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Cuisine de la mer
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17 juillet 2013

Soupe aux parures de merlu

 ***Une ritournelle tournait dans la cour de l’école de Lilia, qui  disait comme ça : « Les pommes de terre pour les cochons, les épluchures pour les bretons ». L’air m’est resté dans la tête, avec plein d’autres bribes qui ne servent à rien, sauf à radoter, comme le prétendent mes petits-enfants…

C’était un jeu, nous n’étions pas choqués par cette phrase qui pourtant abaisse les bretons plus bas que les cochons. La fiente du coq n’atteint pas le haut du mat : ces histoires sont des propos de caserne ramenée par les fayots. Les marins ont de plus beaux restes de mémoire, quand ils reviennent.

Nous savions bien que c’étaient des conneries, nos cochons mangeaient exactement les mêmes pommes de terre que nous, on mettait les plus petites, fastidieuses à éplucher pour la table, dans leur soupe. Les porcs étaient bien nourris, on savait bien qu’on les mangerait plus tard, enfin, du moins pour ceux qui avaient les moyen d’en élever ne serait-ce qu’un.  

Je n’ai pas fréquenté longtemps l’école de Lilia, ce sont les aumôniers de la marine qui m’ont vraiment appris à lire et à écrire. Je me suis retrouvé soutien de famille à 11 ans, quand on a trouvé le bateau du père dérivant, chargé à ras-bord de goémons noirs. Personne n’a su ce qui est arrivé, ou il a ripé du tas de goémon, ou il s’est trop penché pour pisser. On n’a jamais retrouvé les restes de mon vieux, bouffé par les crabes et les crevettes, ceux-là ne laissent rien perdre.

Jannig, ma mère a été très sobre ; dans son breton impeccable, elle a proféré : « Sacré tête à cailloux, on lui avait bien dit de pas faire la marée seul, mais voilà, plutôt crever que partager !». Et se tournant vers moi : « Fini l’école Jobig, il va falloir apprendre à te débrouiller ».

C’est comme ça que je me suis retrouvé à manœuvrer le soufflet de la forge de Plouguerneau, pour gagner quelques petits sous que je remettais religieusement à ma mère, en ne rêvant que d’une chose, m’embarquer enfin, afin d’envoyer plus d’argent à ma famille, et surtout m’échapper de cette forge enfumée et brûlante.

Le quotidien n’était pas facile, on n’avait pas de pommes de terre tous les jours, et lorsqu’on en avait, ma mère mettait les épluchures dans la soupe, mais elle serait morte de honte si les voisins l’avaient appris. De même qu’elle ne voulait pas qu’on sache que le dîner était souvent fait de ragoût de brennig, et elle m’envoyait jeter les coquilles vides à la mer, qu’on n’en voie pas trop trainer autour de la maison. J’en profitais pour en ramener des pleines.

Quand la Guerre de 14 a démarré, j’ai entendu que la Royale enrôlait les gars à partir de seize ans ; j’en avais quatorze, mais baraqué comme j’étais par les travaux, je pouvais passer. J’ai embrassé Jannig et mes cadets, et je suis parti à pieds pour Brest, où on m’a affecté sur un escorteur rapide. Là j’ai connu pire que la forge, quand ils m’ont mis à nourrir de charbon l’immense chaudière.

Au bout de deux mois je toussais tellement noir qu’un quartier-maître de Guisseny a eu pitié de moi, et m’a envoyé en vacances à la cambuse. Là j’étais bien, entouré de nourriture, moi qui en avait vu si peu ces dernières années.

Un jour où j’avais épluché trois baquets de patates, le coq se penche sur le tas de pelures :

- Eh mignon, si tu laisses autant de patate après la peau, les gars vont crever de faim et on va perdre la guerre à cause de toi. Ce à quoi j’ai répondu, avec une pensée pour Jannig :
- Bah, si vous deviez bouffer mes épluchures, vous ne les trouveriez pas trop grosses !

Le coq était un gars du Finistère Sud, ceux-là ne savent pas rigoler. J’ai donc fait une semaine de cachot à méditer sur le fait que dans la Marine, on salue tout ce qui bouge, et on peint tout ce qui ne bouge pas. Et aussi sur le fait que la fiente du coq n’atteint toujours pas le haut du mat. A la fin de la guerre, j’ai pu m’en aller, il n’y avait plus assez de bateaux pour tous les pomponnés survivants, et je n’avais pas l’intention d’apprendre à nager. Je me suis embarqué pour la pêche, le métier est plus dur mais on est moins emmerdé, et on cuisine chacun à son tour.***

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Cuisiner les restes, les fanes et les épluchures serait la nouvelle tendance, galvaudée des éditeurs de livres de cuisine aux émissions de cuisine-réalité, sans compter les inénarrables magazines culinaires, lesquels en cette saison toutefois, se consacrent plus exclusivement aux fraises, aux planchas et aux différentes façons de ne pas se prendre la tête en cuisine durant les vacances. Je dis souvent du mal des magazines culinaires, mais je dois dire que j'aime assez "Zeste", et que je me réjouis de l'arrivée d'une rédactrice en chef de choc, un peu déjantée comme j'aime, ça devrait bien gigoter ; allez féliciter Anne-Laure Pham

Ne pas gaspiller, ne pas jeter, comme si c’était nouveau, comme si nos anciens n’avaient pas basé l’encombrement de leurs greniers sur le « ça peut toujours servir », comme si leur cuisine n’était pas basée sur l’optimisation des ressources de la saison. Comme d’habitude, cela s’accompagne de leçons de morale aux consommateurs basiques que nous sommes, ceux qui ne savent pas. Comme si tous ceux qui ont des soucis de budget, et ils sont de plus en plus nombreux, n’avaient pas depuis longtemps dû réduire leur train de vie et une optimisation de leurs achats obligatoires, à commencer par les aliments. 

En plus, il faudrait se sentir fier de manger ses épluchures, ses laitages périmés, de sauver la planète en mangeant moins de viande et de poisson,  (par ailleurs braves gens, moins vous mangez et moins vous vous empoisonnez).  Une fois leur morale bien assénée, les mêmes vont dans les restaurants de vraie cuisine, manger du dos de cabillaud,  du cœur de filet de saumon et j’en passe, sans jamais se demander où passe le reste de la bestiole.

Pour les poissons, c’est simple, les restes sont au mieux transformé en pâtée pour animaux, piscicultures y compris ; pour les viandes, c’est désormais notoire, on en fait du « minerai », pour les  plats cuisinés industriels bas de gamme. Au final, la misère tombe toujours sur les pauvres et leur misérable pitance, comme on dit dans les milieux où on a du vocabulaire à étages. 

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Que dire du retour des farines animales dans les piscicultures, quel nouveau « Soleil Vert » sous forme de surimi orangé nous réserve l’avenir ? Qui suis-je pour donner des leçons aux faiseurs de morale, moi qui suis si peu locavore (j'adore le poivre et la méduse), mais qui sait que les pesticides se concentrent au niveau de la peau des fruits, que les bardes filtrantes des coquilles saint-jacques recueillent et fixent les polluants, dont de nombreux métaux lourds ?

Bien entendu, je fais des fumets avec les têtes de crevettes, même achetées cuites, mais je fais bien attention à ce qu’elles n’aient pas été traitées au métabisulfite. J’aime manger la peau des pommes de terre rissolées, ou même cuites sous la braise, mais après un printemps très pluvieux, je vais me méfier des quantités excessives d’anti-pourrissement qui ont été enfouies dans les rangs, y compris les bios. 

A part le "bio" sans étiquette des jardins et des petits maraichers, je n’ai pas une confiance absolue en celui qu’on affiche tapageusement dans les rayons des hypermarchés, à des prix qui effectivement, justifient qu’on mange les épluchures et même l’emballage.

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Il y a énormément de gaspillage dans la pêche, ne serait-ce que pour le poisson-fourrage (la variante maritime du minerai carné), on sait qu'il faut plusieurs fois son poids de poisson sauvage pour produire un poisson d'élevage. C'est pareil pour cette nourriture pré-digérée qu'est le surimi, il faut quatre à cinq kilos de colin d'Alaska pour produire un kilo de surimi, et les producteurs en font un gage de qualité, voir ici

Plus terribles encore et bien plus difficiles à quantifier, sont les prises dites accessoires. Une application bête et méchante des quotas de pêche conduit à rejeter à la mer un tas d'animaux morts, quand ce ne sont pas les engins de pêche peu sélectifs qui conduisent à de véritables hécatombes. L'exemple de la pêche aux gambas et autres crevettes exotiques est bien connu (on fait des progrès, mais pas encore assez, c'est pour cela qu'en dépit d'une saveur moins authentique, je me contente de produits d'élevage, entre deux maux...), mais celui de notre colin à nous, le merlu, (puisqu'on en cause), n'est pas moins édifiant. 

Figurez-vous que ce poisson, à ce point présent sur tous les étals de poissonnerie à un prix décent qu'on pourrait le croire inépuisable (comme le cabillaud une trentaine d'années auparavant), a filé un mauvais coton, on en pêchait de moins en moins. Grosse inquiétude. 

On s'est aperçu que la pêche à la langoustine décimait une énorme population de petits merlus, du coup on a changé la maille des filets (taille des captures), et surtout fabriqué des engins permettant  une meilleure sélectivité. C'est assez ingénieux à défaut d'être spectaculaire, je vous invite à jeter un coup d'oeil à cette page.

Il suffit parfois de peu, car quelques années plus tard, les prises de merlu ont cru à un point que les cours de ce poisson se sont écroulés, à ce point que les pêcheurs préféraient parfois détruire la marchandise pour soutenir les prix à la criée. Rien n'est parfait en ce bas monde, mais on progresse, et on peut manger ce poisson sans trop d'arrière-pensées. Cette photo vous montre que le merlu a une grosse tête, un paquet de nageoires, et je ne vous raconte pas les arêtes. Une fois les filets levés, il vous reste encore 60% du poids du poisson d'origine. Vous me voyez jeter tout ça ?

Merluccius_Merluccius

Avant de passer à table, une petite dose d'apérothérapie qui fait du bien (surtout à moi). Cuisine de la Mer a eu la chance (et de bienveillantes fées), d'être sélectionné parmi "Les blogs à découvrir", dans un dossier préparé par Camille Labro sur les blogs culinaires, au sein du Hors-Série du journal Le Monde, titré "à table", un numéro tout à fait passionnant malgré un louche penchant pour les poissons d'eau douce (je dis ça, mais si ça se trouve, ce n'est pas si horrible, il faudrait que je goûte un jour)

Un bonheur ne venant jamais seul, j'ai la joie d'être encadré dans cette sélection par deux auteures pour lesquelles j'ai autant d'admiration que d'affection, Linda de Cuisine Campagne et Camille de Le Manger. L'article en parle très bien (il n'y a rien à jeter, restons dans le thème), allez découvrir ces blogs si ce n'est déjà fait, vous verrez que le voyage alimentaire s'écrit tout aussi bien dans le petit bois derrière chez soi, qu'aux fins fonds du monde. Des passionnées... 

LeMonde

 Soupe aux parures de merlu

Ingrédients

- un beau merlu sans ses filets
- un oignon
- ail
- trois échalotes
- un petit poireau
- une petite branche de céleri
- huile d’olive
- une petite boîte de concentré de tomate
- bâtons de fenouil
- laurier
- piment d’Espelette
- poivre
- sel
- safran
- croutons
- sauce rouille
- comté râpé

Si vous voulez savoir ce que j'ai fait du reste du poisson, c'est ici que ça se passe

Recette

Vous avez conservé la tête, les arêtes, les nageoires du merlu dont vous avez levé les filets pour une autre recette. Bien entendu, vous étiez parti d’un poisson vidé (on mange des restes, mais faut pas pousser quand-même). Enlevez toutes les parties pouvant donner de l’amertume, à savoir les yeux et les éventuelles poches de sang présentes le long de l’arête. Coupez ce qui reste en morceaux.

Pelez un oignon, trois échalotes et cinq gousses d’ail. Hachez grossièrement le tout, et mettez à rissoler au fond d’un fait-tout. Coupez le poireau et la branche de céleri en petits tronçons, et ajoutez-le. Lorsque tout cela a un peu fondu, ajoutez du concentré de tomate, et faites-le cuire une minute en remuant sans arrêt. Mettez alors le poisson, un peu de fenouil et du laurier. Mouillez de deux litres d’eau, et faites cuire à couvert pendant deux heures à petit bouillon.

Laissez refroidir, puis passez le tout au moulin à légumes. Filtrer ne suffirait pas, il faut utiliser cet ustensile pour bien exprimer les sucs du poisson et de la garniture aromatique. Votre soupe est prête, il ne reste qu’à la réchauffer et à l’assaisonner. Ici c’est sel, poivre et safran, ces épices étant à ajouter seulement durant cette phase, la cuisson ne leur faisant pas que du bien.  

Pour les croûtons, vous avez le choix entre les sécher au four, ou les faire rissoler dans un rien d’huile d’olive. Sachant que la rouille est composée d’une mayonnaise assez serrée, d’ail écrasé et de piment, le coup du four parait un peu pharisien (non, ce n’est pas un gardien de phare), sans compter le comté râpé, pour ceux qui en mettent. 

soupe

 J’étais en Provence, j’ai donc fait la version provençale, mais vous avez tous les choix poissibles à partir de la base. Si vous êtes normands, vous remplacerez le safran par de la crème et la rouille par du calva, si vous voulez rester breton, vous mettrez une pincé de curry pimenté, du Kari Gosse en meilleur, et quelques épluchures rondelles de pomme de terre, et ainsi à l'envi. Tout aussi librement, vous pouvez faire ce type de soupe avec n'importe quel poisson, en évitant les poissons gras qui donnent une saveur rance au potage. J'ai une soupe de tête de lotte dans un registre voisin. 

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