Rouille de seiche à la sétoise
Certes, ce n'est pas la première fois que je vois mon nom imprimé, mais aujourd'hui, je suis particulièrement heureux d'annoncer que les prestigieuses Editions de L'Epure m'ont fait confiance, et m'ont autorisé à raconter tout ce qui me passait par la tête à propos de la pêche à pied, mon activité favorite dès qu'on me lache sur une grève.
Vous trouverez là-dedans quelles sont les espèces accessibles aux fantassins des plages (ou aux furtifs des poissonneries) que nous sommes, y compris en Méditerranée, où malgré l'absence de marée, on peut néanmoins survivre. Je raconte aussi la manière de les pêcher, et bien entendu, les façons de les manger, puisque que vous y trouverez plus de 130 techniques et recettes, des plus locales aux plus lointaines. Le tout ponctué des habituelles anecdotes et drôleries sans lesquelles je considère que ça ne vaut pas le coup d'écrire.
En bouclant le manuscrit, j'avais une pensée reconnaissante pour vous les lecteurs de ce blog, qui le suivez depuis plus de dix années parfois, ce qui m'a encouragé à toujours progresser dans la connaissance du milieu marin et des cuisines du monde. Cela-dit, vous comprenez mieux pourquoi CdM est resté à l'abandon ces derniers mois, pendant lesquels j'ai mis tout mon jus dans la rédaction de ce livre. Dieu merci, je n'ai pas manqué de rhum.
Rendez-vous donc au mois de juin avec ces Récits et Recettes du Ressac ; en attendant, je reprends le cours normal de mes activités, à commencer par partager cette délicieuse recette traditionnelle avec vous.
Il s’agit bien d’une rouille de seiche, alors qu'habituellement, c'est l'humidité qui est responsable de cette corrosion.
Deux seiches trouvées palpitantes sur l’estran au début du printemps dernier (je ne suis vraiment en retard dans mes publications), probablement des femelles en fin de vie. Ces bestioles se rapprochent en effet de la côte pour se reproduire, et elles meurent tout de suite après. Comme le dit assez joliment Wikipedia (une fois n’est pas coutume) : « Comme les pieuvres, les seiches vivent et meurent par cohortes (tous les individus de 2 ans meurent à la même période, avant la naissance de leurs petits), ce qui explique les apparitions épisodiques d'os de seiche sur les plages ».
Fatiguées mais bien vivantes, une fois ramenées dans ma cuisine bretonne, elles faisaient tous les efforts du monde pour se planquer, usant de leur don de mimétisme pour iriser leur dos. Il faut dire que je les avais placées sur un plateau « Tintin et Milou », qui aurait rendu bipolaire un caméléon camé.
Bref, c’est plus à de l’accompagnement de fin de vie, qu’à un meurtre auquel je vais me livrer dans ma cuisine qui en a vu bien d’autres, et de plus barbares à papa.
Nombre de personnes répugnent à préparer les seiches elles-mêmes, il faut avouer que la présence de l’os (un avatar de leur ancienne coquille externe) ne facilite pas l’approche. Pourtant, même si c’est un peu plus difficile que d'habiller un calamar ou un poulpe, c’est nettement plus aisé que d’extraire une brosse à dents de son blister à la con.
- Placez la seiche sur le ventre, et effectuer une incision de 2 à 3 centimètres de chaque côté de la pointe de l’os. Dégagez-le en vous aidant des pouces pour déchirer la fine paroi qui l’entoure, puis soulevez-le pour l’enlever ; attention, la réserve d’encre de miséricorde est dans les parages.
- Toujours avec vos doigts, dégagez les parties extérieures du manteau, et écartez-les pour totalement mettre à jour les viscères. Saisissez alors la tête, et tirez pour enlever ces derniers d’un seul coup. La poche d’encre se trouve tout au bout du chapelet : récupérez-la si vous envisagez de l’utiliser pour un risotto, ou tout autre sombre dessein à l'encre. Elle se congèle très bien.
- Coupez alors les tentacules, juste après les yeux, et enlevez le bec qui se trouve au milieu. En procédant ainsi, vous évidez que l’encre soit régurgitée, ce qui arrive souvent quand on commence par couper les tentacules ou toute la tête, avant de procéder à l’ablation des entrailles.
- Nettoyez alors soigneusement le manteau, de façon à enlever toutes les peaux, vous obtenez alors du blanc de seiche près à l’emploi. Si vous n’arpentez pas l’estran à la recherche de proies, ou si vous n’êtes pas doués pour la turlutte, évitez d’acheter du blanc de seiche dans le commerce, sauf si vous avez pleine confiance en votre poissonnier. Bien souvent, il s’agit de produit décongelé d’origines diverses et parfois traités pour rester bien blancs, quand on n'essaye pas de vous refiler du calamar géant de Humboldt : Vous devez privilégier les bestioles entières.
Vous pouvez l’utiliser dans des tas de recettes, ce blog n’en manque pas, mais cette fois j’avais envie de soleil dans l’assiette, et de saveurs d’ail et de safran pour changer de l’échalote et du persil selon le mode breton, en préparant une recette traditionnelle de la fraternelle cuisine de Sète, car bien entendu si elle est sétoise, c’est donc ta sœur.
Sète, dont le jumelage avec Troyes a donné vingt et une raisons d’y séjourner, devant une mer d’un bleu profond à laquelle il ne manque que des marées pour que je m’y sente bien. C’est l’endroit où déguster une vraie cuisine de la mer populaire, entre tielles, moules farcies, soupes de crabe ou de poisson, gibelotte de dorade, et autre macaronade de fruits de mer, qui nous change des macarons à l’eau de rose de mes consœurs blogueuses. Sans oublier les coquillages de caractère de l’étang de Thau.
Et donc cette rouille, une cuisson en sauce où la seiche peut être remplacée par du calamar, voire un autre volatile.
Rouille de seiche à la sétoise
Ingrédients
- 1 kilo de blanc de seiche
- huile d'olive
- 2 oignons
- 5 ou 6 gousses d'ail
- 1 petite boîte de concentré de tomate
- 1 kilo de tomate
- thym
- laurier
- 1 verre de vin blanc
- sel
- 1 oeuf
- huile de tournesol ou de colza
- piment d'Espelette
- poivre blanc muntok
- safran en filaments et en poudre
Hors saison, vous remplacerez les tomates fraiches par une boîte de tomate concassée. Prenez de préférence du blanc de seiche épais, il restera plus moelleux après cuisson.
Recette
Détaillez le blanc de seiche en carrés assez grands. Passez-les à la poêle avec de l'huile d'olive et un peu de sel, arrêtez le feu dès que la seiche a rendu un peu d'eau, ou si elle n'en rend pas dès qu'elle commence à chauffer ; c'est variable d'une bestiole à une autre, surtout s'il y a eu congélation. Cette opération vous garanti une chair non caoutchouteuse, utilisez-la ausi pour les calamars. Réservez dans une passoire.
Mondez les tomates (enlevez les peaux et les graines), et coupez-les en morceaux. Détaillez l'oignon en petits carrés et hachez deux ou trois gousses d'ail.
Mettez l'oignon et l'ail à rissoler à l'huile d'olive dans une cocotte. Lorsque les oignons sont translucides, ajoutez trois cuillers à café de concentré de tomate, et faites-le cuire en remuant sans cesse pendant une petite minute, de façon à lui faire perdre son acidité. Ajoutez ensuite la chair de tomate, avec le thym et le laurier, et un petit verre de vin blanc. Quand ça a commencé à compoter, ajoutez les filaments de safran (l'équivalent de deux dosettes environ), ainsi que du poivre blanc.
Lorsque la sauce vous semble prête, à savoir pas trop liquide, ajoutez les morceaux de seiche, et faites-les réchauffer doucement.
Pendant ce temps, préparez une rouille (rien à voir avec la vraie rouille provençale), à savoir une mayonnaise à l'huile de colza ou de tournesol, avec un jaune d'oeuf et un peu de moutarde, à laquelle vous incorporez deux gousses d'ail écrasées et une dosette de safran en poudre. Hors du feu, mélangez cette préparation à la sauce de cuisson de la seiche, attention, si la sauce est trop chaude, la liaison ne se fera pas. Servez avec des pommes de terre et du riz.
Encore une fois, je préfère cuire très peu de temps la seiche (ou le calamar) pour qu'elle reste tendre, tout en conservant un peu de croquant. Vous arriverez à un résultat comparable avec une cuisson prolongée (certaines recettes indiquent une heure de cuisson), mais vous perdrez en texture, et surtout en saveur, celle de la seiche se trouvant totalement perdue dans la sauce.
*****
Rejoignez CdM sur Facebook (clic & like)
*****