Tarama au corail d'oursin
La vie n'est pas simple, surtout quand on a une idée fixe et qu'on refuse de s'en démettre en dépit des évidences. Voici un moment que j'annonce ici ou sur Facebook le troisième volet de mes recettes et aventures vietnamiennes. Après le Cha ca la vông de Hanoï et les Crevettes au tamarin, caramel et piment de la Baie d'Halong, j'avais prévu de vous emmener dans le centre du pays, avec une salade de papaye aux deux calamars, mais voilà, je ne suis pas content de cette recette que j'ai déjà exécutée voici bien deux mois, et dûment photographiée. Il va encore falloir patienter pour que je la refasse, un peu plus simple.
La vie étant toutefois harmonieuse, j'ai durant les fêtes préparé un tarama au corail d'oursin, c'est très rare que je fasse du tarama, c'est donc l'occasion de partager ma façon de faire, qui certes ne plaira pas à tout le monde.
C'est un sujet sensible le tarama, comme beaucoup de ces recettes traditionnelles et populaires qui se sont vulgarisées, et dont les industriels se sont emparés avec plus ou moins de bonheur, plutôt moins. A l'origine, il n'est pas préparé à partir d'oeufs de cabillaud salés et fumé, mais d'oeufs de mulet salés et séchés. Autant dire de la poutargue, et au prix où on trouve cette denrée en France, j'aime autant la consommer sans l'écrabouiller.
D'aucuns vont me blâmer parce que je n'utilise pas d'huile d'olive pour "monter le tarama comme une mayonnaise" ainsi que c'est recopié partout sur le web, et comme le voudrait la recette traditionnelle, laquelle se contente d'allonger la purée d'oeufs à l'huile d'olive, ce qui est en aucun cas comparable à de la mayonnaise. Oeuf et huile, ça ne donne pas toujours de la mayonnaise, restons raisonnables.
J'utilise de la crème fraîche non par volonté d'alléger le plat, mais face à deux produits puissants tels que les oeufs fumés et l'oursin, je préfère ajouter de la douceur à l'onctuosité. Il est donc inutile de crier au sacrilège ou au tarama moléculaire, je fais ce que je veux dans ma cuisine et je méprise les imprécateurs. On peut prétendre que je prépare un tarama scandinave et non un tarama méditerranéen, comme je l'ai lu quelque part, toutefois le premier n'existe pas et le second est un pléonasme.
Enfin, pour éviter à d'autres contrariés de perdre leur temps à lire cette recette, je précise qu'elle n'est pas végétarienne, qu'elle est grasse jusqu'au lipidineux, qu'elle contient de l'alcool, du gluten et du lactose. J'ai failli être taquin et ajouter du sucre, mais je me suis souvenu à temps qu'il y en avait déjà dans le pain de mie. Le tarama, c'est l'Hydre des régimes "Sans".
Il semble malheureusement aujourd'hui que l'approche de la nourriture emprunte la pente navrante d'une société éclatée en philosophies et religions de plus en plus sectaires, qui s'affrontent plus ou moins pacifiquement. Au sein de cette minorité agissante, chacun se pare de sa façon de manger comme d'un étendard auquel il faudrait se rallier, sous peine de tuer des chatons, de détruire la planète, ou de risquer une palette de maux allant de la simple indigestion au cancer fulgurant. Ce qui au fond n'est pas bien grave, puisque presque chaque jour d'autres inspirés découvrent une plante guérissant du cancer, et d'un tas d'autres maux dont on ne soupçonnait même pas l'existence.
Lorsqu'on a le malheur sur les réseaux sociaux d'entrer dans les discussions de ces petites sectes, en affirmant que la nature nous a fait omnivore et que la clé d'une bonne santé est d'abord une alimentation équilibrée et diversifiée, on se fait carrément clouer au pilori par des personnes dont on finit par penser qu'elles se mettent à table non pour manger, mais pour militer.
Il existe de réelles intolérances ou allergies, et c'est une souffrance pour ceux qui en sont frappés, mais il y a surtout des modes et des postures qu'on brandit désormais en exemple pour le reste de l'humanité. Il y a aussi de réelles convictions personnelles, et je les respecte. J'en ai juste un peu assez de constater que des choses qui relèvent de la vie privée, voire de l'intimité, deviennent prétexte à confrontation publique. A la sexualité et à la religion, vient maintenant s'ajouter la nourriture, l'acte pourtant le plus universel et le plus primaire de toute vie sur terre.
Bref, voici l'horrible tarama.
Tarama au corail d'oursin
Ingrédients
- une rogue de cabillaud fumé de 250 g environ
- 50 g de corail d'oursin
- 2 tranches de pain de mie, de préférence un peu rassis
- lait
- le jus de 1/2 citron
- 2 cuillères à soupe de vin blanc
- deux cuillères à soupe de crème fraîche épaisse
Comme vous le lisez ci-dessus, nous ne sommes pas du tout dans le registre du tarama de supermarché, j'ai pris au hasard le premier qui m'est tombé sous les yeux en faisant quelques recherches pour ce billet, je suis tombé sur la marque "Blini" en vente chez Monoprix à 14,80 euros le kilo, et voici de quoi est fait ce produit : Ingrédients : huile de colza, oeufs de cabillaud salés et fumés 26,6% (95,7% oeufs de cabillaud, sel, conservateur : e211), eau, chapelure (farine de blé, eau, sel, levure), crème (crème, gélifiant : e407) (lait), colorant : e120, acidifiant : e270,conservateurs : e262 et e202, sel, sirop de glucose déshydraté, extrait d'épices.
Je ne suis pas effarouché par le gélifiant et le colorant, ce sont des algues et de la cochenille, c'est tout le reste qui me consterne. Certes, 14,70 euros, c'est environ le prix de ma boîte de corail d'oursin, et avec cette proportion d'oeufs de cabillaud, je suis visiblement tombé sur de l'entrée de gamme, pour ne pas dire autre chose à la Coffe. J'ai vu aussi que la marque premium "Atelier Blini" propose des produits plus qualitatifs, contenant 40% d'oeufs de cabillaud, ce qui reste pauvre néanmoins. Certaines marques plus artisanales pratiquent des taux plus élevés, jusqu'à 70% par exemple, et se passent de cette tonne d'additifs qui tentent de dissimuler la médiocrité du produit.
Vous donc avez noté (avec réprobation je suppose) que j'utilise pour mon tarama du corail d'oursin en boîte. Il s'agit d'oursins de Galice, dont le corail est conditionné au naturel par une entreprise de Santander si mes informations sont exactes, qui fournit plusieurs marques en boîtes de cinquante grammes. Mon poissonnier proposait celle à laquelle mon amie Claire Pichon a donné un avis favorable dans ce billet, ce qui n'est pas rien quand on connaît la précision de ses goûts et son absence de complaisance vénale envers les marques. Je suis d'accord avec son point de vue, ça ne vaut pas un oursin frais, mais pour un tarama, c'est idéal et rapide.
Bref, en suivant cette recette, vous obtiendrez une préparation qui ne déparera pas sur une table de fête, à la saveur à la fois puissante et élégante.
Recette
- Enlever la croûte de deux ou trois tranches de bon pain de mie un peu rassis (celui du boulanger, pas l'industriel), coupez-les en dés et mettez-les à tremper dans du lait durant environ quinze minutes.
- Coupez les rogues dans l'épaisseur, pour racler les oeufs avec une cuillère. Vous les placez dans un récipient assez grand pour pouvoir user de votre batteur électrique sans dommages collatéraux. Homogénéisez le mélange en écrasant à la fourchette. Ajoutez le contenu de la boîte de corail d'oursin (ne pas égoutter), et continuez à assembler à la fourchette.
- Lorsque la couleur du mélange est à peu près uniforme, versez le jus d'un demi citron et deux cuillères à soupe de vin blanc sec (le sauvignon s'entend bien avec les saveurs fumées, j'ai utilisé du Quincy). Emulsifiez quelques instants au batteur électrique, et ajoutez deux cuillères à soupe de crème fraîche épaisse. Emulsifiez à nouveau jusqu'à obtenir un mélange onctueux.
Il ne faut surtout pas battre trop longtemps, et encore moins passer au mixer ou autre blender, vous allez sinon échauffer la préparation et trop écraser les oeufs, on doit les retrouver dans le tarama, et non le transformer en ces affligeantes purées qui ressemblent à du yaourt coloré en rose.
- En cuisine, goûter est fondamental, ça l'est encore plus pour le tarama, car selon la rogue que vos achèterez, elle sera plus ou moins sèche et fumée, faites-vous confiance. Si votre tarama est trop amer, ajoutez un filet de jus de citron, s'il est trop salé, ou âcre à cause d'un goût de fumée trop prononcé, ajoutez de la crème fraiche. En tout état de cause, n'édulcorez pas trop, un bon tarama doit avoir du caractère.
Une fois que c'est à votre goût, transvasez dans un bol de service. Pensez à le sortir du frigo une demie heure avant de le consommer, car la crème va un peu figer au froid, et il sera meilleur un peu détendu. Normalement, vous n'aurez pas besoin de le présenter avec des quartiers de citron, il se suffit à lui-même. Vous remarquerez que c'est l'une des rares recettes de ce blog, peut-être même la seule, où je n'ajoute ni condiment, herbe ou épices, pas même de poivre.
Vous pouvez bien entendu préparer ce tarama sans ajouter de corail d'oursin, il sera bon aussi, mais la saveur iodée de l'oursin contribue largement à l'équilibre de la préparation. Vous trouverez dans le commerce des tas d'idées pour ajouter au tarama "de base", je ne les ai pas toutes goûtées (au secours), mais pour l'instant, seul l'oursin m'a convaincu. Nous avons bu du Quincy, avec ce tarama présenté avec également du saumon fumé et des oeufs de saumon lors du dîner de la Saint Sylvestre. Je le sais, c'est plutôt à Pâques qu'on sert des oeufs, mais je suis brouillé avec les conventions.
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