Salade de mangue verte au thon fumé et à l'orange sanguine
Voici plusieurs fois que je reporte ma troisième évocation du Vietnam après ce voyage du mois de Novembre, je m’étais portant promis d’écrire tout cela avant la fin de l’année. Puis le temps s'écoulant, je me suis dit que tant pis, c’était aussi bien de passer à autre chose, que cet endroit que j’ai préféré dans ce pays, et où je me verrais assez bien vivre, pouvait rester préservé dans ma mémoire. Par ailleurs, je n’avais pas vraiment de recette vietnamienne adéquate à y ajouter (enfin si, mais je l’ai loupée).
Mais voilà, les choses que je n’écris pas, en dépit de l'envie, créent en moi à la fois un trop-plein et un grand vide, allez comprendre ce flux et ce reflux, alors il est temps de démarrer.
Comme souvent, tout commence par un matin calme et lumineux, sur un promène-couillon traçant son sillage dans le petit delta du Thu Bon, cela sent encore la terre mais le parfum de l’amer se fait sentir, c’est la mangrove, de l’eau saumâtre mais un beau refuge. Sur notre route, un pêcheur taquine la friture, tandis que des buffles à l’eau grillent sous des rayons déjà ardents.
D’autres pêcheurs sont au travail, qui à l’épervier, qui au carrelet. Quelques secondes d’attention me font vite comprendre qu’il s’agit de figurants, placés là comme attraction pour les touristes que nous sommes. Effectivement, après quelques gesticulations halieutiques largement improductives, ils s’approchent de notre rafiot pour solliciter une poignée de dongs, que nous leur laissons volontiers, après tout il faut bien que tout le monde vive, et leurs gestes étaient vrais et élégants.
Nous longeons des ports à peine aménagés, des bateaux revenant de la pêche nocturne, sur lesquels il est l’heure de manger (cela-dit, c’est tout le temps l’heure de manger au Vietnam). Les équipages ne nous prêtent aucune attention, seuls quelques enfants nous font signe en clamant des « Hello !» puis ils se jettent à l’eau, criant et éclaboussant.
Puis tout à coup nous voyons s'approcher à grands remous une petite dame dans un petit panier, tout sourire, et là je flaire de nouveau traquenard, c'est donc dans cette louche précaire que nous allons faire notre prochaine traversée, je me demande s'il ne vaudrait pas mieux se jeter à l'eau tout de suite. Evidemment, la dame me tend un aviron hérissé d'échardes sournoises, et vogue l'écumoire. Il parait que nous allons pêcher les crabes de mangrove. Voilà qui m'intéresse déjà plus, non seulement j'aime beaucoup manger ces crabes, mais j'en ai déjà cuisiné sur ce blog.
J'ai quelques doutes lorsque je la vois brandir une badine, pas plus épaisse que la cuisse d'un mannequin du dernier défilé Saint-Laurent, au bout de laquelle un fragment de crevette, ayant visiblement beaucoup vécu, pendouille à un fil à pêche de brodeuse. Il n'y a pas de photo de ces crabes, je n'étais en effet pas équipé d'un objectif macro, et ils étaient vraiment minuscules. Même dans une soupe, je ne les aurais pas utilisés, n'étant ni cruel ni pédophage.
Retour vers la ville, en espérant que ce premier abord très organisé pour les touristes va s'estomper pour plus d'authenticité. Je commence à demander à notre guide-chauffeur où je peux acheter des nids d'hirondelle. Au large de la ville se trouve en effet l'île de Cham, lieu de ponte de ces oiseaux, c'est aussi de là que provient le fameux bois dont les cendres sont incorporées aux nouilles cao lau (que d'aucuns écrivent cau lao, pensant peut-être à une origine du voisin Laos), ce qui leur donne une texture et une fermeté inhabituelle pour des pâtes de riz.
Le guide hausse les sourcils, comme quoi c'est la première fois en dix-huit ans de métier qu'un client occidental lui demande un truc pareil. Il ne peut se douter que je m'efforce de presque tout goûter sur mon passage, pas plus que le surnom de ma famille en Pays Pagan était "Ar Gwinelli", soit l'hirondelle de mer en breton, d'où ma requête en forme d'hôtel des ancêtres. Je m'étais auparavant renseigné sur l'aspect éthique de mon achat, dans certains coins de la planète il se fait un tel braconnage que la population de ces hirondelles (des salanganes, de la famille du martinet en fait) est en péril.
Au Vietnam, du moins à Hoï An, c'est un organisme officiel qui régule les prélèvements de nids, mais aussi la reproduction en élevage des hirondelles. L'oiseau devient d'ailleurs une attraction, j'ai entendu dire que du côté de Nha Trang, une grotte artificielle d'élevage est réservée aux touristes, qui peuvent eux-même prélever des nids. J'espère pour eux qu'ils en trouveront de plus gros que nos crabes de mangroves.
Effectivement, c'est dans une boutique austère qui ressemble plus à une pharmacie mono-produit, qu'à une épicerie traditionnelle avec son savant foutoir, que nous débarquons. Les prix sont astronomiques, pas moyen de négocier le moindre dong, et ils ne prennent pas les cartes de crédit ; tout ça pour une denrée qui n'aurait pas beaucoup de saveur et serait surtout utile pour avoir une belle peau. Tant pis, je me console en me disant que ça ne n'ajoutera pas beaucoup de poids dans ma valise.
Depuis novembre dernier, le paquet s'ennuie dans un placard, en attendant que je trouve une idée géniale (ou pas) pour les cuisiner, ce qui devrait bien arriver un de ces jours. Si c'est bon j'en reparlerai ici, car c'est un produit de la mer, il est bâti par la salive de la salangane, laquelle s'est nourrie d'algues pour secréter un mucus mucilagineux comestible. Maintenant, va savoir si c'est végétarian compliant ?
Le guide nous lâche à l'entrée de la vieille ville de Hoï An, non sans nous avoir fait acheter à un kiosque des tickets d'entrée qui permettent d'accéder aux bâtiments les plus remarquables, quelques pagodes, chinoises pour la plupart, le pont japonais, et quelques maisons traditionnelles (dont toutes ne valent pas le ticket). L'endroit est assez tranquille, novembre n'est pas la meilleure saison pour se rendre au centre du Vietnam, car il y pleut souvent, et on n'est pas à l'abri d'un typhon. Nous avons du soleil. La circulation dans la ville est interdite aux voitures, on ne doit prendre garde qu'aux deux-roues motorisés, et aux vélos, ce qui reste néanmoins un peu sportif.
On commence par un tour d'horizon au grand marché situé à l'entrée, puis on arpente des rues plutôt préservées, avec des commerçants insistants mais pas importuns, et je suis tout de suite empreint d'une impression de bienveillance et de douceur, de l'ambiance de port d'attache et d'abri qui se dégage de cette ville, héritage probablement de longs siècles de négoce et de brassages ethniques.
Bref c'est le coup de foudre immédiat, ce qui me donne envie de passer à table immédiatement, chez moi l'amour ne se contente pas d'eau fraîche. Je remets à plus tard l'idée de goûter aux spécialités de l'endroit aux échoppes brinquebalantes du marché, pour rechercher la fraîcheur d'un vrai restau, équipé d'une armée de petits ventilateurs déchainés et de bière bien fraîche. Nous sommes entrés un peu par hasard au Morning Glory, dont la carte me semblait assez bien conçue, et les assiettes des personnes attablées de bon aloi. J'évite de faire confiance aux guides lorsque je voyage, en général l'instinct me mène dans des endroits corrects, sinon j'interroge un ami ou un passant à bonne tête (certes, c'est du délit de faciès, mais c'est aussi de la discrimination positive, on devrait me décorer).
Je voulais bien entendu goûter au cao lau, et aux fameux raviolis "rose blanche", garnis d'une farce de crevette. Ces derniers sont confectionnés depuis trois générations au moins par une seule famille, qui fournit quasiment tous les restaurants de la ville. Je ne suis pas déçu, en dépit d'une ambiance un peu "grande cantine" et du nombre élevé de touristes, on se régale vraiment (je constatai plus tard que beaucoup de guides recommandent l'endroit, j'ai bien fait de ne pas regarder avnt, je n'y serait sans doute pas allé). Ci-dessous, le meilleur banh xeo que j'aie goûté, le cao lau et les raviolis "rose blanche".
Ce n'étaient bien entendu que les plats les plus marquants de notre déjeuner, en sortant de là, je me suis laissé traîner sans conviction dans quelques pagodes, quelques boutiques, puis je me suis lâchement sauvé vers l'hôtel pour une sieste, fatigué par les heures de voiture et d'avion endurées la veille, nous venions de la Baie d'Halong. Tout au long du chemin qui longe la rivière, je rencontre des personnes qui m'abordent spontanément, tandis que toute la ville semble plongée dans la torpeur, les vietnamiens sont de grands amateurs de sieste, ils commencent généralement leur journée très tôt.
Au début, en bon occidental sur ses gardes à l'égard des différentes formes de quémandage, je suis méfiant, mais très vite je me rends compte que c'est juste une habitude de communiquer de la part des gens que je rencontre, une réelle curiosité des autres, voire peut-être seulement le désir de pratiquer l'anglais, parlé avec cet accent à la fois trainant et chantant, propre au centre du pays.
Le lendemain matin, je me lève avec le soleil (les poules ne se couchent jamais là-bas, on les entend caqueter sans cesse, et les coqs pis encore), avec l'intention d'aller prendre mon petit dej au marché, et me voici à nouveau longeant à pieds le Thu Bon, émergeant tout juste d'une brume de chaleur à la bretonne.
J'arrive avec les premiers clients, pas le moindre touriste en vue, du coup l'ambiance est tout à fait détendue, on m'interpelle, on rigole, on me fait signe de prendre des photos, de goûter à diverses choses etc.. Tout le monde est affairé, qui à préparer des légumes ou des fruits, à plumer des volailles, mais beaucoup cassent la croûte après avoir disposé leur étal. Inutile de vous préciser que je me suis régalé, tous mes sens étaient sollicités, et j'étais heureux.
Je suis d'accord, ça fait beaucoup trop de photos pour le même article, mais vous n'êtes pas obligés de tout agrandir. La jolie dame ci-dessus, qui râpe la papaye verte, m'avait donné l'idée d'inventer une salade mêlant calamar frais et calamar séché. J'avais mariné le calamar frais dans du curry vietnamien avant de le griller rapidement, mais la saveur ne s'accordait pas du tout avec celle de la papaye. Alors, ce sera mangue verte, orange sanguine et thon rouge fumé, pour une fois je vadrouille dans la fusion food.
Salade de mangue verte, au thon fumé et à l'orange sanguine
Ingrédients
- une mangue verte
- une tranche épaisse de thon rouge fumé
- deux oranges sanguines
- graines de sésame noir
- rau ram (persicaria odorata)
- nuoc-mam
- citron vert
- ail
- sucre de palme (ou cassonade)
- poivre noir
N'allez pas choisir n'importe mangue pas mure pour réaliser cette recette, ce ne serait pas bon. Rendez vous chez votre fournisseur asiatique préféré, et demandez la variété de mangue spécifique pour la salade. Vous la trouverez selon l'endroit sous le nom de mangue verte, mangue acide, voire mangue éléphant.
Le rau ram est une herbe courante au Vietnam, on la trouve facilement chez les mêmes fournisseurs. Attention, sa saveur très aromatique, musquée même, ne plait pas à tout le monde. Vous pouvez tout aussi bien utiliser de la coriandre, qui n'est pas non plus appréciée par tous, au pire, rabattez-vous sur de la ciboulette thaï.
Le thon rouge provient de la SAFA, une ancienne maison de saurisserie, dont je connaissais mal les produits (en fait, j'en consommais sans le savoir, notamment leur délicieuse poutargue que j'achète sans marque chez un poissonnier). L'une de mes amies travaille pour eux, et nous avons fini par faire un troc, charcuterie fumée de chez Olivier Helibert contre poutargue et thon fumé, c'est carrément un énorme morceau de longe que Florence m'a apporté.
Recette
- Commencez par râper la mangue verte après l'avoir pelée, en utilisant le même instrument que vous utilisez pour la papaye verte.
- Assaisonnez la mangue ainsi réduite en filaments d'un mélange de nuoc-mam et de jus de citron vert (1/3 - 2/3), que vous allongez d'eau jusqu'à ce qu'il soit à votre goût. Assaisonnez ce mélange avec une pointe d'ail haché, du poivre noir et un peu de sucre. J'aime le sucre de palme, pour ces préparations, mais il apporte de la coloration, et c'est encore plus vrai pour la cassonade. Si cela vous gêne, utilisez du sucre candy ou du sucre blanc.
- Epluchez les oranges sanguines à vif pour en prélever les suprêmes. Recueillez le jus qui s'écoule durant cette opération et versez-le dans la salade. Réservez.
- Coupez le thon en cubes, ciselez la rau ram, et faites chauffer à sec des graines de sésame noir pour en exhaler le parfum, et procédez au dressage.
Mélange réussi à mon goût, les différents ingrédients se répondaient bien. J'aurais seulement dû couper le thon en cubes plus petits. En effet, certaines parties de la longe sont un peu "nerveuses", du coup ces morceaux (ceux très veinés de blanc) avaient une mâche un peu coriace. C'est un inconvénient qu'on ne rencontre pas lorsqu'on fait une utilisation orthodoxe de ce poisson fumé, à savoir coupé en tranches fines, ce qui est tout aussi praticable pour cette recette. Ou alors, on n'utilisera que le cœur de filet.
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