Dos de cabillaud à la purée de chayotte et au riz sauvage soufflé, beurre d'anchois au citron vert
C'est étonnant un blog à l'abandon, ça continue à vivre, des lecteurs continuent à passer, à laisser des commentaires, à s'abonner aux publications (vous ne pouvez pas râler que j'encombre votre boîte à courriels), ou à rejoindre l'équipage sur la page Facebook. C'est un peu comme un navire qui court sur son erre bien après qu'on ait affalé la voilure ou coupé les moteurs. Ce moment dangereux, lorsqu'on commence à dériver jusqu'à risquer de s'échouer, au port il y a des remorqueurs, mais en rase mer, il faut se débrouiller pour retrouver de la gouverne. Je reprends donc les avirons, une cuiller et une fourchette armée à chaque dame de nage, et vogue la cambuse.
Voici donc plus de trois mois que je n'ai rien publié sur ce blog, occupé à mille autres choses, dont aller abandonner ma fille dans la fraîcheur québequoise, où certes, j'ai croisé des baleines et des belugas, mais on m'a formellement interdit de les cuisiner. D'ailleurs je n'ai pas cuisiné là-bas, ou si peu, et pas des produits de la mer. J'en ai mangé pourtant, je me suis régalé notamment avec du flétan, du saumon sauvage, du homard de Gaspésie, j'ai goûté pour la première fois du crabe des neiges et j'en ai été agréablement surpris, il faudra que je vous en prépare un jour si j'en trouve.
Par dessus tout, j'étais très fier d'arpenter les traces de mon ancêtre Jakes Cadour, celui-là même qui a découvert le Canada en compagnie des vikings, mérite qui fut par la suite attribué à un imposteur de Saint-Malo, un certain Jacques Cartier. Il est temps, avant de vous cuisiner un bout de morue, que je rétablisse la vérité historique.
La découverte du Canada, la vraie histoire
La confusion ou l'abus de légende provient du fait que c'est également du côté de Saint-Malo qu'est parti Jakes Cadour, alors qu'il étudiait les langues orientales à l'Abbaye d'Aleth (à savoir le franc et le latin), nous sommes au début du MDXXCLVIIème Siècle après Cerridwen, ce qui correspond à la fin du IXème Siècle après Jésus Christ. Jakes fut le premier érudit de la famille, il n'y en a eu qu'un second depuis.
Ce monastère avait été fondé aux environs de l'an 540 par l'irlandais Brendan, devenu Saint depuis lors, un grand voyageur, qui avait dit-on découvert non seulement les Canaries et les Açores, mais s'était aventuré jusqu'aux Antilles où il avait développé la colombophilie en signe de paix envers les indigènes, ce qui permit par la suite à un certain Christophe de nous prendre pour des pigeons. Le monastère était établi à l'endroit où se trouve aujourd'hui le bourg de Saint-Servan, à côté de Saint-Malo, qui n'était alors qu'un ensemble de pauvres cahutes.
Aleth par contre, existait depuis l'âge de la pierre, l'endroit avait vu passer les celtes bretons insulaires, les celtes gaulois, même les phéniciens et les romains s'y étaient établis. Pour être précis, Brendan n'avait élevé qu'un simple prieuré, et le monastère fut réellement édifié que par Saint Aaron (surnommé Aaron Petit Patapon, car il était le fils d'une bergère de prés salés). Aaron (Aihran en breton) fut rapidement rejoint par un prêcheur gallois, du nom de Maclow, devenu Saint Maclou, puis Saint Malo, puis une marque de laitages.
C'est en fouillant les archives de Brendan que mon ancêtre prit conscience des voyages extraordinaires que celui-ci avait effectués, et il passait de longues heures à rêvasser sur ses chroniques et ses cartes approximatives. En fait, des malveillants prétendaient que Jakes était porté sur la piquette d'orge, et qu'il piquait un somme sur les parchemins, imitant à merveille une extrême concentration.
Un jour, il fut réveillé en sursaut par des bruits de lutte provenant de la porte du monastère, et avant qu'il ne puisse s'enfuir, un imposant Viking que nous connaissons déjà bien, fit irruption dans la salle de lecture. L'ombre immense d'Olaf Tëppiëkippüjensen se pencha sur le pupitre de Jakes, où il reconnut des cartes marines qu'il ne savait déchiffrer, mais dont il connaissait la puissance entre les mains d'un bon pilote.
Grâce à ces cartes, Jakes Cadour ne fut pas massacré comme les autres occupants du monastère, mais emmené comme captif à bord du drakkar d'Olaf, avec toutes les cartes et les manuscrits de Brendan. Rapidement, ces hommes du nord, ces nord-men comme on commençait à les appeler car ils sentaient également le livarot, lui firent comprendre qu'ils aspiraient à connaître ces mers du sud dont les légendes de chaleur, de richesse et de gonzesses sucrées leur était parvenues.
Mon ancêtre eut beau leur expliquer que question navigation, il ne touchait sa quille qu'en cabotage, du genre à aller pêcher à quelques encablures de son clocher, qu'il était tranquillement venu jusqu'à Aleth à cheval, et qu'il serait bien incapable de les guider jusqu'à ces terres promises à un avenir certain, rien n'y fit : on l'attacha auprès du barreur, auquel il devait régulièrement donner des indications, sous peine d'être donné à manger aux poissons.
Ils voguèrent vers l'ouest, toujours plus loin vers l'ouest, Jakes ne voulant pas prendre de risque leur indiquait seulement "C'est toujours tout droit". Au bout de longues semaines de navigation, ils touchèrent enfin une terre, qui fit penser aux vikings qu'ils étaient revenus chez eux, tant le froid et la brume étaient piquants. Ils avaient en fait touché les côtes de ce qui est aujourd'hui l'Anse aux Meadows, à Terre-Neuve, en limite du Labrador, et il y faisait un temps de chien.
Pragmatique, Olaf se dit que tant qu'à être arrivé quelque part, rien ne s'opposait à ce qu'on pille, viole et tue un petit peu, avant de réembarquer vers des cieux plus riants. Par ailleurs, on en profiterait pour égorger ce gros nul de Jakes Cadour, qu'ils détachèrent pour l'emmener à terre. Las, ils ne trouvèrent rien, sinon une petite troupe de skrealingar faméliques, ne possédant pas le moindre objet précieux, mangeant des nourritures de gueux, et on ne voyait aucune femme parmi eux, il s'agissait probablement d'une expédition de pêcheurs.
Jakes Cadour, doué pour les langues comme on le sait, avait acquis assez de rudiments du dialecte viking pour comprendre le sort qui lui était réservé, et il profita du moment où ses geôliers massacraient les autochtones, pour s'éclipser. Les vikings, qui avaient d'autres poisson-chats à fouetter, mirent les voiles sans plus se préoccuper de son sort. C'est ainsi que mon ancêtre devint le premier terre-neuva breton, sauf erreur ou omission.
L'histoire n'aurait aucun intérêt si elle s'arrêtait là. Alors que Jakes fourrageait dans le campement pour y trouver de quoi améliorer l'immédiat quotidien, une petite troupe de femmes et d'enfants éplorés se montrèrent, qui s'étaient enfuis à l'approche des drakkars. Une fois de plus, son don pour les langues lui fut précieux, et c'est avec les mains qu'il put expliquer "qu'il n'avait rien à voir dans ce massacre, qu'il était l'oeuvre de sans-gênes, qu'il punirait s'ils s'avisaient de montrer la moindre pointe de casque dans les parages, non mais hein".
Ses gesticulations furent efficaces, et on le crut sur parole, ce qui vaut mieux que cuit sur des braises. Comme après des mois au monastère et cette longue traversée, Jakes Cadour avait des choses à raconter à ces dames, il fonda une grande famille, qui fut la première colonie européenne au Canada, mais que les historiens ont attribuée aux vikings, on verra pourquoi.
La petite communauté se développa harmonieusement, chacun apprenant du savoir-faire des cultures amérindiennes et bretonnes. Ainsi, Jakes améliora leurs pièges à poisson, leur montra quelques recettes de nouvelle cuisine, comme la brandade de morue ou le homard à l'armoricaine ; il ne parvint toutefois jamais à obtenir un hydromel digne de ce nom à partir de sirop d'érable.
Les amérindiennes, bien que ne sachant pas que des paumés allaient, quelques siècles plus tard, les confondre avec des indiennes, lui firent découvrir la viande de renne cuite dans une sauce épicée, qu'elles nommaient kari. Il fallait cuire ce ragoût longtemps, car plus le kari bout, meilleur il est. Elles lui apprirent aussi à apprécier le capelan séché, qui resta durant des siècles une gourmandise pour tous les terre-neuvas, au même titre que la langue de morue.
Une dizaine d'année passa, et soudain l'émoi revint avec l'apparition de voiles viking à l'horizon, pour une fois net et clair. Jakes Cadour ne pouvait se parjurer, et bien qu'il eut préféré prendre son élan pour enfourcher un orignal de course, et s'éloigner au plus loin, il dut s'avancer sur la grève à la rencontre des nouveaux venus. Dieu merci, il ne s'agissait pas d'Olaf, mais d'un placide islandais nommé Leif Ericson, un trappeur sur la piste des troupeaux de morues, autant dire un pêcheur d'Islande.
Jakes, à qui le kig-ha-farz et l'Angélus en breton commençaient à manquer sérieusement, passa un pacte avec Leif Ericsson. Ce dernier, fils d'Erik le Rouge, racontait le sort injuste qui avait chassé sa famille du royaume de Norvège, pour les exiler en Islande, où ils n'avaient survécu qu'en devenant pêcheurs, au lieu d'aller conquérir de nouveaux territoires comme tout viking bien né.
Mon ancêtre proposa de lui céder sa colonie, en échange d'un retour en terre bretonne. Leif accepta volontiers, à condition que leur accord demeurât secret. Jakes Cadour fit donc son retour en Bretagne, où il fonda une nouvelle famille. Il m'en voudra peut être de dévoiler aujourd'hui cette histoire, on verra bien s'il viendra me tourmenter pendant Halloween, par exemple en cachant mes bouteilles de rhum.
Dos de cabillaud à la purée de chayotte et au riz sauvage soufflé, beurre d'anchois au citron vert
Ingrédients
- un morceau de dos de cabillaud avec la peau
- quatre chayottes
- un piment antillais
- crème fraîche
- une poignée de riz sauvage
- beurre
- filets d'anchois
- citron vert
- poivre noir
Le rapport avec le Canada me demanderez vous ? Déjà, le cabillaud, même si les bancs de Terre-Neuve sont aujourd'hui bien vidés de ce magnifique poisson, il reste un symbole.
Ensuite le riz sauvage, qui comme vous le savez sans doute, n'a rien d'asiatique, mais est une plante endémique d'Amérique du nord. Elle a un nom que j'aime bien, la zizanie des marais. Vous pouvez vous documenter sommairement ici.
Recette
- Commencez par vous occuper du riz. Pour obtenir du riz sauvage soufflé, mettez-le en une seule couche dans une poêle ou une sauteuse très chaude, et faites cuire en remuant fréquemment, jusqu'à ce que les grains aient éclaté. Ce ne sera pas aussi spectaculaire que du pop-corn, mais au moins aussi bon, vous pouvez en faire une plus grande quantité afin d'en garder pour votre muesli du petit déjeuner, ou simplement le saler pour l'apéro.
- Préparez la purée de chayotte (ou christophine, ou chouchou). Pelez les fruits, coupez-les en morceaux, et cuisez-les à l'eau salée, où vous aurez ajouté un peu de laurier et un piment antillais "lanterne". Attention, ce piment doit rester entier pour parfumer, en aucun cas crever dans l'eau, et encore moins être incorporé à la purée, sauf si vous êtes galvanisé du tube.
- Une fois cuites, faites-en une purée. Selon la maturité des chayottes, leur pulpe va rendre plus ou moins d'eau durant cette opération. Si votre purée ressemble à un bourbier vert, n'hésitez pas à la laisser égoutter au travers d'une passoire fine. Incorporez de la crème fraîche alors qu'elle est encore chaude, rectifiez le sel. Ajoutez les épices qui vous conviennent, souvent, je mets du poivre (ou piment) de la Jamaïque avec la chayotte.
- Faites fondre six filets d'anchois à l'huile (ou au sel bien dessalés) dans cent grammes de beurre. Préparez le jus d'une moité de citron vert.
- Faites cuire à la poêle dans un beurre moussant le dos de cabillaud portionné.
- Disposez les morceaux de poisson dans des assiettes chaudes, peau vers le bas, et tartinez la face supérieure d'une fine couche de purée de chayotte, où vous viendrez plaquer du riz sauvage soufflé.
- Disposez un beau cercle de purée chayotte à côté (quoi ?), et arrosez du beurre d'anchois chaud, auquel vous aurez incorporé le jus de citron vert au dernier moment.
Cette recette est inspirée d'un plat que j'ai goûté au Restaurant Pirouette, au centre de Paris dans le Quartier des Halles. Une très bonne table aux prix honnêtes, mais où il faut se rendre à la belle saison pour profiter de la terrasse, l'acoustique de la salle étant tout bonnement exécrable.
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