Pétoncles au beurre d'escargot
Pour faire du beurre d’escargot, il faut se procurer du lait d’escargot, ce qui n’est pas la moindre des choses. Cette quête exigeait de nos ancêtres préhisthélicoles, des parties de chasse effrénées, à battre les fourrés et les taillis des journées durant, par temps humide en plus. En cet âge farouche, on n’avait pas encore inventé le mur, au pied duquel on voit limaçon.
On capturait au lasso ces fauves assoiffés de verdure, afin de les traire avec d’infinies précautions pour ne pas être mordu, cette espèce ayant comme les primates les mamelles près de la bouche, tandis que les autres mammifères les portent près du cul.
Ce sont les romains qui les premiers auraient introduit les pratiques intensives d’élevage de l’escargot, ce qu’a décrit Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle.
« Un peu avant la guerre entre César et Pompée, Fulvius Hirpinius établit auprès de Tarquinies des parcages pour les escargots. Il les distinguait par classes, mettant séparément les blancs qui naissent dans le territoire de Réati, ceux d’Illyrie qui sont les plus grands, ceux d’Afrique qui sont les plus féconds, ceux de Solite auxquels on donne la prééminence. Il imagina même de les engraisser avec du vin cuit, de la farine et d’autres aliments, afin que les escargots engraissés offrissent eux-mêmes une jouissance de plus à la gourmandise. »
Avec ce régime au vin cuit et autres gourmandises toniques, on ne s’étonne plus que ce soient les escargots de Bourgogne qui sont les plus dodus, encore que ce soit une variété dont on ne maîtrise plus l’élevage, à force de picoler ils sont revenus à l’état sauvage, et tant mieux.
Quoiqu’il en soit, les romains étendirent leurs escargotières à l’ensemble des territoires qu’ils conquirent. On sait que Cléopâtre se baignait dans du lait d’ânesse, on ignore souvent que sa petite cousine Cléobergère se trempait la couenne dans du lait d’escargot, dont les vertus cosmétiques sont encore reconnues de nos jours, alors que celles du lait d’ânesse sont depuis longtemps perdues dans la diététosphère lactophobe.
Les escargotières romaines étaient de vastes champs cernés de murets de cendres et de sciure, afin que les escargots ne puissent s'avancer sans s'assécher et cesser de progresser (ceci fut une allitération susceptible de faire postillonner plus d'un limaçon, je rêve du jour où je vous dicterai mes billets dans le crachin).
Chargés de les nourrir et de les surveiller, les escargow-boys étaient perchés sur des échasses afin d’une part d’éviter de se faire grignoter les radis, et d’autre part pour ne pas trop en écraser en procédant à leurs travaux quotidiens, comme le marquage au fer rouge des coquilles et bien entendu, la collecte du lait dans les cochleariae où le cheptel n’était pas destiné à la boucherie. Ces types menaient une existence exténuante, et ils en bavaient tout autant que leurs troupeaux.
Grâce aux romains également, la collecte du lait atteignit le stade industriel. Rome avait lancé aux quatre coins des provinces de son empire, un appel d’offres portant sur la fourniture d'une machine destinée à faciliter la traite des escargots. Ce ne fut pas l’un des nombreux modèles de trayeuse mécanique qui fut retenu, il y en eut pourtant de forts ingénieux proposés, mais leur mise en œuvre restait minutieuse, et surtout, aucun ne garantissait vraiment des morsures.
C’est d’un druide-collabo que vint la solution. Surimix (tel était son nom, qu’il soit maudit sur au moins mille générations au carré), aidé de ses acolytes Vomitix et Abortix, mit au point une potion magique tellement écœurante que les escargots en arrivaient à expurger leur lactation. Cette potion était cuisinée à base de persil, d’échalote et d’ail, il y avait aussi du homard pour donner du goût. Il suffisait d’en mettre quelques gouttes dans leur abreuvoir, et les escargots étaient aussitôt pris du besoin de se purger les mamelles.
La potion présentait aussi l’avantage de parfumer agréablement la chair de l’animal, au point que certains croyaient que l’escargot était tombé dedans quand il était petit. Plus encore, elle communiquait sa saveur au lait, et on en obtenait un beurre aromatisé tout à fait intéressant. Ci-dessous, un régurgitium à escargots, ceux qui n’ont pas de coquille sont des jeunes, un peu comme les veaux n’ont pas de cornes.
La pratique maritime du beurre d’escargot est différente. Certes, nous avons la version halieutique des escargots, en la personne des bigorneaux (bulots et murex ont un régime alimentaire très diversifié et n’entrent donc pas dans la catégorie des escargots de lait, ou alors avec indulgence ou piston).
Les bigorneaux constituent un excellent gibier de pré-salé, mais ils ne sont absolument pas adaptés aux techniques d’élevage et de laiterie romaines. Vous pouvez toujours tenter de construire sous l’eau des murets de cendres et de sciure, j’en connais qui ont essayé de me faire manger du lapin en mer avec autant de succès. De même il est tout à fait illusoire d’imaginer verser la fameuse potion émétique dans l’abreuvoir des bigorneaux. Il en faudrait des hectolitres, encore une panacée qui n’est pas tout à fait universelle.
Nous autres habitants du littoral, avons recours à ces magnifiques escargots rayés qui vivent dans les plus hautes plantes des dunes, se perchant sur les fougères ou plants de fenouil sauvage, se nourrissant de plantes laiteuses et vaguement épineuses. Foin des méthodes intensives des romains, ou même des pratiques extensives des gens raisonnables, nous sommes spécialisés dans l’estive contemplative.
Il s’agit d’élevage alternatif, où compte avant tout la communion avec la nature et les bêtes, desquelles nous prélevons régulièrement un quota laitier. Chaque pasteur s’occupe d’un animal, ce qui non seulement permet un partage émotionnel avec l’escargot, mais surtout instaure un climat de confiance réciproque.
Cela ressemble aux traditions du peuple Massaï avec leurs immenses troupeaux de zébus, au sein desquels chaque enfant se voit confier la responsabilité d’une vache qui le nourrit de son lait mêlé de son sang, prélevé aux carotides. Prenez et lapez, ceci est mon sang, laper soit avec vous, mais rebouchez bien le trou. Ainsi parlait la vache sacrée, qui n’était pas que cornes. Ce à quoi les fidèles devaient répondre « Zébu, je n’ai plus soif, merci Petit Zébu ».
Le bétail sait pertinemment que nous ne prenons pas soin de lui pour mieux le dévorer, car nous avons bien assez des gastéropodes marins pour étancher notre archaïque appétit de bidoche. Il n’ignore pas que notre présence dissuade les oiseaux marins de venir les becter. Il peut apercevoir que nous érigeons de vastes palissades pour éviter que les promeneurs aillent piétiner leur habitat naturel.
Il constate que de la même manière qu’eux, nous rentrons dans notre coquille cirée lorsque souffle la tempête et que les embruns assaisonnent délicatement leur pâture en sel et en saveurs iodées. Ensemble, nous affrontons vents et marées, la fureur des éléments et l’ardeur du soleil de jour comme de nuit, il n’y a pas d’heure pour les baves.
Bref, la traite s’opère sereinement, les accidents sont rares, et lorsque nous sommes mordus, c’est par le jeu d’un jeune limaçon ne connaissant pas sa force, qui voulait seulement mordiller pour exprimer son affection envers son berger.
Ensuite, le lait est collecté par une filiale spécialisée de la laiterie du coin, pour être confié aux soins des héliciculteurs. Ces derniers, dont l’activité principale est de faire pousser ces fleurs qui feront les hélices de nos bateaux, ont mis au point une mini-baratte, grâce à laquelle est fabriqué un délicieux beurre salé par essence et d’origine contrôlée, Pur Escargot AOC, bio et toute la lyre, lalère itou. La bave de l’escargot n’atteint pas la blanche hermine, mais sa traçabilité est indiscutable (d'autant plus indiscutable que l'escargot se déplace lentement, son origine est donc facile à contrôler par une personne quelque peu attentive)
Cela étant, et mettant de côté notre état de marin, il faut bien avouer que nous ne sommes que des hommes comme elle et toi, comme vous autres les terriens qui n’ont jamais aimé sincèrement un escargot en liberté. Il nous vient parfois la nostalgie des nourritures bourgeoises, la tentation réactionnaire de nous vautrer dans la caisse du terroir, de sucer au sein d’un escargot efflanqué par l’incurie romaine, l’amère potion du druide Surimix.
Alors on compose, on malaxe notre supposée pureté avec de vieilles idées, on ajoute à notre beurre céleste du persil, de l’ail et de l’échalote, mais pris de remords, nous succombons vite à la tentation sacrificielle d’en oindre les produits de notre pêche.
Si CdM n’était pas un blog culinaire, j’en terminerais là de mes élucubrations, après tout, vous avez déjà largement lu de quoi vous nourrir correctement et en connaissance de cause. Mais bon, je vous connais, il vous faut des proportions, des techniques, des procédures et des délais. Ça ne me fait pas de mal non plus, parfois.
Pétoncles au beurre d'escargot
Ingrédients
- pétoncles blancs
- beurre demi-sel
- persil frisé
- échalotes
- ail
- poivre blanc
- macis ou muscade
Prévoyez pour une entrée une bonne douzaine de pétoncles par personne, des blancs de préférence, ils sont plus gros que les noirs. Utilisez du bon beurre, en effet, cette recette ne mérite pas d'être gratinée, et le beurre fondu doit avoir une saveur agréable. Pour avoir tenté aussi cette recette avec du persil plat, je la trouve bien plus réussie avec du persil frisé, le plat est plus fort et peut apporter une certaine âcreté.
Recette
- Préparez le beurre d'escargot, un ou deux jours à l'avance éventuellement, cela permet une meilleure osmose des éléments et une saveur plus uniforme. Pour 150 grammes de beurre demi-sel, comptez une poignée de persil frisé sans les tiges, deux belles échalotes et trois ou quatre gousses d'ail. Hachez le tout finement, vous pouvez utiliser un petit hachoir électrique.
Incorporez les hachis au beurre mou, puis assaisonnez avec du poivre blanc (le Muntok est mon favori), de macis (l'enveloppe de la noix de muscade qui apporte sensiblement le même parfum sans agressivité. Réservez la noix aux préparations fortes, comme les terrines de viande etc.), et du piment d'Espelette. Pas de sel, il y en a déjà dans le beurre et dans les coquillages que vous allez cuisiner. Réservez ce beurre d'escargot au frais.
- Lavez soigneusement les pétoncles jusqu'à que vous ne trouviez plus de sable au fond de votre bassine. Je suppose ici que vous avez acheté des pétoncles préalablement mis à dégorger par le mareyeur, sinon, prévoyez cette étape.
Ouvrez les pétoncles avec une petite cuiller assez plate, en raclant la coquille supérieure (ou inférieure, toutes deux sont bombées à la différence de la coquille saint-jacques dont la coquille supérieure est plate). Comme je vous l'ai montré ici, j'utilise une cuiller provenant d'un couvert Disney offert il y a très longtemps à ma fille, précieusement rangée dans ma mallette à couteaux, des fois qu'un gamin me la chipe.
Une fois l'une des coquilles séparée, vous enlevez seulement la poche noire qui se trouve attachée à la noix ; vous laissez tout le reste, inutile de décoller la noix. Cette poche noire présence un triple désagrément, son visuel n'est pas terrible, elle n'est pas très agréable en bouche, et on affirme que c'est là que se fixent les polluants absorbés lorsque le pétoncle filtre l'eau de mer pour se nourrir.
Disposez les coquillages sur un plateau allant au four, et disposez sur chaque noix l'équivalent d'un petit-pois de beurre d'escargot. Pas de l'extra-fin non plus... Chauffez le four à 180°, enfournez, et enlevez lorsque le beurre est bien fondu, et que l'eau rendue par les pétoncles dans les coquilles commence à fumer.
On voit bien sur le gros plan ci-dessous l'eau rendue par les coquillages, c'est vraiment à ce stade que la préparation est la meilleure. Le fait que les échalotes, persil et ail soient hachés finement, leur permet de cuire assez pour perdre leur agressivité, même sur un temps de chauffage assez court ; c'est l'affaire de cinq minutes au plus.
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