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Cuisine de la mer
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22 avril 2014

Ormeaux poêlés et risotto aux truffes

Mes compagnons, me voici à nouveau sur ce blog, après des aventures incroyables. 

J'ai fui la Bretagne, chassé par les coups de boutoir des tempêtes de l'hiver, lassé de voir voler les vaches par-dessus des vagues hautes comme des lames de moissonneuse, de ne pouvoir m'approcher de l'estran sans me faire poudrer de chantilly d'écume, de sucre cristallisé de grêle, sans compter le ressac de farine, où plus d'une fois je fus roulé. 

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Tiramitsunami

Ecœuré par cette pâtisserie en mouvement, fatigué de voir les arbres et les mâts s'abattre comme canne à sucre sous le cyclone Georges, j'ai souhaité rejoindre des mers plus calmes, où les eaux sont turquoises, les femmes turques, les plages alanguies et les lagons à l'anguille. Poussé au sud vers des champs d'alizées déboussolés, je rêvais de longues journées à siroter du pastis d'Abyssinie ou d'Abou Cymbale, tout en humant l'envoutant parfum de l'hétaïre coulée à mes côtés, une Aspasie mineure mais conquérante. 

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Aaargh

Hélas, le malheur me harcelait de ses caravelles gluantes comme un vieux caramel nostalgique. Croisant au large des côtes barbaresques, mon cotre fut arraisonné par une compagnie de pirates plus mauresques qu'un verre de pastis au sirop d'orgeat. En fait d'orgeat, c'est d'or que ces gueux avaient soif, et probablement de sang aussi, mais grâce à Dieu et à l'Ecosse, le mien est copieusement alcoolisé et donc proscrit par leur religion. 

De l'or je n'en avais guère, même pas une dent ou une boucle d'oreille, et ces infâmes ne prenaient pas les cartes de crédit. Je fus donc emmené en captivité, dans l'espoir de me faire avouer qui paierait rançon pour ma libération, et la joie de me voir revenir. "Surement pas ma femme", leur dis-je, ce qui ne surprit personne.

Il s'ensuivit une série de sévices et de menaces, pour découvrir qui pourrait s'acquitter d'un tribut pour une personne aussi insignifiante qu'impécunieuse, mais vous me connaissez, pas question de mettre la famille ou les copains dans l'embarras, et aucune torture ne vint à bout de mon silence, pas même la langue de chèvre farsie ou la murène de pique. 

L'un de ces gueux toutefois, qui, capturé par l'un de nos Capitaines au large de Lampedusa, avait été vendu pour travailler en France comme chasseur-plongeur dans un restaurant de poisson parisien, me reconnut, son taulier ayant pour habitude de venir piquer des recettes sur ce blog, pour ensuite interdire à ses clients de les photographier, de crainte sans doute que je ne les reconnaisse. Ces restaurateurs, petits pirates d'éviers, je les méprise. 

Deux conséquences en découlèrent, aussi sèches que le débit de l'oued qui bordait leur village ; d'une part, je fus chargé de demander à mes lecteurs de payer une rançon via une souscription internationale, et d'autre part je quittais mon esclavage de gabier dans les champs de safraniers géants, pour un poste de kroumir aux cuisines du palais du Sultan Hannem Portlevant, où on ne tarda pas à me surnommer "Ali au Pays des Merguez", ce qui ne casbah trois pattes à un caïd. 

Leurs espoirs furent deux fois déçus. D'une part, en dépit de la générosité proverbiale de mes lecteurs, je ne pus jamais lancer cette souscription, compte tenu de l'indigence de l'opérateur local Boui-Bouigues Télécom (petite vengeance personnelle, faut pas faire chier le marin), qui ne me permit jamais de me connecter, pas plus à Internet qu'à Radio Pirate. 

D'autre part, je montrai une réelle mauvaise volonté à cuisiner, le sultan étant allergique aux poissons et fruits de mer, je m'ennuyais ferme autour de tajines où y'a pas de plaisir, de chermulas chargées comme des mules, de bricks de broc et d'harira bien qui rira le dernier.

Je trouvais quelque réconfort et affinité auprès d'une jeune servante également prisonnière, une brestoise travaillant pour une OMG venue creuser des puits des pétrole et dont le 4X4 était tombé en panne du mauvais côté de la piste Ozétoual. 

En dépit de toutes les attentions de cette petite Shéhérazade de Brest (et non de Rome), l'ennui chaque jour devenait plus sombre, mes envies sentaient la mort, et l'inaction me pesait autant que la cuisine moléculaire. Un beau matin, j'appelais ma jeune compagne d'infortune (mais pas du pot), et je lui avouais : "Je m'encroûte ma Mie, enlève ton voile, et mettons les miennes". Elle refusa, prétextant une migraine, mais je savais bien qu'elle projetait d'ouvrir un magasin de charcuterie humanitaire, aussi je n'insistai guère. 

Je décidai alors de m'enfuir seul, après avoir empoisonné le Sultan avec la recette (secrète) d'une infâme pâte de poisson, bâtonnée, colorée en orangé et parfumée au crabe, en l'espèce j'avais utilisé un mélange de safran et de paprika pour endormir sa méfiance. Me voyant préparer ce plat, Imir, le goûteur attitré du Sultan (et qui en avait également plein le fez),  m'avait demandé : "Tu es sur de toi Ali ?" Bien entendu, j'avais répondu : "Oui, je suis sur Imir.". 

Le tyran succomba d'un œdème de Mac Donald de Quincke, ce qui surprit tout le monde, car ces enseignes toxiques n'avaient pas encore atteint ces contrées reculées, où "cholestérol" ne désigne pour encore qu'une position érotique (lorsque tonton Ben cuisine la houri à l'écurie, à la page 7968 du Kamal Choukran). Dès lors, il me fut facile de profiter du deuil et du vacarme des pleureuses, pour me glisser jusqu'à une houari-chaloupe, sorte de felouque d'enfer, et mettre le cap sur les abers. Bref me revoilà, je sais, ça devrait être interdit... 

Me revoilà avec deux des plus beaux produits que la nature nous dispense avec parcimonie, même si désormais, on plante des truffières et on élève des ormeaux, c'est toujours dans de la vraie terre et de la vraie mer que ça se pratique, sans apports artificiels, seulement du savoir-faire et de la patience. 

 Ici, ce sont des ormeaux de pêche, capturés par des pêcheurs sous-marins. Les liens bleus ne révèlent pas qu'ils sont capturés au lasso, ou même qu'il faille les attacher afin qu'ils ne s'enfuient pas ventre à terre. Non, il s'agit de bracelets scellés, dont le nombre est fixé par quota attribué à chaque pêcheur. Un ormeau sauvage qui vous est vendu sans cette marque a de fortes chances d'être une prise de braconnage, à vous de voir, mais depuis que ce système est institué, il semble que la population d'ormeaux s'en porte bien. 

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Ormeaux jouant à saute-mouton

Les truffes, je ne les ai pas prises en photo, et c'est une erreur, car il y en avait tout un lot, apporté par la cousine provençale de ma femme, dont je vous ai déjà parlé ici. Février est en effet le mois où elle peut s'éloigner de ses vignes, et comble du bonheur, c'est aussi la meilleure saison pour les ormeaux et les truffes. Manger des truffes à Noël me semble une hérésie, rares sont les années où elles atteignent la plénitude de leur saveur à cette période. 

J'ai déjà associé les ormeaux et la truffe dans cette salade où ces deux produits étaient servis crus, mais cette fois j'avais envie d'associer deux classiques, l'ormeau juste poêlé au beurre et un risotto truffé. J'avais aussi envie d'une pointe d'alcool, de cognac qui va si bien avec la truffe, même au chocolat, et avec l'ormeau aussi, et je pensais les flamber. Lors d'une discussion aussi amicale que ferme avec des amis à l'excellent restaurant La Butte à Plouider (qui vient de se voir attribuer une étoile bien plus méritée que d'autres), on m'en dissuada (tu vas gâcher ces pauvres bêtes, mets plutôt le cognac dans le risotto si tu y tiens tellement). 

Préparation des ormeaux

Il convient de les attendrir avant de les consommer, car nous avons affaire à de grosses bestioles du large, des coureurs de rocher durs comme eux. Une fois décortiqués comme je vous l'ai déjà expliqué plusieurs fois : Contourner de la lame d'un couteau pour décoller l'ormeau de sa coquille puis finir de l'extraire à l'aide d'une cuiller à soupe, ôter l'appareil digestif et la tête, entailler les barbes à espaces réguliers ; je préfère pratiquer ainsi plutôt que d'ébarber complètement, ce que font presque tous les chefs, classiquement, tous les coquillages sont ébarbés chez ceux qui répètent les gestes enseignés sans toujours y réfléchir.  

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Amaigri par les privations lors de ma captivité...

Il s'agit alors de les taper pour les attendrir, enfermés dans un linge sinon ils glissent et se voient propulsés dans des endroits impossibles. En arrière-plan sur le vieux frigo, beaux-arts des jours de pluie de ma fille lorsque qu'elle s'arrivait là, c'est très gai. 

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Et poum. 

 Il ne s'agit bien entendu pas de les réduire en bouillie, mais simplement d'aplatir un peu le pied central, le plus coriace. Ensuite on les lave et on les sèche, puis on les place pour la nuit sur une assiette couverte d'un film, au frais. 

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Le lendemain, il ne vous reste plus qu'à les masser entre vos doigts pour finir de les attendrir, vous serez surpris du résultat... A nouveau rincés et séchés, ils sont prêts à être cuisinés.  Merci à Véronique pour ses photos de la préparation des bestioles

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Mains de masseur

Ormeaux poêlés et risotto aux truffes

Ingrédients

- 12 ormeaux
- beurre demi-sel
- poivre noir
- fleur de sel

- 1 truffe de 80 grammes
- riz arborio
- huile d'olive
- 4 échalotes
- 1 verre de vin blanc sec et fruité (type Orvietto)
- cognac
- parmesan
- crème fraîche
- sel 

Recette

La veille, placez a truffe au sein du riz dans un récipient hermétique, son parfum va se communiquer aux grains. Sortez les ormeaux du frigo afin qu'ils soient à température ambiante au moment de les cuire. Préparez votre bouillon de légume (j'utilise des tablettes achetées dans les épiceries italiennes, elles sont très bien, mais si vous avez du bouillon maison pas trop corsé, utilisez-le). Le bouillon est utilisé chaud. 

Détaillez la truffe : Une fois bien brossée et coupée en deux, prélevez à l'aide d'une mandoline à truffe quelques fines lamelles dans la partie la plus large? Coupez le reste en brunoise. 

Pelez les échalotes, et émincez-les finement. Mettez-les à cuire dans une cocotte, avec un bon peu d'huile d'olive. Avant qu'elles ne prennent trop de coloration, versez quatre verres de riz arborio (ou autre riz convenant pour le risotto), et remuez tout en chauffant, le temps que le riz prenne un bel aspect nacré. Salez et ajoutez alors un verre de vin blanc, remuez jusqu'à ce que le liquide soit absorbé.

Continuez la cuisson , en versant une louche de bouillon, en remuant jusque qu'à ce que le liquide soit absorbé, et ainsi de suite jusqu'au degré souhaité, plus ou moins al dente selon votre goût, mais la consistance générale doit déjà être un peu crémeuse. Ajoutez la brunoise de truffe à ce moment-là, ainsi qu'une cuiller à soupe de cognac. 

A ce stade vous pouvez finir le risotto ou le "bloquer", de façon à reprendre la cuisson cinq minutes avant de le servir, soit le temps de sauter les ormeaux, ce qui me parait une bonne idée. Pour le "bloquer", il suffit de le transférer dans un récipient froid, pour en arrêter immédiatement la cuisson.

Avant de reprendre la cuisson du risotto,  râpez l'équivalent d'une cuiller à soupe de parmesan, et battez au fouet deux cuillers à soupe de crème fraîche épaisse afin de la faire foisonner. 

Relancez le risotto avec une louche de bouillon chaud, ajoutez-y le parmesan, mélangez bien, et terminez par la crème fraîche. 

Pendant ce temps, vous aurez poêlé les ormeaux dans un peu de beurre mousseux, pas plus d'une à deux minutes sur chaque face, poivrez-les assez généreusement et parsemez d'un peu de fleur de sel. C'est prêt à servir. 

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J'avoue que ce dressage en forme d'hermine rappelle les heures les plus sombres de la gastronomie bretonne, et que j'aurais pu éviter les coulées de beurre ; que voulez-vous, nous avions faim, et nous avions bien raison car c'était excellent, d'ailleurs comment aurait-il pu en être autrement avec ce florilège de bons produits?

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