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Cuisine de la mer
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9 octobre 2013

Salade de margose à la méduse et aux oeufs de cent ans

Oui je le sais, c'est un peu la marée de morte-eau sur ce blog depuis quelques semaines, toujours pour la même raison : après l'été et revenu à Paris, j'ai un mal fou à passer chez un poissonnier, compte tenu soit de la médiocrité de la qualité sur les étals, soit des prix indécents, quand ce ne sont pas les deux cumulés. Après on s'étonnera que les gens se ruent sur le tilapia ou le pangasus congelés…

 Il s'y ajoute que je tourne à plein régime, ou plutôt c'est un nouveau régime qui tente de me faire tourner tant bien que mal. Voici quelques temps que je dois vous faire part d'un velouté aux huîtres concocté cet été dans la chaleur des abers, car il a fait très lourd cet été. Lourd, c'est aussi le constat que j'ai fait à mon égard, comme à chaque retour de Bretagne où j'ai le temps de cuisiner, de manger, et encore plus de picoler, les vacances donc.

Bref, le velouté avec sa farine, sa crème, ses huîtres, son beurre, sa poudre de lard inédite, ce sera pour plus tard, même par écrit je ne veux pas trop vite déroger à mes résolutions de rentrée et provoquer inutilement mon diététicien.

Car j'ai un diététicien...

Mes relations avec cette confrérie, où j'ai toujours pensé pouvoir agripper des atomes aussi crochus qu'un grappin au chocolat, ont jusqu'à présent été le théatre d'une incompréhension mutuelle.

- Mon premier diététicien (je ne compte pas ici les précieux conseils de ma grand-mère, du genre "quand c'est bon, ça ne fait pas de mal", ce dont je reste intimement convaincu), j'avais vingt et quelques années quand je l'ai croisé, après avoir subi une intervention chirurgicale, à la suite de laquelle on m'a enjoint de ne plus manger ni de sucre ni de sel. Le sucre je m'en fiche, je peux me passer de Michoko sans déprimer plus d'un quart d'heure, et question pâtisserie, j'avais déjà depuis longtemps mis au point la recette du baba au rhum sans baba ou celle du kouign-aman sans kouign. Malgré cela, je ne pesais que 65 kg pour 1,83 m, je m'estimais à l'abri des avis de gros temps.

Pour le sel, ça été une autre affaire, il a fallu expliquer à l'affameur de service que j'étais tombé dans la mer quand j'étais petit, et que je me nourrissais copieusement de ses merveilles, à commencer par les coquillages. Le voilà qui prend un exemple :

- "Si ce sont des huîtres, vous pouvez en prendre une."
- "Une douzaine ?"
- "Mais non (outré), une seule huître !"

Vous vous doutez bien que je n'aurais pu survivre longtemps dans ces conditions, en dépit d'efforts que je jugeais méritoires à l'époque. Il y a eu deux conséquences qui perdurent jusqu'à aujourd'hui, la première est que je me suis mis à approfondir ma connaissance des épices, herbes et condiments pour pallier le manque de sel, voire de sucre dans une salade de fruits par exemple. La seconde est que j'ai quand même commencé à prendre du poids doucement, mais surement.

sumo

- Mon second diététicien, je suis allé le voir spontanément il y a une dizaine d'années, justement parce qu'à force de grossir lentement, je commençais à me trimbaler une cabine avant digne d'un cargo-mixte, et risquais de perdre de vue mon cabestan. L'escroc m'a mis sévèrement aux protéines, j'ai vécu quelques temps en ne mangeant quasiment que de la viande et du fromage. Je vous passe la fatigue, l'haleine de phoque et autres inconvénients, certes j'ai maigri mais j'ai repris mon poids d'origine, et plus, aussi rapidement qu'une marée au Mont Saint-Michel.

Du coup, je me suis dit que j'allais laisser les choses en l'état, tenter de stabiliser, et maigrir à la première occasion, laquelle ne s'est jamais présentée en bonne et due forme, vous qui me lisez depuis plus de sept années, vous avez probablement un début d'explication.

- L'an dernier, nouvelle virée à l'hosto, trop de sucre dans le sang, une jeune diététicienne vient à nouveau m'expliquer l'usage que je devrais faire de mes mâchoires si je voulais survivre plus d'un quart d'heure. Cette petite a commis l'erreur de me demander quelles étaient mes habitudes alimentaires. La pauvre, elle s'est crue à Disneyland, sur les manèges où on flippe le plus et où je n'irai jamais, même pour maigrir. Entre les langues de morue ou de canard, les pattes de poulet, la méduse, l'anémone de mer et le reste, je n'entrais dans aucune de ses cases.

- Ah bon, ça peut-se manger ?
- Ca fait beaucoup d'alcool tout ça !
- Vous trouvez ça où ?
- Vous n'avez pas de problème avec tout ce piment ?
- Ah ben non, je ne connais pas la charge glycémique du liseron d'eau.

Bref, elle aurait pu être commentatrice pour blogs à verrines et cuillères apéritives, je ne sais pas quel fard elle piquerait confrontée à l'assiette ci-dessous, surement pas un fard breton. 

Ca a failli se gâter lorsqu'elle m'a expliqué qu'il fallait prendre garde aux sushi "parce que les japonais mettent beaucoup de sucre dans le riz" ; j'ai failli lui répondre de retourner à ses filets de dinde aux brocolis bouillis, et que je ne mangeais pas de ce riz là, moi Madame. Mais bon, vu qu'elle était mignonne comme un bigorneau blond (je l'aurais volontiers invitée au restau, mais je l'avais déjà bien assez effrayée), j'ai envisagé d'être sage.

Aparté, les sushis que je mange ne sont pas faits par des confiseurs, et depuis que ma copine Chihiro Masui m'a invité à goûter ceux du Benkay en sa compagnie, je ne vois plus très bien où aller pour en manger d'aussi bons en France. Regardez par exemple tout l'art qu'il y a dans la découpe de ce coquillage pour en faire une bouchée présentable, voire suggestive. Il n'y a pas trois tonnes de riz, et pas de sucre ajouté, forcément. 

sushi

- Après plus d'un an d'abnégation sporadique et de sagesse épisodique, j'ai perdu un kilo, un beau, un vrai, mais c'était loin d'être satisfaisant. D'où cette résolution de rentrée qui va modifier un peu le style des recettes publiées ici, même si (rassurez-vous) je ne compte pas vous reparler systématiquement de ce régime. D'ailleurs, si j'en cause aujourd'hui, c'est surtout parce qu'il me permet de rester créatif en cuisine et de m'en amuser comme d'un exercice de style : continuer à parler de bouffe même en étant au régime rend l'épreuve plus que tolérable.

Bref, je suis allé renconter un troisième diététicien, un type qui sait ce que cuisiner et manger veulent dire, il m'a fixé des limites, en m'enjoignant de me débrouiller pour cuisiner et aller au restau en les respectant. Il a écrit un truc qui me va plutôt bien: "L'ennemi principal des régimes c'est la frustration. Il faut donc organiser son régime comme un jeu et de le diversifier au maximum". Pour l'instant, ça fonctionne. 

Ceux qui me suivent sur ces pages savent que j'aime beaucoup m'aventurer vers les cuisines asiatiques, et il m'a semblé que c'était là que je trouverais les ingrédients pouvant concilier ces saveurs et un régime maigre, limité en glucides et en lipides, pour dire les choses simplement, et c'est bien le cas de cette recette.

Bon évidemment, je ne mange pas ça tous les jours, et d'autres fois, je me distrais avec un wok de courgettes et de champignons parfumés à la sauce d'huître, de liserons d'eau à l'ail et au nuoc-mam, ou par exemple de cette recette d'épinards chinois de Margot Zhang. Pour le poisson, je retrouve la voie des papillotes et de la vapeur, bref, pas de quoi s'ennuyer !

Actualités

Régime ou pas, ma vie de blogueur continue, et voici deux évènements dont je tiens à vous faire part :

- D'abord, j'ai été gentiment accueilli par Guillaume Le Roux, du blog 716-Food, pour révéler la liste des tables sans prétention que j'aime bien fréquenter à Paris. Vous y trouvez en particulier toutes les planques asiatiques où vous risquez de me croiser attablé devant des trucs plus ou moins bizarres, mais ce n'est que l'idée qu'on s'en fait, sortons des sentiers battus, c'est d'ailleurs l'un des principaux mérites des restaurants testés sur 716-Food, je consulte très régulièrement ce blog.

- Ensuite, le site Marmiton, via une copine de longue date, m'a demandé si je voulais participer à leur Journée du 13 octobre. Habituellement, je n'aime pas me produire dans un environnement de sponsors commerciaux, mais non seulement l'équipe de Marmiton est plutôt sympathique, mais aussi ils m'ont proposé d'animer un atelier sur les algues, un thème qui m'est cher. Luna, ma copine coréenne qui tient le blog "La Table de Diogène est Ronde" a accepté de m'accompagner pour cet atelier. Vous trouverez le programme détaillé sur cette page, je serai ravi de vous y voir. 

underwat

Salade de margose à la méduse et aux oeufs de cent ans

- un concombre amer, ou margose
- méduse
- œufs de cent ans
- ail
- gingembre frais
- graines de sésame noir
- vinaigre de riz noir
- huile de sésame
- sauce soja "dark"

Pour ceux qui n'ont pas comme moi un début de familiarité avec ces produits, voici une photo des principaux ingrédients :

margose

- Sauf à vraiment aimer l'amertume, c'est cette variété de margose, allongée et à écorce claire qu'il faut choisir, celles à peau foncées et courtes sont franchement difficiles à supporter pour nos palais européens. Bien que ce fruit porte le nom de concombre amer, il s'agit une courge, vous vous en rendrez compte en découvrant les graines lorsque vous l'ouvrirez en deux. En préparant ce billet, je découvre que la margose est souvent prescrit en médecine traditionnelle, sous forme de jus principalement, pour réduire le taux de sucre dans le sang.

- La méduse, je vous l'ai déjà cuisinée deux fois, comme vous le savez j'utilise désormais celle prête à l'emploi vendue en sachet, ayant les pires difficultés à en trouver de la séchée à cause d'une réglementation imbécile, et trouvant celle en saumure moins bonne et laborieuse à préparer.

- Le vinaigre de riz noir est autant un condiment qu'un vinaigre, les meilleurs sont à mi-chemin entre le balsamique et le vinaigre de vin blanc, en terme de puissance, vous pouvez à la rigueur substituer par ce mélange. 

- Les œufs dits "de cent ans", vous les trouverez également facilement dans les épiceries asiatiques, où ils cohabitent avec les œufs salés. Cela dit, ils ne sont pas si vieux que ça, ils n'ont pas une odeur de fromage fort ou de soufre comme quelques ignares le prétendent, ou alors ils n'ont jamais fréquenté de munster vintage.

Ces œufs sont "cuits" à froid généralement une cinquantaine de jours, enrobés dans un mélange à base de glaise, de chaux et de paille, c'est un moyen superbe de les conserver que les occidentaux n'ont jamais découvert, il serait dommage de se priver plus longtemps de telles couleurs et de telles textures. On les trouve désormais en vente sans leur gangue de conservation, je ne sais pas si c'est mieux ainsi, mais ils sont plus commodes à écaler ainsi, même si on perd beaucoup de l'émotion d'extirper un joyau de sa croûte de boue séchée. Pour en savoir plus, allez voir cet article de Margot Zhang sur son blog "Recettes d'une Chinoise". De plus, elle les coupe beaucoup plus proprement que moi. Camille Oger du blog Le Manger n'aurait à aucun prix raté un tel sujet, elle consacre également un billet à l'oeuf de cent ans

Un petit détail sur l'emballage nous montre que les anglais ont gardé une certaine nostalgie de la Guerre de Cent ans, les incorrigibles...

centans

 Recette

La principale préparation consiste à apprêter le concombre amer, et pour cela il y a plusieurs méthodes. Celle que j'ai utilisée n'est pas celle qui enlève le plus d'amertume, mais elle a le mérite de bien conserver le croquant du produit.

Lavez soigneusement le concombre amer, car on ne le pèle pas. Coupez-le en deux dans la longueur, et à l'aide d'une petite cuiller, enlever les grosses graines (c'est là qu'on voit bien la parenté avec les courges), et raclez également une partie de la chair blanche qui les entoure, elle est particulièrement amère.

Coupez-les deux moitiés en tranches fines, et mettez-les à tremper pendant une heure dans une grande quantité d'eau fraîche. Faites-les ensuite blanchir une minute à l'eau bouillante, et rafraîchissez immédiatement à l'eau glacée. Cette dernière opération apporte un triple bénéfice, arrêter la cuisson et donc conserver le croquant, aviver la couleur, et faire ressortir les saveurs sucrées.

L'autre méthode la plus couramment employée consiste à faire dégorger le concombre amer dans du sel, à le frotter et à le rincer abondamment. Selon Camille Oger qui connait bien les Philippines, dans ce pays on le fait bouillir surtout sans y toucher, car c'est ça qui renforcerait l'amertume… Au passage, si vous allez sur le blog de Camille, faites-moi le plaisir de voter pour elle pour les "Golden Blog Awards", elle a l'air d'y tenir, et moi je soutiens par principe et par amitié quelqu'un qui écrit ausi bien sur la compréhension ethnologique de la nourriture. 

Réservez le concombre rafraîchi, et préparez l'assaisonnement. Mélangez deux cuillers à soupe de vinaigre de riz avec une cuiller à café d'huile de sésame et une cuiller à soupe de sauce de soja foncé (qui contrairement à la croyance répandue est moins salée que la sauce "légère"). Ajoutez de l'ail et du gingembre frais coupé en très petite brunoise. Goûtez votre sauce, si vous la trouvez trop forte, allongez-la d'un peu d'eau.

Faites légèrement griller deux cuillers à café de  graines de sésame noir, à sec dans une poêle.

Sortez la méduse de son sachet et lavez-la. Ecalez les œufs de cent ans en brisant minutieusement leur coquille avec le dos d'une petite cuiller, procédez avec précaution, il peut arriver que du "blanc" reste collé à la coquille, surtout si on l'enlève par large plaques. Coupez-les en quartiers, avec un couteau bien aiguisé dont vous mouillez la lame, car le "jaune" est assez pâteux et a tendance à coller à la lame. J'avoue que je suis allé très vite pour cette opération, vu que j'étais pressé, et que du coup la présentation s'en est un peu ressentie.

Disposez le concombre dans un plat un peu creux, puis les lanières de méduse. Arroser de la sauce au vinaigre et au soja. Répartissez les quartiers d'œuf de cent ans, puis parsemez les graines de sésame. C'est prêt. 

margose1

N'allez pas croire que j'ai inventé ce plat de A à Z, j'ai déjà vu publier sur le net une recette de concombre amer à la méduse, qui ne m'avait pas plus donné envie que ça, il y manquait quelque chose. Ces œufs de cent ans ont été le déclic, aussi bien pour la complémentarité de textures (concombre croquant, méduse élastique, œufs fondants), que pour l'harmonie des saveurs entre l'amer et la suave doueur des oeufs, avec l'acidité du vinaigre. 

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J'ai trouvé cela très bon, mais j'ai été le seul. Par faute de combattants : ma femme et ma fille ont catégoriquement refusé d'y goûter, nul n'est prophète en sa cuisine… Promis, pour le prochain billet, je ne cumulerai pas autant d'ingrédients inhabituels dans le même plat

margoseA

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