N’ayant ni assez râlé ni suffisamment écrit sur ce blog au cours l'année 2014, je me dis qu’il faut commencer avec de bonnes résolutions dès ce 1er janvier. Les sujets n’ont pas manqué pourtant, à commencer par cette interdiction d’allumer des feux de cheminée à Paris et dans les patelins alentours, mesure sur laquelle, dans un éclair de lucidité la ministre de l’écologie est revenue. 

Je n’ai pas de cheminée dans mon appartement parisien actuel, et cette brimade aurait pu me laisser indifférent, mais j’ai des potes qui en ont, voire également des barbecues, et devinez qui s’y colle quand il s’agit de cuire des trucs dedans ou dessus?  Imaginez la détresse des marchands de merguez, des pizzaiolos ou du boulanger traditionnel, celui qui cuit encore son pain au bois. J’étais prêt à entamer une grève de la faim en soutien à tout ce petit monde, même s’il parait que des dérogations étaient prévues.

Il parait que ça pollue de faire un feu dans la cheminée. Probablement un peu, mais à mon avis, c’est insignifiant, peu de gens se chauffent avec un foyer ouvert, car il n’est pas facile et surtout coûteux de se fournir en bois à Paris. Dans mon précédent appartement, qui était un quatrième étage sans ascenseur, j’avais une petite cheminée, vraiment pas gourmande, et j’en étais venu à glaner du bois dans les forêts lors des sorties champignons et autres châtaignes ou mûres ; et il fallait le monter.

Je n’aurais pas aimé qu’on m’interdise ces petits moments sympas autour de deux ou trois bûches (pas question d’en mettre plus, malgré les ramonages scrupuleux, nous étions dans la terreur d’un embrasement du conduit),  moments de discussion autour d’un verre, moments de cuisine aussi, un bout de viande pas trop épais, deux ou trois patates sous la braise. Ma femme s’est toujours opposée aux merguez et aux sardines, on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie.

Une question d’environnement  bien évidente, puisque les fameux pics de pollution surviennent durant les mois les plus chauds, c’est bien connu, c’est cette période que les gaspilleurs d’air choisissent pour faire ronfler leurs flambées à qui mieux-mieux.

Enfin bon, on l’a échappé belle, mais ne nous croyons pas sortis de l’auberge pour autant, il se murmure qu’un projet de décret visant les gâteaux d’anniversaire se profile. Doit-on carrément interdire d’y faire brûler les bougies, ou instaurer une taxe progressive en fonction de l’âge de celui qui doit les souffler ?

Sans rire, être omnivore, et maîtriser le feu et la cuisson, sont les deux principaux atouts qui ont permis à l’humanité de s’élever au-delà du statut d’animal ; c’est de mon point de vue un droit naturel, et je ne reconnais à personne la prérogative de me l’interdire, sauf évidemment pour des raisons de sécurité évidente,  je n’allumerai jamais de barbecue dans une station-service ou dans une pinède par jour de grand vent en saison sèche. Et vous qui savez lire pour la plupart, non plus.

Couper du bois, faire du feu, cuisiner dessus a toujours été la plus belle des occupations pour moi, à ce point que j’ai même réalisé voici une vingtaine d’années une petite compilation de recettes pour les copains, que j'ai fini par mettre en ligne vu la demande. C'est un vieux site, plutôt moche, mais il bouge encore (trop), beaucoup des recettes marines ont d'ailleurs été reprises ici.

C'est vous dire à quel point j'étais ravi lorsque j'ai appris que le dernier livre de mon amie Linda Louis serait intitulé Cuisiner avec le Feu. Linda, je vous en ai causé plusieurs fois, c'est cette fille aussi bosseuse que talentueuse qui tient le blog Cuisine Campagne, une référence en matière de cuisine naturelle et savoureuse.

Nous avons installé une connivence dès le début de ce blog, c'est elle qui la première m'a demandé de participer à un billet commun sur la préparation du crabe, à peine deux mois après le lancement de CdM, elle m'a demandé aussi de vérifier sa newsletter pour la partie "produits de la mer", comme elle m'a demandé de relire cette partie de son premier livre. En retour, j'ai toujours bénéficié de sa gentillesse et de sa générosité, elle m'a toujours offert ses livres, ainsi que d'autres présents de sa forêt, comme ces merveilleuses asperges sauvages. 

De produits de la mer, vous n'en trouverez pas dans ce livre, sorti pourtant aux Éditions de La Plage. C'est que cette Maison est spécialisée dans les ouvrages végétariens, pour la plupart d'excellente qualité. L'ouvrage de Linda ne fait pas exception, c'est même à mon avis le plus passionnant de tous.

Sa première qualité est de faire un tour complet, presque exhaustif, des différentes techniques de cuisson au feu de bois, qu'elle a toutes expérimentées en détail, allant jusqu'à se faire fabriquer du matériel ad hoc, comme un magnifique four à bois dont je suis (bien plus que) vaguement jaloux. Lisez son interview ici, où elle raconte l'élaboration de l'ouvrage, dont elle a aussi assuré les photographies, des images qui ne trichent pas. 

Ensuite, beaucoup de recettes végétariennes peuvent être transposées à une préparation plus omnivore. Par exemple, il y a une recette de poireau farci et grillé qui me tire l'oeil depuis que j'ai le livre entre les mains, dans la version imaginée par Linda, il est farci de divers légumes hachés et liés à l'oeuf. Je vois assez bien une farce à base de porc et de crevettes à l'asiatique, ou d'une mousse à base de poisson blanc, voire de coquilles saint-jacques (si leur prix fini par baisser un jour, je n'en ai acheté qu'une fois depuis le début de la saison de pêche, et elles étaient pour hier soir). 

Enfin, croyez-en mon expérience, c'est à la portée du premier pithécanthrope venu de disposer un bout de bidoche ou une poignée de sardines sur un barbecue (encore que "sardines grillées" soit l'une des recherches les plus effectuées pour parvenir jusqu'à ce blog, avec les "moules au roquefort"), mais c'est autrement plus coton de trouver des idées d'accompagnements cuits également au feu de bois. Il y a cela dans le livre de Linda, le pain et les desserts aussi. 

La Plage - 23 octobre 2014 - ISBN : 9782842213923

Bien entendu, je n'ai pas qu'une seule amie bosseuse et talentueuse, et parmi les publications de fin d'année, il ne fallait pas manquer non plus le Retour vers la Cuisine de Claire Pichon, avec laquelle j'ai nombre de choses en commun, à commencer par la passion des cuisines asiatiques, et la mer de Bretagne et tous ses comestibles. Elle est l'auteur du blog La Plus Petite Cuisine du Monde, un concentré de créativité et de fraîcheur, y compris dans l'écriture, ce qui ne gâche rien. Encore une qu'on ne verra pas se battre à coups de macarons. 

Le titre du livre est assez explicite dans sa référence cinématographique, Claire nous propose un voyage dans le temps, au siècle dernier précisément. Les 120 recettes sont classées par décennies, des années 20 aux années 90. Il a fallu choisir des plats considérés comme représentatifs, effectuer un long travail de recherche, puis les replacer dans un contexte, comme par exemple celui de la cuisine de restriction des années 40 ou l'apparition de la cuisine minceur (une autre forme de privation). Pour chacune des périodes, Claire nous fournit également une play-list des airs en vogue, et le titre des livres de cuisine qui faisaient autorité. 

C'est d'abord un livre de découverte pour qui comme moi s'intéresse à l'histoire de l'alimentation et des tendances culinaires. Je ne connaissais pas le potage à la tortue, je ne savais pas que la délectable langue Lucullus existait depuis les années 30, tout comme j'ignorais les heures de gloire de la bouchée à la reine.

Ensuite et surtout, c'est un très bon livre de cuisine, franchement moderne en dépit de son angle rétro. On n'est pas dans la cuisine bourgeoise lourde et qui baigne dans la sauce. Transcrites par Claire sans trahir l'original, et joliment photographiées par Emilie Guelpa dans une vaisselle bien entendu vintage, ces recettes ne dépareilleraient pas sur nos tables actuelles, et beaucoup y figurent encore. Pour ma part, presque tout m'a fait envie, pour me régaler et épater ma belle-mère. 

Marabout - 29 octobre 2014 - BAN : 9782501096560 

J'aurais voulu parler de ces deux superbes livres avant la période des cadeaux de Noël, mais l'idée du livre d'étrennes n'est pas si démodée que ça. En fait je ne les ai eus qu'au mois de décembre, lequel a été passablement agité, et je ne suis pas du genre à causer de bouquins que je n'ai pas lus.

Il m'a fallu choisir une recette en relation avec les deux livres, faute de disposer d'un feu de bois ces jours-ci, j'ai opté pour une recette végétarienne pour rester en cohérence avec celui de Linda, et délicieusement régressive, pour coller à celui de Claire. Et bien entendu, il me fallait une recette utilisant un ingrédient marin, après on dira que je ne fais pas assez d'efforts.

Étiez-vous né le jeudi 26 octobre 2006? Ce jour-là je publiais ce que j'annonçais comme étant la seule recette de dessert envisageable sur Cuisine de la Mer, propos qui a été rapidement démenti en raison de la pression amicale de mes lecteurs voulant m'arracher mes recettes de farz. Il s'agissait d'un flan aux algues, recette ancestrale réalisée avec de la carragheen comme gélifiant. 

Une recette infaisable pour la plupart d'entre vous, car il faut récolter cette algue aux plus forts coefficients de marée, puis la faire sécher avec une alternance d'humidité et de soleil, jusqu'à ce quelle devienne bien blanche en surface, je ne vais pas vous recopier mon précédent billet. 

Figurez-vous que fin octobre, j'en ai trouvé prête à l'emploi dans un supermarché dont je cite le nom car il s'intéresse aux producteurs locaux, il s'agit de l'Intermarché de Plouguerneau, dans le Nord-Finistère. Le producteur les sèche à l'ancienne, avec d'ailleurs plusieurs autres variétés qu'il commercialise également, encore dans un rayon limité au pays d'Iroise, mais on progresse. 

C'est une recette que vous pourriez tout aussi bien réaliser avec de l'agar-agar qui est aussi une algue (découverte par Miou-Miou à Bora-Bora), mais d'une part, c'est toujours mieux d'utiliser un produit local, et d'autre part, la carragheen est nettement moins chère. 

Flan aux algues

Ingrédients

- un demi-litre de lait entier
- une cuiller à café de carragheen séchée, en poudre
- poudre de cacao non sucrée
- sucre de canne (muscovado pour moi)

Recette

Mettez le lait à chauffer dans une casserole, et lorsqu'il est tiède, ajouter une cuiller à café bombée de carragheen séchée et finement moulue. Fouettez, puis ajoutez deux cuillers à soupe de cacao en poudre non sucré (j'aime quand c'est fort en chocolat) et une cuiller à soupe de muscovado (j'aime lorsque c'est peu sucré, faites à votre goût). L'intérêt du muscovado est qu'il va apporter des saveurs vanillées et légèrement réglissées à l'ensemble. 

Continuez à fouetter jusqu'à ce que lait commence à bouillir, versez alors la préparation dans des petits bols ou des ramequins. 

Lorsque le flan est suffisamment refroidi, placez l'ensemble au frais, pour parfaire la gélification. Vous constaterez en effet que ça fonctionne très bien, même en renversant le bol. Même le motif de fleurettes en relief qui orne le fond de mes bols chinois a été moulé dans le flan, et moi je dis que c'est très joli, et très branché, la plupart des cuisiniers barbus à la mode mettent des fleurs dans leurs assiettes, faute de vases probablement. 

La saveur est parfaite selon mes goût, la saveur de l'algue est à peine perceptible (pas assez même à mon avis, elle est plus flagrante avec un parfum moins fort que le chocolat, comme la vanille par exemple, ou le zeste de citron). La consistance est agréable, il n'y a pas d'impression gélatineuse comme celle des préparations du commerce, très industrielles pour la plupart. Le seul défaut, ce sont ces grumeaux de chocolat. Mon sachet de cacao n'est plus très jeune, et j'aurais dû le tamiser avant. Je vous souhaite une excellent année 2015. 

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