Poulpe aux fèves
Voici plus d’une année que je ne suis pas venu au chevet de ce blog, mais il ne sera pas dit que je vais laisser passer 2018 sans une publication, il me reste quelques heures pour combler cette lagune, comme on dit à Venise.
Ce manque d’assiduité a plusieurs raisons, à commencer par l’usure du temps, Cuisine de la Mer existe depuis juillet 2006, et l’envie de passer à d’autres exercices m’a pris, et plutôt que du blog, je fais désormais du livre, un peu moins gratuit, mais à peine… Récits et Recettes du Ressac, sur la pêche à pied, publié en juin 2017, n’est plus disponible depuis une dizaine de jours, il en reste quelques exemplaires ci et là chez les libraires et autres distributeurs, mais chez mon éditrice préférée, la source est tarie, jusqu’à la prochaine réédition à la fin du printemps 2019. Vous pouvez vous consoler avec L’Art de Ficeler, le premier manuel de bondage culinaire, paru en septembre 2018, très peu marin certes, en attendant juin 2019 et un livre sur les huîtres.
J’ai aussi dû faire face à des contrariétés de santé, rien de nouveau puisque c’est un truc qui a été découvert alors que j’avais trois ans, et qui ne m’a pas empêché de bien vivre, avec quelques épisodes plus aigus de temps en temps, et lorsque tu passes par la case hôpital, quelle que soit la pathologie pour laquelle tu t’y trouves, tu n’échappes pas aux braqueurs en blouse blanche, qui t’intiment de choisir entre la bouffe ou la vie… sans compter une fatigue générale qui te dissuade de passer du temps en courses et en cuisine.
Encore que j’aie remarqué que les diététiciennes (c’est un métier très féminin) sont désormais plus connaisseuses de l’alimentation, y compris exotique (je me souviens de la première qui m’a demandé quelles étaient mes « habitudes alimentaires », elle s’est cru à Disneyland et a fini par conclure que je n’en possédais aucune de respectable), et moins dans la frustration. Dans les années 80, quand j’ai subi ma première greffe rénale, on limitait les risques de rejet à grand renfort de cortisone, ce qui implique une forte diminution de la consommation de sucre et surtout de sel, un vrai défi pour un amateur de fruits de mer.
- « Par exemple, si on vous sert des huîtres, vous n’en mangez que deux ou trois. »
- « Vous parlez en douzaines ou en unités ? »
La conversation a pris fin à ce moment précis, tout juste si elle n’a pas fait un signe de croix avant de refermer la porte de ma chambre, mais ce n’était pas une libre-panseuse…
Comme je ne suis pas totalement rebelle en dépit du genre que je me donne, j’ai quand même fait un peu attention au début, et c’est grâce à cela que je suis devenu plus connaisseur en matière d’épices et d’herbes aromatiques, car plutôt mourir de faim que d’ingurgiter des trucs insipides.
Ceux qui suivent ce blog depuis un moment connaissent mon goût pour les céphalopodes, pour leur saveur et leur texture, mais aussi parce qu’on a moins l’impression de vider les océans de toute vie en mangeant la plupart des poissons, à commencer par les meilleurs d’entre eux.
Le poulpe est résolument à la mode, rares sont désormais les restaurants plus ou moins branchés qui n'en proposent pas régulièrement, la littérature culinaire et imaginaire s’est développée à son propos. Pour ma part, j’en mange aussi souvent que j’en trouve, dès 2006 je publiais ici une recette de poulpe au chorizo, et quelques autres ont suivi.
Concernant les livres, l’un d’entre eux est beau et gros, il comporte un joli poulpe sur fond noir en couverture, et promet 80 recettes. Las, nombre de ces recettes concernent les cousins du genre, seiche et calamar. Certes, les trois espèces ont des points communs, mais elles sont bien caractérisées par une texture et une saveur particulières. Mieux vaut moins de recettes, mais toutes bien adaptées au produit central.
Anne Etorre a publié en fin d’année dans la collection « Dix Façons » des Editions de l’Epure, une collection précieuse de préparation. Elle ne s’est pas contentée comme le premier blogueur de la Mer venu de livrer ses propres élucubrations culinaires, mais elle a fait le tour des meilleurs spécialistes du genre poulpeux, qui ont bien voulu lui communiquer de belles recettes, jugez-en plutôt sur cette page où notre éditrice commune présente le livre.
Pour faire plaisir à ma fille, j’ai cuisiné du poulpe cette semaine, pendant ses vacances à la maison. C’est une recette qui me court dans la tête depuis le mois de mai, où elle m’avait emmené dans un restaurant chic et grec à Montréal, le Milos où ma foi, je m’étais régalé. Quoiqu’en disent les homards canadiens, c’est assez compliqué de trouver de bons poissons et fruits de mer dans cette ville, même sur les grands marchés comme Jean Talon. Cela dit, je n’y suis pas resté assez longtemps pour explorer le gisement. Cela posé, c’est donc d’une des recettes de ce restaurant que s’inspire ce plat.
Poulpe aux fèves
Ingrédients
- 1 kg de poulpe cuit
- 1 orange
- 1 douzaine de fèves fraiches
- 3 ou 4 oignon blanc frais
- 1 cuiller à café de câpres (facultatif)
- 1 gousse d'ail
- origan
- piment d'Espelette
- huile d'olive
- jus d'1/2 citron jaune
- vinaigre de vin
- févettes sèches décortiquées
- crème fraîche épaisse
- cumin
- poivre blanc (Muntok si possible)
Il s'agit donc d'une salade de poulpe, servie avec une purée froide aux fèves.
- Pour la préparation et la cuisson du poulpe, je vous ai déjà tout raconté ici ; souvenez-vous quand même lorsque vous ferez vos courses, que la bestiole perd le tiers de son poids à la cuisson, et qu'il faut compter au moins 48H d'avance pour le congeler afin de l'attendrir (le poulpe contient beaucoup d'eau, et c'est cette cette eau qui en augmentant de volume sous l'effet de la congélation, va étirer ou briser la chair, la rendant plus tendre, et de façon plus uniforme que si vous vous contentez de le battre "à l'ancienne").
- En cette saison, mes fèves fraîches et mes oignons frais provenaient du Maroc, tandis que mes oranges provenaient de Sicile. C'est sans doute une recette convenant mieux au printemps si on est locavore militant, ce que je ne suis pas, aimant trop les cuisines du monde ou désirant apporter du soleil dans les assiettes, en cette période de journées courtes et souvent grises.
- Ma fille m'a suggéré d'ajouter quelques câpres au vinaigre, qui n'ont pas nui à l'ensemble, mais sans rien ajouter de déterminant, selon son propre aveux. Une prochaine fois, j'y émincerai quelques feuilles de câprier au vinaigre, à mon avis mieux adaptées.
- Les févettes sèches et décortiquées s'achètent en magasin oriental, souvent près des pois chiches, les unes comme les autres servant à la confection des falafels, et autres délices. Au Milos, ils servaient une purée à base de fèves de Santorin, plus fines et savoureuses que celles que j'ai utilisées, mais c'est ce que j'avais dans mes placards et elles ont bien fait le job. Vous pouvez aussi utiliser des gesses, que vous trouverez plus facilement dans les boutiques espagnoles ou portugaises.
Recette
Commencez par cuire le poulpe, après l'avoir laissé bien décongeler doucement au frigo, et l'avoir massé avec un peu de gros sel. Une fois cuit selon la méthode indiquée ici, parez-le à chaud pour enlever les peaux les plus gênantes, à votre appréciation. Coupez-le en morceaux, pas trop fins, et en laissant les parties les plus fines des tentacules un peu longues (voir photo). Réservez au frais, après avoir versé d'un peu d'huile d'olive, pour éviter que les morceaux ne s'agglomèrent entre-eux.
Après avoir laissé tremper les févettes quelques heures, cuisez-les à frémissement dans de l'eau très légèrement salée, jusqu'à ce qu'elles soient fondantes. Mixez-les alors au mixeur plongeant, détendez d'un peu d'huile d'olive, assaisonnez de cumin, de piment d'Espelette et rectifiez le sel. Il faut que cette purée soit bien onctueuse, j'y ajoute un peu de crème fraîche dans ce but. Réservez à température ambiante.
Ecossez les fèves, passez les graines quelques instants à l'eau bouillante, puis à l'eau glacée, afin de les peler facilement, et séparez les deux cotylédons. Emincez les oignons en minces rondelles et hachez finement la gousse d'ail. Epluchez l'orange à vif, puis prélevez les supêèmes que vous coupez en deux.
Mélangez avec le poulpe : les fèves fraiches, l'oignon, l'ail, l'orange, ajoutez un peu d'origan, de poivre blanc et de piment d'Espelette, et encore un peu de piment d'Espelette. Au moment de servir, complétez l'assaisonnement du jus d'un demi-citron et d'un trait de vinaigre (de Banyuls ou de Xeres pour moi), salez et dressez en assiette avcc la purée de fèves.
Bon, nous sommes d'accord, le dressage aux petites fleurs, genre circuit de train électrique, ce n'est toujours pas mon truc, pas plus que de réussir une élégante trace de pneu dans la purée ou le machin posés sur le côté de l'assiette. Que cette petite contrariété ne vous empêche pas de vous régaler, ni de passer une excellente année 2019 (je suis tenté d'y ajouter mes voeux pour 2020, des fois que je sois aussi dilettante que ces douze derniers mois...)
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