Ormeaux à la stout
Comme quoi, il ne faut jamais désespérer, me revoici sur ce blog après avoir un tantinet galéré pour retrouver les codes d’accès. Vous le savez si vous suivez les pérégrinations culino-délirantes depuis les origines (j’ai commencé ce blog en 2006), c’est tout autant l’écriture que la popote qui m’anime, et puisque maintenant j’ai la chance d’être édité aux Editions de l’Epure, j’ai moins besoin de ce support numérique pour me défouler.
Ajoutez à cela que je cuisine moins de poisson et de fruits de mer, du moins d'une façon inédite qui ajouterait de la nouveauté à ces écrans. Lorsque je suis à Paris, j’ai du mal à acheter quoique ce soit, découragé par un rapport qualité-prix souvent déplorable des produits de la mer. En Bretagne, la qualité est au top, du moins là où je me fournis, mais les prix augmentent beaucoup, ce qui est assez normal, surtout en cette période où le carburant vaut aussi cher que le rhum, nom d’une pipe.
Un truc qui n’a pas quasiment pas augmenté depuis des années, c’est l’ormeau sauvage. Celui qui est pêché par des plongeurs dûment dotés de licences ; leurs prises sont reconnaissables à un bracelet scellé dans un trou de la coquille, la couleur de ce colifichet change chaque année. J’avoue que je n’ai plus la forme physique pour traquer moi-même la bestiole, alors je l’achète désormais….
Ajoutez à cela que février et mars sont les meilleurs mois pour manger ces « oreilles de mer ». Cela reste cher, mais tout à fait acceptable de temps en temps. Et puis bon, si la fin de l’hiver est propice aux ormeaux, c’est en mai qu’il faut manger les brennigenn (berniques, arapèdes en français), ces derniers étant gratuits, j’équilibrerai mes comptes à cette période. Notez que le taux de déchet est faible chez l’ormeau dont la superbe coquille nacrée est légère, et les viscères peu abondants, et que dans un kilo, il y a environ 8 pièces, ce qui suffit pour 4 personnes.
Enfin, j’ai choisi de les cuisiner pour la Saint Patrick, les plus attentifs d’entre vous savent que c’est mon prénom. C’est une fête que j’aime bien, avec ses origines irlandaises et ce bonhomme qui a chassé les serpents, bestioles dont j’ai une sainte trouille remontant à mon enfance africaine, où on m’avait traumatisé sur leur dangerosité. Ce n’est pas tant l’aspect religieux du 17 mars qui me plait, mais ce côté de prétexte quasi universel à faire la fête et à s’humecter copieusement le gosier, un peu comme le jour du Beaujolais nouveau, de la Foire aux harengs ou de la Journée de la femme.
J’ai donc eu envie d’être très irish style, en les cuisinant à la stout, dont la marque la plus connue est la Guinness, que j’aurais choisie si je n’avais pas fait une belle découverte. En me rendant chez mon caviste préféré à Lannilis, la maison Adam, qui est aussi brasseur, je tombais sur l’une de leurs récentes créations, la Goémon Noir, une stout à la dulse. La dulse, comme tout le monde le sait, est l’une des nourritures favorites de l’ormeau. Et elle devient aussi l’une des miennes, sous cette forme mousseuse.
Quelques petites erreurs d’étiquette cela dit, la dulse n’est pas Plamaria palmata, mais Palmaria palmata, et ce n’est pas une algue qui fait partie des goémons noirs (où on retrouve surtout des fucus), c’est une algue rouge. Vous connaissez tous l’étagement des algues sur l’estran, les premières sont vertes, car plus souvent exposées à la lumière qui stimule la chlorophylle, ensuite viennent les noires, ou brunes, puis les rouges, et enfin, les grandes laminaires qui ne sont exondées qu’aux grandes marées, et encore, pas toutes. Bref, si je comprends bien l’intention en considérant la teinte très noire de cette bière, mon esprit de coureur des grèves est vaguement contrarié.
Cette recette d’ormeau est donc inédite, du moins dans ma cuisine, si vous voulez en savoir plus sur l’ormeau, sa pêche et ses recettes, je vous invite à consulter mon bouquin sur la pêche à pied, Récits et Recettes du Ressac.
Ormeaux à la stout
Ingrédients pour deux personnes
- 4 ou 6 ormeaux
- 8 échalotes
- 1 petite bouteille de bière stout, aux algues si possible
- vinaigre de cidre
- cassonade
- 400 g de pommes de terre grenaille
- beurre demi-sel
- poivre blanc
- sel et fleur de sel
Pour obtenir des ormeaux à la fois savoureux et peu coriaces, il faut s’y prendre la veille. On commence par les décoquiller, en contournant le poisson d’une lame souple, puis on achève de le décoller à l’aide d’une cuiller à soupe. On enlève alors les viscères et la tête, petite caboche très coriace, surtout chez les spécimens de mer d’Iroise. Certains préconisent de les ébarber, mais je préfère ne pas le faire, ces parties ont beaucoup de saveur, je me contente de les entailler tous les centimètres pour leur éviter de se rétracter à la cuisson.
Il s’agit alors de les « taper », coincés dans un linge car sinon ils s’envolent, tant ils sont glissants. N’allez pas les écraser, il s’agit seulement d’aplatir un peu leur partie la plus bombée. Vous les placez alors sur une assiette que vous filmez et tenez au frais jusqu’au lendemain. Il s’agit alors de les « masser », vous verrez alors qu’ils s’attendrissent très rapidement, quelques palpations entre pouces et index suffisent. Terminez en les lavant et en les séchant.
Recette
Commencez par émincer en longueur 6 échalotes, ou plus si elles sont petites. Mettez -les à rissoler dans un peu de beurre. Dès qu’elles prennent un peu de couleur, versez un trait de vinaigre de cidre et laissez réduire. Mouillez alors de 10 cl de stout, ajoutez une pincée de sucre, autant de sel, et laissez compoter jusqu’à disparition quasi-totale de liquide dans la sauteuse.
Lavez les grenailles, et cuisez-les rapidement à l’eau, puis faites-les rissoler au beurre avec deux échalotes, jusqu’à bien les colorer, assaisonnez de fleur de sel en fin de cuisson.
Dans une poêle avec très peu de beurre, sautez les ormeaux, deux minutes sur chaque face, assaisonnez de fleur de sel et de poivre blanc. Retirez-les de la poêle (ils resteront chauds posés sur les pommes de terre), et déglacez avec deux cuillers à soupe de bière et une belle noix de beurre.
Dressez en arrosant de la sauce les ormeaux, comme vous pouvez, pour ma part je ne m’embête pas, je ne cuisine pas pour Instagram, et tant pis si je suis voué aux Gémonies (j’eusse préféré des goémoniers) de la télé-réalité culinaire, je préfère manger chaud que de perdre du temps à disposer des fleu-fleurs à la pin-pince, comme le dit une de mes très chères amies, également auteur culinaire, et pas que.
Il eut été tentant de boire sur ce plat la bière utilisée pour le cuisiner, mais non, la stout aurait alors trop dominé la saveur des ormeaux. J’ai choisi un vin breton (oui, la Loire-Atlantique est bretonne), répondant au doux nom de Pesked, ce qui signifie « poisson », également trouvé aux Caves Adam de Lannilis. Il s’agit d’un assemblage de Melon de Bourgogne, le cépage du Muscadet, et de gamay blanc, un avatar du chardonnay je crois, un bain parfait pour répondre aux notes iodées.
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