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Cuisine de la mer
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14 février 2015

Soukay de morue et salade de prune de Cythère

C'est la Saint-Valentin, fête dégoulinant d'eau claire et saturée de sucre, succédant à des célébrations païennes de l'amour et de la fertilité, autrement plus lestes et moins convenues que toutes les guimauves pathétiques et mercantiles d'aujourd'hui. 

L'unique réjouissance annuelle que j'ai jusqu'à présent carillonnée sur ce blog, c'est le 1er Avril, seule véritable date halieutique du calendrier, qu'on marque à coups de fins canulars et d'épingles poissonneuses dans le dos (c'est la seule façon de rester discret, avec du ruban adhésif, on est obligé d'exercer une pression perceptible sur le dos de la victime pour que le poisson soit ferré, tandis qu'avec une épingle ou un hameçon, non). C'est ainsi que je vous ai cuisiné du mergule nain ou que j'ai dit adieu à mes lecteurs

Mais bon, la cuisine est un voyage dont parfois on ne connait pas toutes les escales par avance, et j'ai débarqué par hasard à Cythère, qui est comme vous le savez une île grecque, mais pas que : Je vais vous raconter cela, et d'autres voyages aussi.

Avant de commencer, un petit mot à l'adresse des interloqués que je cuisine de la morue pour la Saint-Valentin, si j'avais vraiment mauvais fond, j'aurais fait du bâtonnet surimi (qui était à l'origine un godemouché de petite sirène). Aujourd'hui, je ne suis qu'Amour et Gourmandise. 

Maman les petits Watteau qui vont sur l'eau

Le nom de cette île m'est tombé pour la première fois sous les yeux dans un bouquin de classe, je ne me souviens plus de laquelle tellement j'en ai fréquenté, et de moins classes. C'était un tableau d'Antoine Watteau "L'embarquement pour Cythère", dont par ailleurs le nom a plus retenu mon attention que l'oeuvre elle-même, jugez-en par vous-même. 

Lembarquement

Ce n'est qu'un peu plus tard que j'ai compris la signification de cette volée d'anges, de Séraphin et Cupidon clonés : ces gens-là s'embarquaient pour un pique-nique, mais sans pique.

Du coup Cythère m'intéressa grandement. J'appris que c'est dans ses eaux que naquit Aphrodite, déesse de l'amour et des plaisirs charnels, la Vénus des romains, ce qui explique que l'île soit devenu un symbole pour les amoureux. Une expression française malheureusement devenue désuète, était employée lorsqu'on allait au premier rendez-vous avec l'être désiré, on disait qu'on s'embarquait pour Cythère (avec une citerne d'eau de rose). 

Ceux qui, comme moi, sont un peu renseignés sur le carnet rose de la mythologie, la version la plus populaire de la naissance d'Aphrodite est d'un érotisme torride. Cronos coupa le sexe d'Ouranos et le jeta à la mer. Il se produit alors une importante écume blanche d'où naquit la déesse de l'amour, laquelle poussée par les vents, alla s'échouer à Cythère, qu'elle quitta vite pour rejoindre les chics types de Chypre. D'où deux de ses autres noms "Cythérée" et "Cypris" (qui est l'étymologie d'une marque de lubrifiant universel). 

Très rapidement, tout ce romantisme se dissipa en moi, et j'oubliais carrément Cythère ; par ailleurs la lecture de Baudelaire m'avait bien calmé, logeant la côte en bateau, à l'écoute du "roucoulement éternel d'un ramier", il tombe sur un pendu en décomposition, qu'il décrit avec la même féroce efficacité que sa Charogne, symbole de ses amours décomposés. C'est aussi cela, la magie de la Saint-Valentin

Bref, cette abbaye cythèrienne finit par me sortir de l'esprit, jusqu'au moment où je m'ouvris aux fruits tropicaux, tout aussi surement qu'éclot une rose, mignonne (et l'épine avec, disait-on dans les maisons closes d'antan). 

La prune de Cythère n'est pas si terne

Ne cherchez pas, la prune de Cythère ne pousse pas à Cythère (du moins elle n'en provient pas), pas plus qu'il ne pousse de moule à Bouchot, ou de couteau à Beurre. On ne lui prête pas de vertus aphrodisiaques, et franchement, elles ressemblent plus à des goyaves ovales qu'à des couilles. 

Sachez qu'il existe une Nouvelle Cythère, comme il existe une Nouvelle Calédonie et une Nouvelle Cuisine. C'est l'explorateur et navigateur Louis-Antoine de Bougainville qui nomme ainsi Tahiti dans son "Voyage autour du Monde", qu'il décrit comme l'île des plaisirs charnels, mais aussi comme un nouvel Eden. Bref, ce fut l'un des premiers promoteurs du tourisme sexuel

Il est possible que le nom de prune de Cythère provienne de cette Nouvelle Cythère, car c'est carrément un arbre des régions tropicales. Toujours est-il que je n'en avais jamais mangé (elle n'est pas si facile à trouver en France), jusqu'au jour où dînant au Cambodge dans l'excellent restaurant du français Joannès Rivière,  je lui expliquais alors que nous fumions une clope, que je n'étais pas fan des desserts très sucrés, et que ma glycémie avait probablement explosé à force d'ingurgiter du sucre de palme dans presque tous les plats depuis mon arrivée dans ce merveilleux pays. 

Joannès eut alors la gentillesse de préparer une assiette de fruits rien que pour moi, dont je suis encore sous le charme, et c'est d'ailleurs elle qui m'a inspiré pour la salade de prunes de Cythère que vous trouverez ci-dessous. La photo est floue, mais de droite à gauche, vous reconnaissez du coeur de feuille de bananier (ne m'en demandez pas plus, c'est délicieux, avec une consistance proche de la guimauve), de la carambole encore verte, et de la prune de cythère émincée, tout aussi verte. L'assaisonnement à côté est un mélange de sucre, de sel, et de zeste de combava. Il ne pouvait pas mieux trouver pour me plaire.

SR

J'ai le plus grand respect pour ces chefs de cuisine qui partent tenter l'aventure à l'étranger, et ne se contentent pas d'y apposer ce qu'ils ont appris à l'école hôtelière ou avec mémé. Ils savent s'emparer des cultures culinaires qu'ils découvrent, des produits locaux, non pas pour en faire une fusion-food à la mode, mais pour rechercher de nouveaux accords, c'est une ouverture au monde, pas un méli-mélo dépourvu de sens. 

L'une de mes amies, Marie-Anne Page, partage ce point de vue, elle est l'une des fondatrices de l'association Village de Chefs qui fédère nombre de ces chefs de cuisine français installés à l'étranger, allez voir le site, vous en retirerez au minimum un excellent carnet d'adresses pour vos voyages.

Marie-Anne est désormais installée en Bretagne, elle a passé la main à d'autres au Village des Chefs, et elle s'est lancée dans une aventure un peu comparable, mais consacrée aux cuisiniers bretons, qui comme chacun sait, sont de grands voyageurs. Un évènement a eu lieu, fédérant des chefs bretons installés à l'étranger et d'autres en Bretagne. Je ne sais pas comment elle va traiter les chefs bretons installés en France mais hors de Bretagne, car j'ai du monde à lui présenter.

L'évènement de juin 2014 s'est construit entre chefs expatriés et chefs installés en Bretagne, cuisinant par équipes de deux. Il y aura un nouvel évènement en juin prochain, auquel je ne manquerai pas de me rendre. Un site a été créé, qui au delà de cet évènement, raconte des histoires et des recettes de bretons aimant cuisiner et manger. C'est par ici que ça se passe : Bretons d'ici - Bretons d'ailleurs

HERMINE

Soukay de morue et salade de prune de Cythère

Ingrédients pour le souskay

- un pavé de 350 grammes de morue salée, environ
- une carotte
- trois gousses d'ail
- deux cives (ou petits oignons frais avec leur queue)
- deux piments antillais "lampion" dit "Bonda Man Jacques" (habanero)
- deux piments végétariens
- poivre de la Jamaïque (mélange quatre-épices à défaut)
- un ou deux citrons verts
- thym
- huile

Ci-dessous les piments utilisés, le habanero à gauche, le végétarien à droite. 

piments

Ingrédients pour la salade

- quatre prunes de Cythère mi-mures
- un citron jaune
- un combava
- sucre de canne
- sel
- huile

Voilà comment se présentent les prunes de Cythère idéales pour cette salade, encore  vertes, mais ayant commencé à jaunir.  Ce fruit est parfois nommé "pomme de Cythère", mais je préfère "prune", même c'est tout aussi botaniquement faux (on est ici dans la famille de la mangue), car il y a un noyau et non des pépins. Je les ai achetées dans l'excellente épicerie vietnamienne Thanh Binh Jeune. J'en ai ausi ramené un arbre fruitier, mais ce sera l'objet d'un autre billet qui nous promènera aux Philippines. 

Cythere

Recette

Pour le souskay de morue :

Faites bien dessaler le pavé de morue, normalement 48 heures, mais fiez-vous aux indications du vendeur. Vous pouvez aussi utiliser des miettes de morue pour cette recette, en ce cas le temps de dessalement sera moins long. Petit rappel pour cette opération : le pavé de morue doit être placé la peau vers le haut, afin que le sel puisse tomber au fond de la bassine. Au fond de cette bassine, vous placez un morceau de bois (ou autre dispositif inoxydable) pour surélever le poisson, de manière à ce que la chair ne repose pas dans le sel précipité. Changez l'eau au moins deux fois.

Ceci fait, faites rapidement griller la morue côté chair, idéalement au feu de bois, sinon à la plancha ou au gril. Mettez-là alors à cuire dans de l'eau froide avec quelques feuilles de laurier et un piment "lampion" (attention à ne pas percer ce dernier, ce serait alors trop pimenté). Lorsque l'eau frémit, continuez à cuire à ce régime, la morue ne doit absolument pas bouillir, sous peine de durcir.

Lorsqu'elle est tiède, ôtez la peau et effilochez la chair, en prenant garde à ne pas laisser d'arrête. Ensuite, vous la hachez au couteau, sans la réduire en miettes, et de façon irrégulière, c'est meilleur lorsqu'on conserve de la mâche. Vous pouvez également la mixer dans un robot, mais allez-y avec beaucoup de précautions pour la même raison.

Disposez la chair dans une jatte. Ajoutez une carotte pelée et râpée, de préférence avec une grille à gros trous. Hachez pas trop finement les cives ou les petits oignons blancs frais, en incluant une bonne partie du vert de la queue.

Ajoutez le jus d'un citron vert, une cuiller à soupe d'huile, trois pincées de feuilles de thym frais (ou de thym sec et moulu). Assaisonnez assez copieusement de poivre de la Jamaïque.

Vient alors le moment de pimenter. La plupart des cuisiniers se contentent d'utiliser de la pâte de piment antillais "lampion". Le problème est que cette pâte est tellement forte qu'elle ne convient pas à tous les palais, et on en met alors peu, du coup on se prive d'une bonne part de son ârome.

Le piment végétarien a la particularité de véhiculer cet arôme, et d'être imperceptiblement piquant. Ôtez les graines de deux piments végétariens (un rouge et un vert idéalement), et hachez-les finement. Incorporez au souskay.

Procédez de la même façon avec un piment "lampion", que vous incorporez *progressivement*. Goûtez et ajoutez-en  jusqu'à ce que ce soit relevé à votre goût. A ce stade, vous corrigerez aussi le jus de citron, il n'est pas rare qu'on doive en ajouter un peu. Pour ce piment lampion, une autre technique consiste à le piler dans un verre, d'y ajouter de l'eau, de laisser un peu reposer, de filtrer et d'utiliser cette eau pour pimenter les plats.

 

Pour la salade de prune de Cythère

Pelez trois ou quatre prunes de Cythère mi-mures. Emincez-les finement à la mandoline, en tournant autour du noyau. Ce dernier adhère très solidement à la chair par des picots, il est illusoire de vouloir l'enlever, surtout lorsque le fruit n'est pas bien mur, vous risquez seulement d'abîmer la chair.

Assaisonnez de trois pincées de sel, deux pincées de sucre, une courte râpée de zeste de combava (trop tuerait la saveur fraîche de la prune de Cythère). Ajoutez une cuiller à café d'huile, qui va transporter les saveurs et faire briller

Dressez en assiette ou comme vous le voudrez, après avoir laissé reposer le souskay et la salade au frais pendant au moins une heure.

Embarquement1

Cette salade conviendrait à de nombreux plats, mais elle est particulièrement à sa place ici, où sa fraîcheur et sa saveur délicate apportent un contrepoint parfait au souskay pimenté et salé.

Embarquement2

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Commentaires
S
Un vrai bon produit ce blog ! Circuit court et efficace , excellent pour les papilles ! Bravo ! La Martinique t'embrasse .
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C
PS : "pas de moule à Bouchot ni de couteau à Beurre". HAHAHA , applause. ^^
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C
Hmmmm, les prunes de cythère j'aime TROOOP ça ! La dernière fois que j'en ai mangées, elles venaient du jardin de la mamie de Létitia (miss Piment), tiens ! Ma grand-mère les a préparées en salade pimentée, un peu comme la tienne sauf qu'elle laisse des beaux cubes et elle les assaisonne avec de la sauce soja à la place du sel, sucre aussi, un peu d'ail, gingembre et piment à gogo. Et elle laisse mariner tout ça toute une nuit pour que ce soit tendre. <br /> <br /> Mais alors des prunes de cythère, je n'en ai jamais vues à Bordeaux ! Et là, tout de suite, j'en ai bien envie ! #frustration <br /> <br /> Sinon c'est marrant, ces "piments végétariens", je ne connaissais pas. Je me demande pourquoi ça s'appelle comme ça... ??
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A
Merci pour ce bel article qui m a envoyée à Cythère et fait découvrir cette recette que j essayerai de réaliser des que je trouverai les fameuses prunes.<br /> <br /> Agnès
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C
Ce plat étant tellement nouveau,d'une part, et n'ayant jamais goûté cette préparation, je ne me permettrai pas de porter un jugement.<br /> <br /> Tout ce que je dirai,c'est qu'il m'interpelle,mais dans mon coin pourri,l'on ne trouve RIEN. J'ai essayé par 3 fois, de faire pousser des piments végétariens, mais je ne comprends pas les raisons de mes échecs::<br /> <br /> Les graines sortent, poussent sur 5 centimètres avec 2 petites feuilles, se courbent et meurent .????? La première tournée, j'avais enfoncé trop profondément les graines.<br /> <br /> Les pots étaient dans la cuisines au chaud.<br /> <br /> Aurais-tu un conseil à me donner????? Je t'en serai grée.<br /> <br /> En tout cas,je garde ta recette sous le coude. Bises accompagnées d'une branche de mimosa, mais bien mouillé en ce moment. Chris 06
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