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Cuisine de la mer
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1 juin 2014

Rémoulade de tourteau à l'ornithogale, amandes fraîches et jus de citrange

C’est comme je vous le dis : le crabe-mayo reste une valeur indétrônable, au même titre que les rillettes-cornichon ou la baguette-camembert. 

Je vous ai déjà raconté l’histoire du capitaine anglais Thomas Rémoulade, célèbre pour avoir transformé la lutte contre le scorbut à bord des bateaux en une découverte gastronomique de premier ordre.

Trouvant que les pommes et autres fruits pourrissaient trop vite lors des grandes traversées, peu convaincu par les mérites de la choucroute, que par ailleurs, les hommes d’équipage ne prisaient guère, il préféra embarquer une grande quantité de céleri-rave, dont il facilita l’ingestion en les râpant et en les enduisant de mayonnaise à la menthe.

Pour autant, si quelqu’un n’avait pas auparavant inventé la mayonnaise, l’anglais l’aurait eu dans l’os du nez. On a écrit beaucoup de sottises sur l’origine de cette sauce (coucou), il est grand temps que la vérité éclate. 

La vraie histoire de la mayonnaise

A l’âge de fer de la Piraterie, juste avant l’âge d’or des pirates donc, une jeune fille du nom de Marion du Fouët s’était embarquée comme mousse sur un navire marchand en partance de Brest, déguisée en jeune homme, car bien entendu, les femmes étaient aussi peu tolérées à bord que les prêtres et les bègues.

Son caractère indomptable en fit vite une rebelle et la bête pris rapidement le dessus sur sa nature bouillante. Après moult aventures (qu’il est inutile de raconter ici,  référez-vous à "L’Ile au Trésor" ou à "La Flibustière des Antilles", ce sont des résumés succins), elle devint capitaine de son propre bateau, un brick corsaire qu’elle fit peindre en jaune éclatant, par défi aux frégates pondeuses du Roy. Elle le baptisa "Soleil de Satan", mais dans toutes les Caraïbes, on le surnomma rapidement le "Brick à l’Œuf".

brick-goelette

Beaucoup de légendes courent sur Marion du Fouët, et toutes sont vraies, à commencer par celles qui en font l’inventrice de la mayonnaise. Mais attention, il y a légende et légende, et même si elles sont toutes vraies, elles n’ont pas toutes la même qualité.

- J’élimine d'instinct une légende tout à fait rance, qui prétend que Marion se faisait le maillot en utilisant une crème à base d’huile et d’œuf, et que c’est pour cette raison que ce mélange fut nommé par l’équipage "Maillonnaise", qui par la suite évolua en "Mayonnaise". Même si cette crème correspond pile-poil à la composition de notre actuelle mayonnaise, il faut se rappeler qu'à cette époque lointaine, les femmes n'aspiraient pas encore à se transformer en poupée Barbie. 

- Une autre légende décrit le sort qu’elle faisait subir aux prisonniers, elle leur attachait une chaîne à chaque bras, tandis que les gars de la bordée de bâbord s’emparaient d’un côté, et ceux de tribord de l’autre, puis chaque parti tirait à lui, afin de démembrer le malheureux.

Marion assistait à la scène, un sourire cruel vissé aux lèvres, et rituellement, elle donnait le signal de l’exécution par cette formule que le pauvre enchainé comprenait aussitôt : "Vous êtes le maillon faible". Dans tous les bouges des ports des Caraïbes, cet atroce supplice finit par être connu sous le nom de "Maillonnaise" ou parfois de "Marionnaise", les versions diffèrent.

J’élimine presque aussi catégoriquement cette version, qui pour tout à fait authentique qu’elle soit, n’a rien à voir avec notre douce et onctueuse sauce jaune. Ce serait du ketchup, à la rigueur, mais là non.

- La légende plus vraie que vraie, c’est dans une particularité physique de Marion du Fouët qu’il faut la chercher, selon le plus pointu de l’historien de l’alimentation que je connaisse. Peu de représentations de cette femme fascinante sont parvenues jusqu’à nous, ni gravure, ni même un portrait-robot ménager. L’une des dernières et des plus réalistes figure sur le bras de mon petit frère Jack, la voici :

Tatoo

L'artiste s'est cru obligé d'affubler la peau de son modèle d'un nombre important de tatouages, mais j'ai tendance à mettre en doute leur existence, car il faut se rappeler qu'à cette époque lointaine, les femmes n'aspiraient pas encore à se transformer en murs de chiottes ambulants. 

Mais ce n'est pas notre propos, comme on le voit sur cette gravure, il manquait une main à Marion, à la suite d'un échange un peu vif avec le capitaine de la garde de Tortuga selon certains, tandis que d'autres prétendent que c'est en voulant apprivoiser un requin que cette mésaventure lui était arrivée. Sur cette image, Marion est encore jeune, et l'artiste l'a représentée avec le crochet à pâtisserie dont on affuble généralement les pirates (et qui donnent lieu à de pittoresques légendes pas piquées des hannetons, comme celle de la mort du Capitaine Crochet, qui commit un jour l'erreur de se gratter les couilles). 

Vers la fin de sa vie, Marion, fatiguée de courir les mers avec une bande d'abrutis enrhumés (la version caribéenne de l'aviné), se décida à jeter à terre son sac à main (toujours au singulier même si on a les deux), et elle se retira au Couvent des Oiseaux de Marie-Galante. C'est alors que pour prouver ses bonnes intentions aux religieuses, elle fit remplacer son crochet à pâtisserie par un appendice en accord avec son patronyme "du Fouët", et ce fut donc un fouet. Bien entendu, elle prit garde à ne pas s'affubler de l'instrument qui servit à fouetter le Bon Dieu, et elle choisit un fouet de cuisine, en or massif quand même.

Comme tous les marins, elle savait cuisiner, et ce fut donc à l'office que Soeur Marion fut affectée, d'autant que son fouet intégré lui donnait un avantage avéré sur toutes les autres frangines qui avaient au mieux, et pour les plus vieilles, les doigts crochus. La suite est évidente, au Couvent des Oiseaux elle ne manquait ni d'oeufs ni de saintes huiles, et c'est là que naquit la mayonnaise, d'abord popularisée sous le nom de "marionnaise". 

L'origine de quelques autres ingrédients de la recette

Il faut vraiment que je vous en dise deux mots, car ils sont arrivés jusqu'à ma cuisine dans des conditions tout aussi héroïque que la mayonnaise. 

L'ornithogale des Pyrénées n'est pas une espèce d'araignée, mais une plante à fleur connue aussi sous le nom d'asperge des bois ou d'aspergette, lorsque que le bourgeon floral n'a pas commencé à s'épanouir. N'allez pas la nommer "asperge sauvage", vous vous mettriez à dos une bonne moitié méridionale de la France. En faisant le marché, vous avez forcément déjà rencontré voire acheté cette plante qui se présente ainsi que le raconte et photographie si bien Linda Louis dans l'un de ses récents billets de blog

Dans le panier du premier groupe de photos, se trouve un panier d'osier emplis de bottes de 200 grammes d'asperges des bois serrées par du chanvre bio, cueillies par Linda pour sa cuisine et son billet, et aussi et surtout pour ses potes parisiens qui ont beau chercher dans le bois de Boulogne, ils n'y trouvent que des créatures surnaturelles.

Elle avait tout bien emballé et tout prévu Linda, un envoi groupé à sa maison d'édition La Plage, le colis devait arriver le lendemain ou deux jours après, mais vous connaissez le problème de La Poste, ils ont acheté des vélos trop larges et on n'a pas eu pour encore le temps de raboter les trottoirs des étroites rues du Quartier Latin. Cela dit, une semaine après, quand j'ai enfin pu aller récupérer mon lot, il était resté impeccable, je n'ai eu qu'à raccourcir un peu les queues des asperges et à les immerger une petite heure dans de l'eau fraîche, pour qu'elles redeviennent aussi pimpantes qu'à la cueillette. 

Evidemment, nous aurions pu aller chercher nos bottinettes d'aspergettes au marché, mais entre celles cueillies en forêt par Linda, et celles cultivées sous serre que l'on y trouve, il y a un fossé, guère infranchissable mais bien marqué. Linda m'avait dit qu'elle aimerait bien que je tente une association avec un produit marin pour ces ornithogales, et je décidais alors de faire un clin d'oeil au premier billet qu'une blogueuse m'avait demandé en 2006 de préparer à quatre mains, et qui fait toujours un tabac, si j'en crois le nombre de visiteurs qui débarquent sur CdM en provenance de ce billet commun (Linda, on dirait que le diaporama est cassé).

Citrange, vous avez dit citrange ? 

C'est d'un jardin près de Nice que m'est parvenu ce fruit dont j'ignorais encore l'existence il y a peu, d'une autre blogueuse talentueuse comme ça devrait être interdit (elles me fileraient des complexes ces gamines). Elle aussi avait joué de malchance en m'envoyant par La Poste des fleurs d'oranger cueillies dans le jardin familial où elle se ressource en attendant de repartir courir le monde pour ses reportages aussi ethnographiques que célestes. Bref, les fleurs d'oranger étaient arrivées bien tardivement, bien trop défraichies pour que je tente de les cuisiner, alors elles ont séché et embaument une partie de ma cuisine. Cela dit, j'adore qu'on m'envoie des fleurs. 

Ne s'avouant jamais vaincue, voici une quinzaine de jours à la sortie d'un restaurant dont je vous recauserai à l'occasion, puisque j'y ai piqué une recette, Camille, puisqu'il s'agit de Camille Oger auteure du blog Le Manger, emplissait mes poches de citrons et de citranges, qui ressemblaient à des clémentines un peu pâlottes. Arrivé à la maison, je me précipitai sur mon ordi pour identifier le machin, et je retrouvai la description de Camille "un croisement entre l'orange douce et le citron" le plus souvent très amer et donc immangeable. Me doutant bien que Camille ne pouvait m'avoir refilé un truc immangeable, je testai aussitôt, non seulement c'était à peine amer, mais aussi savoureux et je me dis alors que c'était exactement la saveur qui conviendrait à la recette que je projetais, plutôt qu'un simple jus de citron comme je le fais habituellement. 

Merci les filles, c'est déjà un bonheur d'échanger avec vous par écrit ou lorsqu'on se rencontre, mais si en plus vous m'offrez les produits de la ferme, c'est le paradis sur terre, comme quoi il n'y a pas que la mer dans la vie. 

Rémoulade de tourteau à l'ornithogale, amandes fraîches et jus de citrange

Ingrédients

- un tourteau d'environ 1,2 kilo
- 200 g d'ornithogales de Pyrénées (asperges des bois)
- 400 g d'amandes vertes
- un ou deux citranges
- un oeuf
- moutarde forte
- huile à saveur neutre
- sel
- piment d'Espelette moulu
- macis en poudre

On objectera que ce n'est pas une vraie rémoulade puisqu'elle ne contient ni câpres ni cornichon, mais sachez que je me fiche de ce type d'objection comme de mon premier verre de rhum.

Recette

Le plus long dans cette recette, ce sont les mises en place, si pour vous le crabe-mayo se résume aux pinces de tourteau douteuses achetées cuites, voire congelées, et que la mayonnaise n'est qu'un bocal blafard de plus au frigo, passez-votre chemin... L'avantage est que vous pouvez les apprêter à l'avance, et les réserver sous film au frais, comme ci-dessous, jusqu'au moment du dressage.

Remoulade

- Cuisez le crabe, pour une fois je n'ai pas utilisé la vapeur, mais démarré à l'eau froide bien salée, en comptant quinze minutes à frémissement après le premier bouillon. Laissez refroidir quelques heures à température ambiante, et décortiquez. Conservez les oeufs s'il y en a (vous aurez pris soin de choisir une femelle, la chair en est plus fine, et plus abondante dans le coffre), mais pas la chair brune généralement un peu trop âcre, du moins pour cette préparation (ne la jetez pas, mélangez-la d'un peu de mayo, ajoutez une goutte d'alcool genre rhum ou eau de vie de cidre, épicez à votre choix, et servez à l'apéro, en dip ou en tartinade). 

- Recueillez les amandons des amandes vertes, en prenant soin d'enlever la pellicule qui les recouvre, brisez les grossièrement (il faut qu'on en sente bien  le croquant sous la dent); conservez quelques-uns simplement séparés en deux pour le dressage.

- Coupez la tige des ornithogales à environ trois ou quatre centimètres sous la tête, passez-les quinze secondes à l'eau salée bouillante, et placez-les dans de l'eau glacée pour arrêter immédiatement la cuisson. Egouttez sur du papier absorbant, ou un linge si vous êtes du genre à laver les couches.

Coupez en petits tronçons le reste des tiges, normalement elles sont tendres tout du long, mais vérifiez quand même qu'une ou deux ne soient pas ligneuses. Faites leur subir alors la même cuisson qu'aux pointes, en les laissant quinze secondes de plus dans l'eau bouillante. 

- Pressez le jus d'un ou deux citranges  à travers d'une passoire fine, vous devez obtenir un demi-verre environ. A défaut, vous pouvez utiliser un mélange à parts égales de jus de citron et de jus d'orange, ça sera moins subtil, mais la recette n'en sera pas bouleversée, et moi non plus

- Enfin préparez une mayonnaise légèrement moutardée. Le truc est de mélanger le jaune d'oeuf à son équivalent en volume de moutarde forte, de laisser ainsi une ou deux minutes reposer avant de monter à l'huile. Utilisez une huile de saveur assez neutre, genre colza ou tournesol, une huile d'olive ou de noix écraserait la préparation. 

Conservez toutes ces mises en place au frais jusqu'au dressage. 

Peu avant de servir, ajoutez deux cuillers à soupe de mayonnaise au crabe, ainsi que les tiges tronçonnées des ornithogales, et les amandons brisés. Mélangez. Ajoutez le jus de citrange, progressivement et en goûtant pour aboutir à un bon équilibre, ici j'ai utilisé la moitié du jus que j'ai pressé. Epicez d'un peu de piment d'Espelette pour le relief, et de poudre de macis pour la profondeur. Il est inutile de saler, le crabe l'est suffisamment, mais faites votre convenance.

Posez les pointes d'ornithogales sur l'assiette, puis la rémoulade de crabe à l'aide d'un cercle, décorez d'amandon et des boutons floraux. Emulsionnez un peu d'huile avec le reste de jus de citrange, et versez-en une ou deux cuillers à café sur les pointes s'ornithogales et servez sans attendre. 

Remoulade3

Tellement sans attendre, que j'ai oublié d'ajouter l'émulsion sur les asperges avant de prendre mes photos, on sent les séquelles du Quincy servi à l'apéro et qui  nous a accompagné sur ce plat. Je m'en suis aperçu juste avant de commencer à manger, et je me suis dépêché de reprendre un cliché un peu à l'arrache, mal exposé, un peu flou, mais au moins comme cela, vous devinez la version complète.

J'aurais pu sophistiquer un peu plus le dressage, en comblant les grand espaces blancs de quelques fioritures plus ou moins végétales, mais je fais de la cuisine, pas de la décoration d'assiettes en porcelaine. Si ça vous chante, vous pouvez utiliser quelques groseilles, elles se marient très bien avec l'ornithogale, comme ici

Ce fut un réel succès auprès de ma femme et de ma fille, qui ne sont pas habituellement les plus complaisantes des juges, et quant à moi, j'ai vraiment beaucoup aimé, donc je garde (si ça avait été mauvais, je n'aurais pas publié, je ne suis pas sponsorisé à la pièce). 

Remoulade2

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Commentaires
C
Juste pour dire merci : je viens de décortiquer une palanquée de pinces de tourteau, et le crabe farci à l'antillaise a toujours son petit succès mais je voulais changer un peu.<br /> <br /> Je me suis souvenue de votre rouget aux carottes, déniché ici il y a des années... Là je vous pique la remoulade aux asperges (enfin pour moi ce sera asperges), le curry thaï et le chou farci à l'araignée. J'ai tout dans la cambuse sauf le chou, alors au boulot !<br /> <br /> Merci encore.
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M
J'aime beaucoup cet article.<br /> <br /> Merci pour le partage de cette recette.
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C
Superbe et lumineux ,le genre de recette qui me donne illico envie de fuir le bureau pour aller à la poissonnerie me fournir en crabes. J'adoré l'idée d'utiliser des amandes fraiches, avec les agrumes et la verdeur des asperges, ça doit être dingo !
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P
Merci de ces compliments, que je te retourne sans hésiter, aussi bien ton style que le contenu de ton blog sont de haut niveau. Cela-dit, des commentaires comme celui-là, ça fait forcément plaisir. Merci et bises.
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M
Rah quel bonheur de te lire, cher Patrick ! On se régale avant même de pouvoir goûter à ton plat qui semble fantastique rien qu'à le regarder ! Bref, tu m'achèves chaque fois que je lis tes billets. Humour, talent, texte fourni, belle plume alerte, recette à tomber, mais laisse donc un peu de talent aux autres stp ! Cela dit, non ! Garde tes talents et fais-nous encore baver ! Saliver. Ca fait du bien déjà de se régaler l'esprit à défaut de l'estomac. Je m'en vais me terrer dans ma kitchenette - si je trouve une place - pour affiner une recette facile et réduire mon texte au strict minimum. Parce qu'après t'avoir lu, je range toujours ma plume de canette laquée. Et je regrette presque d'avoir un blog. Mince. Mais bises.
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