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Cuisine de la mer
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24 février 2013

Calamar sauté au poivre vert

On commence à sentir le moisi sur ce blog, voici près de trois mois que je n’ai rien publié, par un mélange de torpeur hivernale qui donne envie de manger du pot-au-feu ou des huîtres natures, de ras-le-bol récurent du bouffe-business envahissant de plus en plus d'écrans, sans compter le prix du moindre merlan dans les poissonneries parisiennes, ou même bretonnes au moment des fêtes. Il faut avouer qu’il faisait un vent à décorner un chef de phare, et à ne pas mettre un pêcheur de poissons volants dehors. 

Du coup j’ai cuisiné du pigeonneau le 31 décembre, au barbecue, j’adore faire des grillades dehors ce soir-là, une façon comme une autre de braver les éléments et de faire participer les mânes de mes ancêtres au festin rituel. Si vous voulez la recette, elle est consignée depuis longtemps sur l’un de mes vieux sites, moche (et les recettes ont bien évolué depuis) mais efficace en copier-coller. (J’en profite pour informer la maison SEB qu’elle peut piocher à loisir et gratuitement les recettes de cette relique sur le feu de bois, tout en lui recommandant vivement d’embaucher des auteurs professionnels pour remplir ses tablettes vides). Pour la recette, c’est ici.

Ceux qui suivent la page Facebook de CdM (et qui n’ont jamais été aussi nombreux depuis que j’ai cessé de publier, merci ça me fait vraiment plaisir, mais vous flattez le diable cossard qui batifole en moi), ont peut-être vu que j’ai publié sur le blog de ma copine Framboize, une recette de bœuf cambodgienne, vous pouvez y aller en toute décontraction, vous n’en reviendrez pas avec une fièvre de cheval. A propos de Framboize, je me demande par ailleurs si quelqu'un a pensé à vérifier s'il y a ou non du cheval dans les fraises Tagada ? 

loclac
Boeuf lok-lak

C’est encore au Cambodge que je vous balade cette fois, avec cette recette qui me semble la façon la plus civilisée d’utiliser du poivre vert, même s’il parait qu’il existe encore des amateurs de steak au poivre vert, avec crème, cognac et autres flingueurs de saveur. Evidemment, on utilise surtout sous nos climats du poivre vert en saumure (encore un mot qui me fait penser à une copine de cheval mariée à un cadre noir). 


Du poivre

Lorsqu'on va au Cambodge, on ramène du poivre, et même du poivre de Kampot, un peu comme on ramène du vin de Bourgogne, de l'eau de Lourdes ou des morpions de l'Hôtel du Pou Nerveux. Une production assez récemment réorganisée, par la réhabilitation de cultures anciennes et la plantation de nouvelles. Pour les kmers rouges en effet, il s'agissait d'une plante inutile, et presque toutes les plantations ont été détruites, remplacées (ou non) par des cultures vivrières. 

Il s'agissait d'une tradition forte pourtant, les premiers à cultiver du poivre dans la région de Kampot ont été des chinois originaires de l'île de Haïnan, la plus petite province de Chine, un endroit où on cultive encore beaucoup le poivre, mais surtout connu pour la production de noix d'arek depuis la dynastie Tang. Par ailleurs, c'est un endroit où j'irais bien passer des vacances

Les chinois cultivaient ce poivre en exploitant les lianes poussant directement sur des arbres. Lorsque les français arrivèrent au Cambodge à la fin du XIXème S., ils avaient déjà bien l'intention de faire de la péninsule indochinoise une région fortement productrice de poivre, pour contrebalancer le poids des anglais sur cette épice, depuis l'Inde. Ils se mirent alors à la cultiver sur des tuteurs de bois mort, donnant immanquablement aux plantations de poivres des allures de champs de houblon ou de carrés de haricots (enfin, de mon point de vue). C'est à cette époque que ce poivre a pris le nom de Kampot, le port dont il était expédié.

Bref, il y a environ dix ans seulement qu'on peut trouver assez facilement du poivre de Kampot chez les marchands d'épices spécialisés, arrivage qui a été un peu "perdu" dans le flot de différents poivres d'origines diverses que seuls quelques initiés connaissaient auparavant. Il faut du coup une culture et un palais défiant toute concurrence pour s'y retrouver, et classer un peu. Je ne vais pas m'amuser à recopier des sites spécialisés, amusez-vous à faire votre propre enquête, comme Hercule Poivrot. 

A partir du piper nigrum, la variété principale, vous pourrez trouver six sortes de poivre commercialisées.

- Le poivre vert, qui est cueilli à six mois, puis vendu frais, déshydraté ou en saumure. 
- Le poivre noir, dont les baies sont cueillies avant maturité, et séchées au soleil, ce qui les fait noircir.
- Le poivre blanc dont les baies sont cueillies à maturité, écorcées et parfois légèrement saumurées
- Le poivre extra blanc, qui est une variété sélectionnée du précédent, très appréciée des chefs de cuisine qui aiment sa couleur discrète dans les sauces blanches
- Le poivre rouge, récolté mur, et séché un peu au soleil puis dans l'obscurité pour qu'il ne perde pas sa couleur. C'est un rare et cher délice, car il est plutôt difficile à récolter et à traiter. 
- Le poivre gris, que vous ne trouverez qu'en poudre ou concassé, pour la simple et bonne raison qu'il s'agit de poivre noir (ou d'un mélange de poivre noir et blanc) plus ou moins broyé, pulvérisé ou concassé (mignonette). 

Jusqu'à une époque récente, on ne trouvait pas facilement de poivre vert frais sous nos latitudes, il est tout à fait courant désormais. Certes, il n'atteint pas la qualité de celui que j'ai ramené du Cambodge, en Thaïlande l'agriculture a adopté notre biais intensif, mais il reste très consommable. Je ne trouve aucun intérêt au poivre vert déshydraté, et je n'utilise que très rarement le poivre vert en saumure. Il a toutefois trouvé toute sa place dans ce tartare de dorade royale.

pepper
Crédit Photo

 

Du poisson fermenté en condiment

L'histoire pourrait être longue, avec les passages obligés par le garum romain et le pissalat niçois, comme on le recopie de site en site, en oubliant de préciser que les romains ont piqué aux grecs leur garos,  eux-mêmes l'ayant probablement hérité des babyloniens, qui le nommaient siqqu en akkadien, et s'en léchaient les babines, dit-on. Les celtes fabriquaient également une sauce de poisson, que les romains nommaient garum armoricum, et dont il existe encore aujourd'hui un dérivé utilisé en médecine naturelle. 

 L'histoire ne précise pas d'où les mésopotamiems ont hérité de la pâte et de la sauce de poissons fermentés, il est probable qu'elles venaient d'Asie. L'avatar suivant dans cette région fut la muriatica salsa, où divers poissons étaient mis à fermenter avec du sel. Cette denrée se distinguait des piscis salsus, soit des poissons salés et séchés (lesquels devaient être assez proches des capelans séchés de Terre-Neuve, un régal devenu excessivement rare en France, hélas...)

Plus tard, en particulier à Bagdad et à Cordoue, vers le VIIIème S., les arabes mirent au point une sauce de poisson, le murri, soit une sauce d'anchois fermenté et de jus de raisin, voire de céréales,  qui provoquaient une fermentation alcoolique en plus de la fermentation lactique du poisson. Il arrive qu'au Vietnam, on incorpore pour la même raison du jus d'ananas au poisson pour confectionner certains nuoc-mam.

C'est de toute façon en Asie que l'art de la fermentation est le plus développé, dans nos civilisations occidentales, nous avons toujours privilégié les salaisons ou les fumaisons pour conserver les aliments (et le séchage qui est la chose au monde la mieux partagée), à part pour quelques denrées comme la choucroute, ou en Pologne une sauce à base de céréales fermentées, comme un archétype de la sauce de soja. Et n'oublions pas certaines charcuteries où la fermentation joue un rôle déterminant, comme par exemple le saucisson sec. 

On connait quelques exemples de poissons fermentés, en Islande (le tidbit de hareng et épices et le "fameux" requin fermenté dans le sol, le hakarl, que j'ai déjà évoqué ici et il y en a d'autres !) ou en Suède où on continue à fabriquer le surströmming, qui est du hareng fermenté d'abord en tonneaux, où s'opère un dégagement gazeux abondant et nauséabond, lequel se poursuit une fois le poisson conditionné en boîte, que l'on achète bombées par le gaz. On raconte même que ces boîtes explosent lorsqu'elles sont transportées par avion ! De nombreux poissons marinés, comme les harengs ou le saumon gravlax, subissent également une légère fermentation, imperceptible au goût. 

La sauce de poisson fermenté en Europe reste assez largement méditerranéenne donc, et l'héritier le plus direct du garum n'est pas le pissalat (tout au plus un descendant du hallex romain qui était aussi une pâte, et par ailleurs, le véritable pissalat est difficile à trouver, on vend souvent une vague anchoïade corsée sous ce nom), mais une production italienne encore couramment utilisée dans de nombreux plats, j'ai nommé la colatura de alici, à base d'anchois comme son nom l'indique. On pourrait aussi citer la Worcestershire Sauce (la vraie, de marque Lea Perrins, créateurs de la spécialité en 1837, oubliez les autres !), qui contient de l'extrait d'anchois fermenté, mais il faut vraiment le savoir....

colatura_di_alici_di_cetara_MED

Retour en Asie donc, où elle existe sous différents noms (nuoc-mam au Vietnam, nam-pla en Thaïlande, patis aux Philippines (selon les spécialistes, cette dernière serait la plus proche du garum des romains), shottsuru au Japon, ngan-pya-ye au Myanmar, tuk-trey au Cambodge etc.). Il existe ausi des pâtes de poisson ou de  divers  animaux, marins ou non, dont le fameux kapi thaïlandais (pâte de crevette fermentée), le mam vietnamien (pâte de poisson, d'anchois surtout) ou le redoutable prahok cambodgien (proche du padek laotien), que j'utilise dans la recette ci-dessous.

Dans le sud du Cambodge, en bord de mer, on pratique une fermentation qui aboutit à un résultat comparable au nuoc-mam vietnamien. Les cambodgiens sont néanmoins surtout de grands consommateurs de poissons d'eau douce, qu'ils pêchent dans les rivières, ou au sein du grand lac central, le Tonlé Sap, qu'on a cru inépuisable, mais dont une pêche intensive par des flotilles semi-industrielles sous concession étatique, a bien failli anéantir les réserves. Ce poisson fermenté se trouve en jus, en pâte, mais aussi en morceaux, généralement vendus en bocal sur les marchés.

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Etalage de poissons séchés à Phnom Penh,
on distingue bien les petits pots de prahok.

J'ai pu visiter un prahok psar, à savoir donc l'endroit où sont préparées ces différentes délicatesses. Ma femme et ma fille sont restées très à l'écart, tandis que je luttais contre la chaleur de gueux qui régnait sous les tôles et les toiles, et que je respirais sans grande répugnance l'odeur pourtant fétide et ammoniaquée sortant des bacs en bois.... les dégagements gazeux sont très importants lors de cette fermentation. 

Montages

Je ne vais pas m'amuser à faire un comparatif de tous ces dérivés de poisson fermenté, j'en suis bien incapable, mais voici ceux qui figurent dans mes placards, soigneusement bouchés et à l'abri de la lumière. 

- Du prahok, que je n'utilise que pour les recettes cambodgiennes ou laotiennes
- Du kapi, sans lequel je ne saurais préparer mes pâtes de curry thaïlandaises et que j'utilise ausi par exemple pour les moules sautées au basilic thaï, je vous écrirai cette recette en saison. 
- Du nuoc-mam, qui pour moi surpasse toutes les autres sauces de poisson que j'ai pu goûter jusqu'à présent.

Attention, il y a nuoc-mam et nuoc-mam, le tout-venant est bien suffisant pour cuisiner, mais prenez quand même garde à la provenance, il s'en fabrique par exemple sur les côtes de l'Afrique de l'ouest (où il n'est pas pire que d'autres). Au Vietnam le nuoc-mam est une chose sérieuse, deux endroits revendiquent d'en produire le meilleur cru, l'île de Phu Cuoc (où les bacs de macération sont en laurier à suif, et le poisson uniquement de l'anchois -ca com en vietnamien- ce qui lui donne un caractère bien spécial, c'est mon préféré) et la ville de Phan Tiet.

Sa qualité est déterminée en fonction du taux de protéines qu'il contient, et qui est porté sur les étiquettes des bouteilles :

- de 30° à 50°, c'est habituellement le premier "jus" extrait, un nuoc-mam de qualité, peu dilué et le moins salé, qu'on réserve pour la table,
- entre 20° et 30° il s'agit d'une qualité intermédiaire,
- de 5° à 20°, on ne va l'utiliser qu'en cuisine. 

Comme pour l'huile d'olive, il y a donc le premier jus, qui est très corsé et savoureux, parfois trop pour les palais occidentaux, on rajoute ensuite de l'eau dans les bacs pour obtenir des liquides moins concentrés de seconde et troisième "presse".

Ce premier jus est donc le fin du fin, vendu sous le nom de nuoc nam nhi. En cherchant un peu, on peut en trouver, en provenance de Phu Cuoc qui bénéficie d'une Origine Géographique Contrôlée, dans les épiceries asiatiques de France. En tout état de cause, évitez ceux des marques industrielles présentes sur les gondoles de la grande distribution, ils sont plus chers et moins bons (et a-t-on vérifié s'ils ne contiennent pas d'hippocampe ?). 

nuocNih

Grâce à Didier Corlou, ce chef breton établi à Hanoï et grand découvreur d'épices, j'ai pu goûter à du très vieux nuoc-mam. C'est un nectar que je place au même niveau que certains vinaigres balsamiques haut de gamme, pour sa saveur à la fois douce et corsée et sa  complexité aromatique. Ces sauces sont assez rares, si vous passez par cette ville, tachez d'en ramener... ou au moins de sa fameuse fleur de sel de nuoc-mam qui est délicieuse également. 


Calamar sauté au poivre vert

Ingrédients

- 1, 2 kg de calamars plutôt petits (10 à 12 cm environ)
- 150 g de poivre vert frais
- 1/2 poivron rouge
- 1 oignon pas trop gros
- 2 gousses d'ail
- sucre de palme (ou cassonade)
- prahok ou kapi
- sauce d'huître
- basilic thaï

Si vous ne souhaitez ou ne pouvez pas acheter de prahok (ou de kapi qui est un succédané plus qu'acceptable pour cette recette), vous pouvez bien entendu utiliser du nuoc-mam, que vous ajoutez en fin de cuisson.

Recette

Préparez les calamars. Coupez la couronne de tentacules au ras des yeux, et ôtez le bec qui s'y trouve logé. Coupez cette couronne en deux. Nettoyez les manteaux (conservez les ailerons qui sont délicieux mais enlevez toutes les pellicules de peau) et séparez-les en deux. Lavez et séchez. 

A l'aide d'une lame très aiguisée, entaillez en quadrillage sur environ le tiers de son épaisseur.  Il faut entailler la face interne du manteau, car lorsqu'il s'enroule à la cuisson, c'est cette partie qui se trouve à l'extérieur. L'opération est un peu longuette, mais de moins en moins au fur et à mesure qu'on la pratique, c'est comme tout en cuisine !

Ce quadrillage n'a pas que des vertus décoratives, il permet une cuisson rapide et donc tendre de l'animal, et lui donne une texture très agréable en bouche. Si vous êtes pressés, vous pouvez vous contenter de le couper en lamelles, c'est d'ailleurs le plus souvent sous cette forme que je l'ai mangé au Cambodge. 

Parez les grappes de poivre vert, ce qui consiste à couper les extrémités de la tige si elles sont brunies, et éventuellement à ôter les grains qui seraient noircis. Faites les blanchir dix secondes dans une eau bouillante, puis rafraichissez-les aussitôt à l'eau glacée. Cette opération a deux buts, d'une part d'amenuiser une éventuelle âcreté des baies, et d'autre part d'attendrir la rafle, qui est consommée. Par ailleurs, elle avive la couleur des baies. 

Hachez l'oignon en petits dés et l'ail très finement. Coupez le poivrons en lanières assez fines.  Préparez une douzaine de petites feuilles de basilic thaï, que vous laissez entières. 

Faites suer les calamars en démarrant à froid dans le wok, avec une cuiller à soupe d'huile. Arrêtez la cuisson et égouttez dès que les premiers manteaux commencent à s'enrouler, signe que l'excès d'eau qu'il peuvent contenir est évacuée(c'est notamment le cas pour des calamars décongelés ou restés un peu longtemps sur glace, comme on trouve souvent dans les poissonneries, tachez d'acheter des encornets blancs frais - voir ici - , c'est le top, mais ça vaut au moins quinze euros le kilo). 

Rincez le wok, faites le bien chauffer, puis versez une rasade d'huile, et mettez-y les oignons et le poivron à revenir, lorsqu'ils ont légèrement coloré, ajoutez l'ail, faites revenir encore un peu et ajoutez un peu de sucre de palme et une noisette de prahok si vous en utilisez, ou remplacez par de la pâte de crevette fermentée, ou kapi

 Ajoutez le calamar, le poivre vert, le basilic thaï, et une cuiller à café de sauce d'huître (là encore privilégiez la qualité, et regardez la composition, 30% d'huîtres dans cette sauce constituent un minimum acceptable). A partir de là, ne cherchez pas à trop cuire, il s'agit de réchauffer, le calamar restera ainsi très tendre.  

poivrevert

C'est un plat qu'on rencontre couramment au Cambodge, et aussi sa variante tout ausi délicieuse, cuisinée avec de l'étrille bleue, dont le port de Kep s'est fait une spécialité. Si le coeur vous en dit, et que vous savez l'apprêter, vous pouvez trouver ce crabe dans les bacs à congélation des magasins asiatiques.  

poivrevert1

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