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Cuisine de la mer
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31 juillet 2013

Salade de pomme de terre, homard et truffe de la Saint-Jean

Voyage en Orient

Ils sont quelques-uns à avoir écrit un livre portant ce titre, à commencer par Flaubert et Châteaubriand, mais mon préféré entre tous est celui de Gérard de Nerval, qui ne voyageait jamais sans sa mallette à poésie. Les deux premiers voyageaient comme Lamartine, pompeux et techniques, Nerval allait bien plus loin et plus vite qu’eux, même sans bouger une oreille, ce fou que ses rêves privaient de repos.

Un vrai amateur de fruits de mer par ailleurs, sur la fin de sa vie tragiquement achevée, suspendue à une grille, il trainait volontiers dans le quartier des Halles parisiennes, son point de chute favori était une rôtisserie servant un bouillon de volaille, et fauché comme il l’était, il se moquait avec un mélange d’envie et de respect des bistrots chics, les ancêtres de la bistronomie dont on nous rabat les oreilles aujourd’hui (la restauration n’est faite que de redécouvertes, si on exclut quelques délires chimiques).

Des endroits où les friqués de toutes plumes de la capitale viennent paraître s’encanailler, et qu’on ne me dise pas que le monde a radicalement changé depuis la bourgeoisie gourmando-thuriféraire du milieu du XIXème siècle. Lorsqu’il parle de « Chez Baratte », qu’il répute « Le Restaurant des Aristos », c’est pour évoquer son repas favori.

« L’usage est d’y demander des huîtres d’Ostende avec un petit ragoût d’échalotes découpées dans du vinaigre et poivrées, dont on arrose légèrement lesdites huîtres. Ensuite, c’est la soupe à l’oignon, qui s’exécute admirablement à la Halle, et dans laquelle les raffinés sèment du parmesan râpé. — Ajoutez à cela un perdreau ou quelque poisson qu’on obtient naturellement de première main, du bordeaux, un dessert de fruits premier choix et vous conviendrez qu’on soupe fort bien à la Halle. — C’est une affaire de sept francs par personne environ. 

On ne comprend guère que tous ces hommes en blouse, mélangés du plus beau sexe de la banlieue en cornettes et en marmottes, se nourrissent si convenablement ; mais, je l’ai dit, ce sont de faux paysans et des millionnaires méconnaissables. »

Aujourd’hui vous n’y dinez plus ni pour sept francs ni pour sept euros, mais pour soixante-dix euros, et la clientèle est somme-toute la même. J’exagère un peu, il reste un endroit où c’est bon, pas trop cher et tranquille, « La Cloche des Halles », un bistrot sans l’ignoble –nomie, rue Coquillère.

J’aurais adoré souper avec Nerval, sans doute même l’aurais-je invité, et sans doute aussi aurais-je été saisi entre l’admiration et la compassion, le voyant lors d’une crise de délire, promener un homard aux jardins du Palais Royal, au bout d’une laisse de ruban bleu. La sainte classe que cette laisse assortie à la carapace, aurait-il pu allitérer et réitérer. Deux ailes, deux nageoires, deux pattes, ou même un seul rêve, avec ça tu peux voyager.

 

nerval

Donc, me voici parti vers l’Orient, quittant les très occidentaux abers au petit matin, traversant au péril de mes pneus le Pays Pagan et la Côte des Naufrageurs,  franchissant des patelins jadis accueillants, désormais aménagés et décorés comme des centres commerciaux, me tapant plusieurs tours de ronds-points improbables, et songeant à mon grand-père qui n’aurait pas un instant hésité à envoyer par le fond d’une torpille bien calée, ces troupeaux de camping-cars bouchant à la fois l’horizon et le passage.

Petite halte à Plouescat pour récupérer le jeune et sémillant Commandant du navire, et cap sur Roscoff, sans manquer de s’esclaffer sur le nom d’un carrefour habité, « Croissant Plougoulm ». Une survivance des premiers coloniaux qui prirent pied sur cette terre aux consonances étranges qu’ils adaptèrent à leur idiome. Il faut lire « Kroaz-Hent », littéralement « La Croisée des Chemins », bref « Le Carrefour de Plougoulm ». Peut-être avions-nous affaire à des conquistadors œcuméniques, mêlant dans leur déterminisme toponymique, la croix et le croissant ?

Nous embarquons et mettons cap sur l’île de Batz, et c’est en sortant du port que je me dis que j’aurais dû mettre un antivol aux roues de ma voiture avant larguer les amarres, tant les naturels du lieu font un usage excessifs de ces ronds de caoutchouc. C'est au-dessous de la Capitainerie que sont exposés ces trophées, ce qui me fit fugitivement penser aux citadelles des roitelets érythréens qui de la même façon exhibaient à leurs remparts les dépouilles et oripeaux de ceux qui les avaient contrariés. Sans doute ces échelles sont-elles bien pratiques lorsque les naturels veulent rejoindre leurs pirogues, mais quelle aubaine pour un assaillant... 

Rosoff

Nous nous éloignâmes rapidement, godillant à tour de rôle pour quitter prestement cet endroit lugubre, ce qui fut fait prestement. Chez nous à l'ouest, les enfants savent godiller avant même de pouvoir marcher ; il arrive parfois qu'on équipe leur berceau d'une voile, mais il ne faut rien exagérer, c'est plus pour l'effet décoratif, que pour leur donner une vocation de Moitessier ou Tabarly, que de toutes façons, ils acquièrent en tétant leur mère. Sous nos efforts conjugués, se forma un sillage impressionnant qui décourageât les corsaires des parages de nous poursuivre. 

sillage

Lorsque nous arrivâmes aux parages de l'île Batz, nous étions aussi affamés qu'un requin à la Réunion et plus assoiffés qu'un artichaut au Sahel. Je les avais menacés d'une salade de patates au surimi, et lorsque ma supercherie fut découverte par l'équipage, tous se détendirent franchement, et nous mangeâmes sereinement cette ration de survie arrosée de quelques gobelets de tafia de Provence, tout en contemplant les curieuses évolutions de petits boutres barrés par des pygmées délurés. 

boutres

Ils manœuvrent leurs embarcations précaires avec dextérité, mais semblent errer sans cap précis. J'ai déjà observé de ces manèges dans le Golfe de Tadjoura, où sous couvert d'évolutions ludiques, de petits sambouks paraissant aussi fragiles qu'inoffensifs, bordaient soudainement leurs voiles latines pour se ruer en mer rouge à l'assaut d'une cargaison, dont un mystérieux instinct les a prévenus du passage au large. Notre bâtiment ne ressemblant en rien à un navire marchand, nous dédaignâmes ces petit gobies pour tourner nos regards vers l'ouest, vers une mer d'émeraude d'où émergent un nombre considérable de minarets. 

minarets

Notre but était de nous aventurer dans cette zone, où le fort courant du jusant entrant dans la Baie de Morlaix draine avec lui quantité d'animaux marins. Or, le but de cette expédition, longtemps maintenu secret afin de ne pas alerter l'anglais, était de prélever un grand nombre de ces créatures, à des fins d'études, notamment de digestibilité.

Arrivés en vue de Morlaix, nous nous gardâmes bien de pénétrer dans la baie, ce qui aurait pu être considéré comme un acte hostile par une population peu commode, du moins si l'on en croit les explorateurs qui s'y sont aventurés par la terre, nombre d'entre eux sont encore retenus captifs, mais la majorité a été dévorée par les indigènes, la devise de la cité étant fort explicite sur ce point : "S'ils te mordent, mords-les". 

Nous trempâmes nos instruments sous les auspices des tourelles tribord et bâbord marquant l'entrée du chenal, et à distance raisonnable du sombre port défendant l'entrée de la Baie. Nous pûmes ainsi travailler en toute sérénité, sous l'œil désabusé de cormorans efflanqués, nulle pierre ou sagaie fut lancée à notre encontre, il faut dire que nous étions au milieu de l'après-midi, et que dans ces contrées exotiques, le cérémonial de la sieste est sacré.  

tribord

babord

Ceux qui ont navigué dans les lointaines mers du sud sont déjà accoutumés à cette architecture en boîte de sardine. Dans le Pertuis d'Antioche, entre Oléron et l'île de Ré, il existe pareille fortification. Il s'agit du Fort-Boyard, tandis que nous avons affaire à Morlaix au Tord-Boyaux Château du Taureau.  

Notre prélèvement ne fut pas des plus aisés, nous étions en effet confrontés à une véritable marée verte de débris végétaux que la mer descendante avait arraché à la terre et que le flux de montante lui ramenait tout aussi surement. C'est en effet une curieuse habitude des populations agrestes de ces côtes, de faire pousser une sorte de salade verte sur les estrans. Nous ignorons encore dans quel but ils le font. 

Nous capturâmes des espèces assez voisines ou très différentes de celles de nos côtes occidentales, ainsi des lieux jaunes aux yeux bridés et au sourire énigmatique, des lieux noirs du Bénin à l'œil malin, des soles palmées, un merlan des Indes, des maquereaux en couleur, une sardine nardine-bebek, un carrelet d'Azulejos, un JR à poils blancs, et quelle ne fut pas notre surprise quand, sans-gêne, un bar accouda sa nageoire à notre franc-bord, et nous demanda un verre de rosé. Il était temps de rentrer. 

Je vous raconterai ultérieurement ce qu'il advint de cette pêche étrange, dans  l'instant, on m'a instamment intimé de publier la recette de la gamelle du bord de cette journée mémorable. 

Salade de pomme de terre, homard et truffe de la Saint-Jean

Ingrédients

- pommes de terre à chair ferme
- homard vivant
- lamelles de truffes de la Saint-Jean émincées
- jeunes petits oignons rosés de Roscoff
- aneth
- huile d'olive
- vinaigre de xérès
- huile d'olive
- sel de mer
- poivre muntok

- Mes pommes de terre étaient des ostaras nouvelles de l'île de Batz, tout comme le homard provenait de Roscoff, sans compter les oignons dont il s'agit de la variété type. J'avais donc sacrifié aux rites locaux avant d'embarquer. 

- La truffe de la Saint-Jean, ou truffe d'été (tuber aestivum) est assez proche de la truffe de Bourgogne (tuber uncinatum). C'est très beau produit, à la saveur différente des truffes d'hiver (truffe du Périgord et truffe brumale), et surtout supportant encore moins la cuisson qu'elles. Elle est à son aisie crue dans des salades, ou émincée sur un plat de pâtes. On la trouve désormais facilement conservée en lamelles, en petit pots de 30 grammes valant environ 18 euros, c'est du moins à ce prix que je les ai vus dans deux épiceries fines, à Paris et à Brest. 

- Quant au homard, l'été est sa saison, c'est sa meilleure saison. Les anciens affirmaient même que pour le pêcher :

Ar poent gwella evit al legestr
Zo etre an daou dantez

Le meilleur moment pour le homard
C'est entre les deux feux de joie

Le dicton fait bien entendu mention des feux de la Saint-Jean (bien vu la truffe) et de ceux de la Saint Pierre (la prochaine fois, je cuisine ce poisson avec cette truffe), respectivement les 24 et 29 juin. Sans être ausi précis, c'est en effet à partir de la mi-juin qu'on trouve abondance  de homards (tout est relatif), sur les hauts fonds proches de la côte, et jusqu'à la fin juillet, on peut le trouver à des tarifs plus avantageux au kilo qu'une entrecôte de qualité, soit à moins de 20 euros, lorsqu'on habite  non loin des lieux de pêche. On peut aussi les pécher soi-même, mais les belles pièces se font rares dans les trous de rocher, sauf à connaître comme moi ce dernier coin secret où on doit les écarter à coups de botte pour pouvoir passer. Je vous ai déjà joué le Seigneur des Ormeaux, mais à mes heures perdues, je joue aussi à Bilbo le Homard

Mettez toutes les chances de votre côté pour obtenir des homards à la carapace bien pleine, il faut tout d'abord que leur mue soit assez éloignée, ce qui se traduit par une carapace "sale", c'est à dire à laquelle algues et commensaux de toutes sorte se sont accrochés. Par ailleurs, après la mue, la carapace du homard est très sombre, elle s'éclaircit ensuite. 

L'animal doit être bien vif et donner de vigoureux coups de queue. Enfin, ses antennes sont restées bien longues, signe qu'il n'est pas resté longtemps à jeuner dans un vivier, où lui-même et ses congénères les ont mangées pour passer le temps et tromper leur faim. 

Recette

Les ingrédients principaux  peuvent être préparés la veille, mais leur mélange en salade doit s'effectuer deux ou trois heures avant consommation, pour ne pas que la saveur de la truffe l'emporte sur toutes les autres.

- Cuisez votre homard à la vapeur ou à l'eau salée, comptez un quart d'heure de cuisson pour un homard de 800 grammes. Une fois refroidi, décortiquez-le selon la méthode expliquée ici, et émincez-le en morceaux suffisamment grands pour assurer une belle présentation. En proportion, j'avais environ 1/3 de chair de homard pour 2/3 de pommes de terre. 

- Cuisez les pommes de terre, pelez-les et coupez-les en morceaux. 

- Préparez une vinaigrette avec une noisette de moutarde, de l'huile d'olive et du vinaigre de xérès (ou autre vinaigre pas trop agressif de votre choix).  Ajoutez à cette vinaigrette deux petits oignons rosés de Roscoff frais (format grelot), finement émincés, y compris le vert de la tige, et quelques peluches d'aneth coupé fin (très peu, c'est une saveur puissante et désagréable en excès). Salez, poivrez et arrosez les pommes de terre de cette vinaigrette.

- Deux à trois heures avant de servir, mélangez la chair de homard et les lamelles de truffe de la Saint-Jean aux pommes de terre, et partez en mer. 

Patathomard

J'ai toujours été un adepte des pique-niques chics, il m'arrive d'apporter à ces repas du pain de lotte voire de l'aspic de canard à l'orange, mais je dois dire que dévorer homard et truffe en mer sous un joli soleil, a été une grande volupté, nonobstant les assiettes en carton qui font partie du rituel et qu'on oublie vite lorsque leur contenu est bon.  Et au moins lors d'un pique-nique en bateau, on ne mange pas des guêpes assis sur des fourmis. 

Patathomard1

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Commentaires
A
Bonjour Bernard,<br /> <br /> Toujours émerveillée par tes articles. Dis-moi tout. Où trouves-tu la truffe à BREST ? Chez tôt ou tard, chez KERJEAN ou ailleurs ? Bonne journée. Annick
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