Salade de poulpe au céleri-branche
Desperate octopus people
Je ne sais pas si avec ce titre je vais lancer la mode du poulpe, comme voici quelques années ma consœur et copine Mercotte a déclenché la frénésie blogueuse du macaron en publiant ce billet. Je me vois déjà publier des livres tentaculaires, sortir des applications, passer à la télé dans "Le meilleur poissonnier de France et de ses eaux territoriales" (la place est facile à emporter, compte tenu de la médiocrité de l'ensemble), on verra bien.
Toujours est-il que, si on ne m'a jamais interrogé sur la façon de réussir les macarons (déjà à manger, je trouve ça trop difficile), on me fait souvent part de curiosité, voire d'angoisse à propos de la pieuvre, et même parfois la grande presse, la dernière en date ayant prétendu que j'avais "le vent en poulpe". Au moins ai-je peut-être contribué à l'avènement du jeu de mot dans l'écriture culinaire, c'est toujours ça de gagné dans cet univers qui se prend facilement trop au sérieux, dans la technique comme dans l'esthétique. Cuisiner est un plaisir, manger est une fête.
Commençons par le début : la pieuvre appartient à l'embranchement des mollusques, à la classe des céphalopodes, à l'ordre des octopodiformes et à la famille des octopodidés. Ce qui signifie qu'elle a huit pieds rattachés directement à la tête, ce qui est bien suffisant à retenir. A l'origine, le pied des céphalopodes était comparable à celui de la limace ou de l'escargot, il ne servait qu'à se mouvoir. Puis l'évolution a transformé ce pied en tentacules, qui sont des outils mécaniques et sensoriels de tout premier ordre. Le cerveau qu'il faut pour coordonner les huit tentacules d'un poulpe est forcément développé (je vous en parle en connaissance de cause, étant atteint d'un syndrome biblique : souvent ma main gauche ignore ce que fait ma main droite, d'où maladresse)
L'intelligence du poulpe, ou plutôt sa capacité à résoudre des problèmes, fait l'admiration de tous, et nombre de scientifiques sadiques s'amusent à lui faire ouvrir des bocaux ou des trappes, à l'enfermer dans des labyrinthes de dingues. C'est quand même dans son habitat naturel qu'il fait preuve de beaucoup d'ingéniosité utile (il ne rencontre JAMAIS de proies enfermées dans des bocaux). J'aime particulièrement cet indigène des Seychelles, qui trimbale sa cache d'embuscade :
Trêve d'histoire naturelle, ce n'est pas pour ses capacités intellectuelles que nous faisons entrer le poulpe dans nos cuisines, mais pour l'excellence de sa chair. Il aurait le Q.I. d'un bigorneau footballeur, que ça n'y changerait rien.
Poulpe et pieuvre, c'est la même chose, le mot poulpe était le plus utilisé pour désigner l'animal, et il continue à l'être en Méditerranée. C'est carrément Victor Hugo qui a popularisé le mot pieuvre, qu'il a emprunté au vocabulaire des pêcheurs de Guernesey, pour l'inclure dans l'une de ses œuvres majeures, "Les travailleurs de la mer". Il a même lui-même dessiné (ci-dessous) la bête que l'un de ses personnages devait affronter. Toutefois en matière culinaire, on parle presque toujours de poulpe, et non de pieuvre. A La Réunion, c'est le "zourite", tandis qu'aux Antilles, c'est le "chatrou".
Quant à nous, c'est un animal mort que nous devons affronter (si par hasard il vous arrivait d'en pêcher un vivant, il faut retourner la poche qui tient lieu de tête, comme un capuchon, pour aussitôt le neutraliser). Celui qui est pêché sur nos côtes est le poulpe commun (octopus vulgaris), que ce soit en Méditerranée, en Atlantique, ou en Manche. La seule différenciation que je connaisse est celle du fameux poulpe de roche, qu'on oppose au poulpe de sable.
C'est bien le même animal, la distinction ne tient qu'à son lieu de vie, puisque le poulpe de roche est pêché exclusivement dans les calanques de Méditerranée. On le reconnait à sa teinte "rouille" accordée à son milieu, tandis que le poulpe de sable est d'une couleur variant du beige, à toutes les nuances de gris, en fonction également de son environnement. Le poulpe de roche est réputé plus tendre et plus savoureux. Je suis plutôt d'accord, on constate le même phénomène avec par exemple les rougets-barbets. Cela est dû à une alimentation plus variée, communicant plus de saveur à la chair.
En Bretagne, la pieuvre semblait avoir disparu depuis les années 50, alors qu'elle était abondante à cette époque. Depuis quelques années, on en voit de plus en plus, à en croire les récits des plongeurs, et c'est une bonne nouvelle. Ce n'est ni la surpêche, ni la qualité des eaux, qui seraient à l'origine de la présence de colonies de poulpes, mais surtout la vitalité de l'écosystème, où ils trouvent des proies pour se nourrir. Le poulpe mange essentiellement des coquillages et des crustacés, dont la coquille et la carapace ne résistent pas à la puissance des tentacules et à la force du bec.
Pour autant, l'animal restait rare dans les poissonneries bretonnes, on n'en pêchait pas assez pour justifier une exploitation commerciale. Cela semble avoir changé, puisque je suis tombé sur du poulpe frais en provenance de Bretagne sur un marché parisien. Vous pensez bien que j'ai sauté sur l'occasion.
Déjà, trouver du poulpe non congelé n'est pas si fréquent qu'on pourrait le croire, c'est également vrai pour le calamar d'ailleurs, si votre poissonnier ne précise pas qu'il est frais sur l'étiquette, vous êtes en droit de vous poser la question. Normalement, il est censé spécifier qu'il s'agit d'un produit décongelé, ne serait-ce que pour éviter de le recongeler, ce qui est sanitairement déplorable, mais vous savez comment sont les gens, parfois ils oublient...
Le prix m'a un peu fait tousser (mais je ne l'ai pas regretté après avoir goûté), car pour obtenir quatre ou cinq portions, selon que vous en faites une entrée ou un plat, il faut compter 1,5 kg de poulpe cru.
1) Choisir : Choisissez de préférence un gros poulpe, il ne sera pas plus coriace qu'un moyen si vous vous le cuisez correctement, et il aura plus de goût. Ce n'est que pour certaines cuissons à cru à la braise ou à la plancha qu'on choisit de petits sujets, à peine grands comme la main. Ces nains ne sont pas pêchés en Atlantique et en Manche, où la maille est fixée à un poids minimum de 750 grammes, tandis qu'il semble que rien ne soit spécifié pour la Méditerranée.
2) Attendrir : Une fois la bestiole dans votre cuisine vous devez le détailler (si vous achetez un poulpe entier, ici la bestiole était si grosse que le poissonnier présentait les tentacules par paires), et lui faire subir un traitement pour l'attendrir. Avant l'invention du congélateur, on se contentait de le battre, soit directement sur un rocher après la pêche, soit en cuisine à l'aide d'un maillet, ou de tout autre attendrisseur. Cette méthode est efficace, mais un peu laborieuse et donne parfois un résultat peu homogène.
La solution la plus souvent adoptée désormais est le passage au congélateur pendant 24 à 48 heures, ce qui va suffisamment briser les fibres de la chair pour l'attendrir. Faites le décongeler doucement, au frais. Comme je l'ai indiqué, le poulpe est souvent vendu décongelé, ce qui vous évite de le faire vous-même. Cela-dit, il est toujours préférable de l'acheter frais, vous maîtrisez ainsi tout le processus de préparation. Congelé trop longtemps, cet animal à la chair gorgée d'eau se dégrade.
Toute autre astuce pour obtenir une chair plus tendre relève de la piété populaire, qu'il s'agisse des bouchons de liège, du démarrage de cuisson à froid, du vinaigre, du sel ou toute autre superstition. Il existe toutefois deux méthodes qui fonctionnent plus ou moins, la première consiste à ajouter de la papaye verte dans l'eau de cuisson, la papaïne contenue dans la sève ayant la propriété d'attendrir la chair, la seconde est japonaise, et l'apprêtant avec du daïkon.
3) Blanchir et parer : Dans la cocotte qui vous servira à la cuisson, placez un gros oignon coupé, du laurier, très peu de sel, ajoutez de l'eau et portez à ébullition. Plongez le poulpe dans l'eau bouillante, comptez jusqu'à dix, et retirez-le. Recommencez cette opération deux autres fois. A l'issue de ce traitement, vous constaterez que les tentacules ont commencé à prendre une forme de spirale, ainsi qu'un peu de cette teinte lie de vin qui caractérise le poulpe cuit.
Laissez refroidir un peu pour pouvoir le manipuler, et parez-le. En général, on enlève au moins la peau la plus épaisse, qui se trouve du côté opposé aux ventouses, surtout s'il s'agit d'un gros sujet. On ôte aussi la membrane qui "relie" les tentacules entre-eux, elle n'est pas agréable à manger. Ensuite, c'est comme on veut, chez moi on préfère que j'enlève aussi d'une partie de la peau se trouvant sur les côtés, mais on me passerait sur le corps plutôt que de me faire tout virer, en particulier les ventouses. Si toutefois vous voulez obtenir une chair blanche, attendez la fin de la cuisson pour tout ôter. Voici ce que j'obtiens :
4) Cuire : Refaites bouillir l'eau qui a servi au blanchiment, et mettez le poulpe à cuire. Il y a deux écoles, celle qui s'applique à couper l'animal en morceaux, et celle qui préfère cuire les tentacules entiers. A l'exception des recettes où le poulpe cuit dans sa sauce (daube, civet, cari, etc.), je suis partisan de le laisser entier, pour deux raisons, la première pour limiter la dilution de saveur, et la seconde parce que je préfère le portionner une fois qu'il a réduit à la cuisson, afin d'obtenir des morceaux exactement à ma convenance.
Le temps de cuisson (à petit bouillon) dépend bien évidemment de la taille de l'animal. Comptez entre quarante minutes et une heure, mais la seule solution est de vérifier la cuisson en plantant la pointe d'un couteau dans la partie la plus épaisse du tentacule. La lame doit entrer facilement, mais la chair doit être encore ferme. Plus vous poursuivrez la cuisson, et plus l'animal sera tendre. C'est inutile et moins bon de mon point de vue, il faut garder une certaine mâche élastique à la chair. La cuisson en cocotte sous pression est également efficace, mais elle ne permet pas de bien évaluer le degré de cuisson.
Le fait est que cela réduit beaucoup, on perd entre un quart et un tiers du poids à cru. Sur la photo ci-dessous, vous le constatez facilement.
Une fois la cuisson terminée, et le poulpe égoutté et refroidi, vous pouvez soit le stocker entier, soit le portionner tout de suite. Il se conserve deux jours au frais avant utilisation, mais le plus tôt est le mieux. J'ai l'habitude de l'enduire d'un peu d'huile d'olive lorsque je le réserve, la chair est en effet gélatineuse et les morceaux se collent entre-eux en refroidissant. Vous pouvez toutefois tirer parti de cette propiété, en "moulant" le poulpe dans un cylindre (ou une terrine) garni de papier-film. Une fois bien refroidi (12 heures au frais), vous le couperez en fines tranches pour le présenter à la manière d'un carpaccio.
Avec mon kilo et demi, j'ai fait deux recettes pour deux bons mangeurs : cette salade, et du poulpe à la galicienne, que je vous raconterai peut-être un de ces jours.
Salade de poulpe au céleri-branche
Ingrédients
- poulpe cuit
- citron
- ail
- huile d'olive
- cœur de céleri-branche
- sel
- poivre blanc
- piment d'Espelette
Recette
Coupez le poulpe en morceaux. Mettez-le à marinez au frais, pendant au moins six heures, dans un mélange d'ail, de jus de citron et de la très bonne huile d'olive.
Une heure avant de servir, coupez deux tiges du cœur bien tendre d'un céleri-branche en petits tronçons, et incorporez-les au poulpe, remettez au frais. Hachez très grossièrement à peu près autant de feuilles du cœur et réservez.
Passez le poulpe et sa marinade dans le plat de service, ajoutez les feuilles hachées et assaisonnez de sel, poivre blanc et piment d'Espelette.
Comme vous le constaterez, la plupart des recettes à base de poulpe sont issues de la cuisine populaire, la meilleure selon moi, quelques ingrédients suffisent à le magnifier. Trop d'ingrédients masqueraient d'ailleurs sa saveur. Maintenant que vous savez l'apprêter pour le cuisiner, vous devriez vous régaler, surtout maintenant, en été.
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