'Océan Indien, mais on en trouve une population significative en Atlantique (beaucoup au large des côtes africaines), et en Méditerranée. Présent aussi dans le Golfe de Gascogne, il ne remonte guère plus haut, il est exceptionnel de le trouver en Manche.
Listao est en fait le nom commercial de la bonite à ventre rayé. Son nom latin "katsuwomus pelamis", a du moins pour le premier terme, une consonance japonaise. Evidemment, dès qu'il est question de thon, on s'attend à voir flotter ce drapeau qui évoque une défloration sur la banquise...
Le katsuobushi utilisé dans la cuisine japonaise, ce sont des filets de bonite saignée, fermentés, fumés et séchés (par certain de l'avoir dans l'ordre). On peut les acheter entiers et les raboter au fur et à mesure de ses besoins. On les trouve plus facilement dans les commerces japonais ou coréens sous forme de copeaux très légers, des "poissons dansants" qui s'agitent sur les plats chauds au gré de la vapeur, sur un simple bol de riz ou mieux sur l'une de mes déviances sucrées préférées, l'okonomiyaki
Source notable d'umami, la bonite séchée est l'un deux ingrédients de base du bouillon dashi, avec l'algue kombu, appellation qui recouvre quelques variétés de laminaires. On la retrouve aussi dans de nombreuses sauces, comme dans la ponzu où elle s'accorde merveilleusement avec le yuzu et le shoyu.
Le thon c'est bon, la bonite est bonne
A côté des espèces montrées sur cette planche (il s'agit des plus couramment pêchées, il en existe quelques autres), il y a ceux qu'on appelle les thonidés mineurs, à savoir essentiellement :
- la bonite à dos rayé (sarda sarda)
- la thonine (euthynnus alletteratus)
- l'auxide (auxis thazard ou auxis rochei)
Ces trois poissons sont généralement vendus sous le nom de "bonite", il y a pourtant quelques différences. La bonne nouvelle, c'est que ce sont tous les trois des thonidés que vous pouvez acheter sans trop d'arrière-pensée écologique, ils sont pêchés dans nos eaux et ne sont pas aussi menacés que beaucoup d'espèces. Ils n'ont pas la finesse du thon rouge lorsqu'il s'agit de les manger crus, leur saveur un peu huileuse peut alors déranger, mais cuits ils sont très bons, à condition de ne pas se tromper d'usage.
La bonite à dos rayé ne nage pas sur le dos, pas plus que la bonite à ventre rayé ne nage trop près du fond, ce qui aurait pu expliquer les rayures... C'est le meilleur de ces trois poissons, le plus sympa aussi à taquiner en pêche au lancer, car il ne se laisse pas faire facilement. C'est lui qui a la chair la plus ferme, à la saveur la plus fine ; on va le choisir pour des préparations où le filet va rester entier, et cuit rosé. Un excellent client pour la plancha, et c'est aussi le meilleur pour les conserves à l'huile.
La thonine a une saveur très proche de celle la bonite à dos rayé, la différence étant une couleur de chair un peu plus foncée et une texture un peu moins ferme, mais elle convient aux mêmes usages culinaires.
L'auxide est la moins prisée de ces trois "bonites", même si elle reste un très bon poisson. C'est celle dont le goût est le plus marqué de notes "huileuses", ce qui s'amenuise avec la cuisson. Elle va être bien adaptée à des préparations en sauce, comme cet axoa, voire à des farces : en Italie, on la retrouve communément dans des raviolis ou des cappelacci, qui sont des sortes de raviolis à la pomme de terre. Les provençaux et les corses la nomment "bonitou"., c'est un poisson essentiellement méditerranéen.
Bref une fois de plus, un étiquetage plus rigoureux des poissons sur les étals des poissonneries serait souhaitable, je savais que je n'achetais pas le meilleur des trois, mais j'ai un peu l'œil ; je pense que beaucoup de ceux qui ont acheté le même poisson et ont voulu par exemple le poêler ou le mettre en papillote ont été déçus (d'autant plus que j'ai pris le seul gros spécimen du lot, soit près de deux kilos, les autres atteignaient tout juste la taille d'un gros maquereau, beaucoup de perte et une chair pour lors peu digne d'intérêt).
Pour mon axoa, l'auxide convenait parfaitement, surtout à six euros le kilo... pas seulement à cause du "X" au milieu du mot, ce qui n'est qu'un petit thazard. (Il paraît que la lecture de CM a été rendue obligatoire dans les clubs de joueurs de Scrabble).
Avant de passer en cuisine, quelques mots pour remercier le site Larousse Cuisine d'avoir mis cette semaine CdM en vedette, au travers d'une interview que vous pourrez retrouver ici parmi d'autres, très bien faites et intéressantes, au moins les rédactrices du site font l'effort de personnaliser leurs questions en fonction du contenu des blogs qu'elle sélectionnent, et choisissent ensuite des photos bien adaptées au contenu des réponses. Rien à voir avec ces [censuré de 750g ]qui m'ont demandé il y a peu si j'étais partantE pour répondre à leur formulaire d'interview...
Axoa d'auxide au cidre
J'aurais pu garder le terme générique de bonite, car les trois poissons décrits ci-dessus conviennent très bien à cette recette, mais je trouve que l'intitulé de cette recette sonne mieux comme ça... Cela dit, c'est plus facile à lire qu'à prononcer, car le mot basque "axoa", qui signifie "haché", se prononce "achoa", ce qui annule une bonne part de l'alitération.
Ingrédients
- une auxide (ou bonite) de 1,5 à 2 kg
- un oignon
- un poivron rouge
- un demi-piment d'Espelette (ou piment d'Espelette moulu)
- dix piments verts doux d'Anglet
- trois gousses d'ail
- thym
- cidre du Pays Basque
- poivre noir
- piments de Guernica (facultatifs)
L'axoa est un plat traditionnel servi sur les marchés du Pays Basque, le plus souvent préparé avec du veau, ou un mélange de veau et de porc, voire du boeuf. Depuis quelques années, on le trouve également préparé avec du thon ou de la bonite, dont les basques sont de grands pêcheurs.
C'est d'abord une ode au piment, bien entendu le piment d'Espelette qu'on ne présente plus, comme me le disait Sophie Brissaud alors que nous les achetions de concert, outre sa saveur, ce piment joue un rôle d'exhausteur de goût, un peu comme un glutamate naturel...
Le piment doux d'Anglet est tout aussi nécessaire à ce plat, il faut le consommer vert, sa saveur est alors magnifique. Vous pouvez à défaut utiliser du poivron vert, tachez alors de trouver la variété en corne, facile à trouver chez les commerçant revendant les produits maraîchers d'Afrique du Nord.
Facultatif, mais néanmoins délicieux, le fabuleux piment de Guernica que je viens de découvrir et dont je ne pourrai plus me passer, simplement frit rapidement dans un peu d'huile et assaisonné de fleur de sel.
Le cidre basque est assez différent du cidre normand ou breton, plus austère et droit dans ses bottes, pas le genre à se fourvoyer avec une crêpe au Nutella ou un camembert au miel... celui que j'ai utilisé est tout simplement excellent. Si vous ne consommez pas d'alcool, vous pouvez utiliser un fumet de poisson un peu aigre-doux, genre enrichi de jus de citron et de jus de pomme.
Il faut dire que j'ai eu la chance de rencontrer des basques exceptionnels, provenant aussi bien du côté espagnol que français, avec une guide de tout premier ordre. Cela se passait il y a quinze jours, sur l'île Seguin près de Paris, où à l'initiative du restaurateur Arnaud Daguin, se tenait un marché réunissant quelques producteurs, de tout premier ordre.
Sophie Brissaud qui m'a invité à la rejoindre sur ce marché, a écrit et conseillé le tournage d'une série documentaire pour Arte "Le bonheur est dans l'assiette", diffusée à partir de ce 15 octobre. Après le Pays Basque ce jour-là, la série nous emmènera en Tasmanie, en Chine, au Bénin, et sur la Côte Ouest des Etats-Unis. Je regarderai bien entendu, même si il parait que le rendu télévisuel de telles personnalités est un peu décevant... mais bon, la télé c'est la télé.
Cela dit, je suis reparti de ces rencontre passionnantes, les bras chargé comme la tête après une tournée des bars-chapelle à la bretonne ; si vous voulez connaître la liste des producteurs basques fédérés autour d'une marque collective de qualité paysanne, c'est sur le site de Idoki que ça se passe. J'ai toujours aimé le Pays Basque, qui a beaucoup de points communs avec la Bretagne (dont la pluie, disent de méchantes gens), en particulier une véritable culture des produits de la terre et de la mer.
Recette
Commencez par lever les filets de l'auxide, c'est très facile sur ce type de poisson rond. Enlevez également la peau. La photo ci-dessous montre le résultat de l'opération avant le parage des pièces, vous observez la chair caractéristique des thonidés, très vascularisée, très sombre voire noire là où le sang est le plus présent. Je n'enlève que cette partie noire qui donne de l'amertume et la saveur métallique caractéristique du sang, je garde la partie brune riche en saveur et très fondante venant compenser la sécheresse relative du reste de la chair, mais faites comme vous le sentez.
Vous pouvez aussi mettre les filets à dégorger comme un foie gras, dans de l'eau fraîche salée et légèrement vinaigrée, pour un aspect plus blanc, mais franchement pour cette recette, on s'en fout... Par ailleurs, ne gardez pas la paroi ventrale là où elle est tachée de jaune, saveur fielleuse...
Coupez ensuite les filets en dés pas trop petits, il y a plusieurs écoles pour l'axoa, qui est un plat populaire pas si codifié que ça, certains hachent vraiment la viande, d'autres laissent en morceaux plus ou moins gros. Pour du poisson, le hachage est déconseillé, à moins que vous ne soyez un amateur de miettes de thon. Pour ma part j'aime bien retrouver la chair qui se détache en feuillets...
Préparez les piments. Fendez les piments doux sur la longueur, enlevez les graines, et coupez chaque moitié en trois morceaux. Passez le poivron rouge au four, pelez-le, ôtez les graines et coupez-le en lamelles. Prenez un demi piment d'Espelette, toujours sans les graines, et hachez-le au couteau, pas trop finement.
Dans une sauteuse, avec un peu d'huile et pas mal de beurre (il faut nourrir la chair du poisson), faites revenir avec un peu de coloration l'oignon coupé en dés. Au bout de quelques minutes, ajoutez l'ail grossièrement haché, le piment d'Espelette, le poivron rouge et une branche de thym. Laissez cuire un peu, jusqu'à ce que le fond de la sauteuse colore un peu, et déglacez avec deux verres de cidre. Lorsque ce dernier est chaud, salez et ajoutez les morceaux de poisson.
Laissez cuire à feu doux une dizaine de minutes, cela suffit amplement, poivrez et tenez au chaud dans un four à 80° jusqu'au moment du service.
Juste avant de servir, vous pouvez frire ces fameux piments de Guernica, ou à défaut, utiliser les mêmes piments d'Anglet que ceux incorporés dans le plat... ou rien du tout. L'accompagnement traditionnel de l'axoa est la pomme de terre, mais une polenta conviendrait très bien. Ici, ce sont des rattes simplement coupées dans la longueur, et longuement poêlées, toujours dans un mélange d'huile et de beurre.
Nous avons bu le même cidre que celui utilisé pour le plat, c'était bien la moindre des choses. Aujourd'hui je ne rêve plus que de me rendre à nouveau au Pays Basque, que je connais plus du côté océanique (ce qui n'étonne personne), et d'approfondir les richesses gourmandes et le beau caractère de ces gens amoureux de leur terre.
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