Brandade de morue nîmoise
La morue, c'est généralement du cabillaud de l'Atlantique (gadus morhua), salé et séché.
Il existe aussi du cabillaud dans le pacifique nord et ouest. On trouve aussi sous le nom de morue divers autres poissons, comme la lingue-morue, la morue-charbonnière (qui ne sont pas des cabillauds), voire aussi des congres, etc...
Le roi des cabillauds, c'est le skreï ou cabillaud arctique, dont tous les scandinaves attendent le retour dans les fjords en hiver, lorsqu'ils viennent frayer. Leur chair est alors fameuse, parfaitement blanche et parfumée. N'empêche que... tuer des poissons lorsqu'ils vont frayer, il vaudrait mieux pour la pérennité de l'espèce que ce soit très réglementé. (Oui mais, avec quoi seront faits alors les monceaux de tarama qu'on voit partout. Avec des oeufs de surimi peut-être?).
Le cabillaud est une espèce menacée, non par les phoques comme on le prétend parfois, mais par la sur-pêche, et de façon plus insidieuse qu'on le croit. Ce sont les "pêcheurs" de poisson-fourrage qui font le plus de dégats. Par poisson-fourrage, on entend des poissons (souvent des harengs, chinchards et autres sprats...) capturés pour nourrir les poissons d'élevage (voire les poulets) ; il faut plus de deux kilos de poisson sauvage (quatre selon Greenpeace) pour faire un kilo de saumon d'élevage; on se demande parfois où la connerie va se nicher, ne cherchez plus... Lorsqu'on sait que les cabillauds juvéniles ont la manie de se balader au milieu de ces bancs de harengs et cousins, on comprend mieux pourquoi l'espèce décline. Bref et tant mieux, la pêche au cabillaud est très réglementée, soumise à quotas. Elle sera probablement interdite un jour, si la gestion des ressources s'arrête au franc-bord des bateaux industriels.
La pêche à la morue, c'est chargé d'histoire, les terre-neuvas font partie de nos images d'Epinal (joli port de pêche ;-)). Ils pêchaient à la ligne, en amorçant souvent avec un petit poisson nommé capelan, lequel ils faisaient aussi saler/sécher. Il n'y a plus à ma connaissance qu'un endroit en France où on trouve ces capelans, une poissonnerie à Saint-Servan, à côté de Saint-Malo.
On trouve aussi des joues et des langues de morues, de purs délices, qui étaient laissées en guise de pécule aux hommes d'équipage. La langue avait aussi une fonction de contrôle, elle était prélevée au moment où on nettoyait et ouvrait les cabillauds avant de les saler, on pouvait ainsi mesurer le rendement de chacun!
En cuisine
La morue, pêchée essentiellement dans les mers nordiques, a largement fait sa place au soleil, en méditerranée bien sûr, au Portugal m'a-t-on dit, et jusqu'aux Antilles où les accras et autres chiquetailles sont des classiques. Le dernier avatar, c'est la "morue fraîche" : une appellation qu'on doit à Senderens au Lucas Carton, il avait mis du cabillaud à la carte, et çà ne partait pas, jusqu'au moment où il a eu l'idée d'écrire "morue fraîche". Ce n'était pas un poisson chic à l'époque.
Il y a des centaines de façons d'accomoder la morue, j'ai choisi l'une des plus simples qui est la brandade. Les proportions de la recette sont tirées du livre de Catherine Guerraz : "Les délices de chez Catherine", (restaurant "Chez Catherine", l'une de mes tables favorites, ma préférée en fait. Je pense avoir beaucoup d'occasions d'en reparler!).
Brandade de morue nîmoise
Ingrédients
- un kilo de morue salée et séchée
- 75 cl d'huile d'olive
- 30 cl de lait
- 3 branches de thym
- 3 feuilles de laurier
Alors oui, à moi aussi, les "75 cl d'huile d'olive" ont flanqué la trouille. Et bien si, il faut bien çà. "Pour 4 à 6 personnes", qu'elle écrit Catherine; d'accord, si elles en mangent vraiment beaucoup. Dites-vous que si le morceau de morue sec acheté vous paraît bien petit, il gonfle au dessalage, et une fois la brandade montée, on obtient un volume d'au moins le double.
Alors non, on ne met ni crème, ni pomme de terre, ni ail dans la brandade.
Préparation de la morue
Vous avez acheté un joli morceau de morue, choisi près de la tête pour avoir une épaisseur de "dos" importante, c'est la chair la plus moelleuse; ce n'est pas fondamental pour la brandade, mais autant prendre de bonnes habitudes.
Il s'agit maintenant de la dessaler, et pour celà, je vous donne un truc de pro que peu de gens connaissent, qui consiste à la mettre deux jours dans la chasse d'eau, ce qui permet de renouveler régulièrement l'eau de trempage. Evidemment, c'est à éviter chez les gens qui se la jouent ouragan sur Papeete en mettant du produit bleu dans la chasse.
Mais non! Ce qu'il faut faire, c'est la mettre dans une grande bassine d'eau pendant48 heures, le temps nécessaire pour de la morue salée séchée, surtout des morceaux de dos épais. Il faut que la peau soit au dessus, pour qu'elle ne retienne pas le sel au fur et à mesure qu'il fond. Le poisson ne doit pas reposer au fond, où va se déposer le sel, on le surélève avec ce qu'on peut. L'eau doit être renouvelée plusieurs fois. L'idéal, c'est le filet d'eau courante, donc si vous avez une source dans le jardin...
La morue est pochée, on la met dans de l'eau froide avec le thym et le laurier, puis on chauffe jusqu'à frémissement. Elle cuit ainsi pendant huit minutes. On l'égoutte, et on la dépouille et l'effeuille avant qu'elle ne refroidisse.
Pour monter la brandade, il faut trois casseroles, une grande à fond épais, une moyenne pour tièdir l'huile d'olive et une petite pour tièdir le lait.
- La première phase, c'est la plus difficile, elle consiste à mettre 20 cl d'huile à chauffer dans la casserole, à ajouter la morue effeuillée, et de la travailler jusqu'à en faire une fine purée. Autant vous dire que j'ai réglé la question d'un coup de Magimix, en utilisant non pas la pale coupante, mais celle en plastique qui sert à mélanger. Il ne s'agit pas d'émulsifier, il faut conserver un peu de mâche.
- La seconde phase, la brandade est dans la casserole, et on la monte sur feu doux en ajoutant alternativement de l'huile et du lait tièdes, jusqu'à la consistance et la saveur recherchées. Ce qui donne çà :
Pour le service, je ne fais pas comme classiquement recommandé "servir avec des croutons frits à l'huile", il en a bien assez comme çà. Voici trois variantes faites ce week-end, la première très classique, elle est mise au four à réchauffer et à colorer un peu, puis servie avec une salade mélée de roquette et de frisée relevée d'une pointe d'ail. Des rondelles de pain grillé avec des gousses d'ail à frotter dessus, et du piment d'Espelette pour ceux qui en veulent.
La seconde version, est parfaite pour un apéro tapas, on prend une baguette "à graines", on en trouve presque partout désormais, on y taille très en biais de fines tranches que l'on grille. Pendant ce temps, on fait chauffer sans cuisson une gousse d'ail finement hachée dans une cuiller à soupe d'huile d'olive, qu'on incorpore à un peu de brandade. Puis on tartine en laissant un morceau pour saisir la tranche, on saupoudre de niora (piquant ou non), et on surmonte d'une olive (ici ce sont ces merveilles d'olives "taggiasca").
La troisième version, c'est désormais presque un classique, et vraiment, c'est excellent. Cà consiste à ouvrir une boîte de pimientos del piquillos, à les rincer et à les farcir de brandade froide. Un court filet d'huile d'olive par dessus.
Il m'en reste encore; on verra demain matin, la nuit porte conseil. Soit elle part au congélateur, soit ce sera une brandade parmentier mardi soir. Rien que pour voir la tête de ma femme et de ma fille de se voir resservir de la brandade une nouvelle fois dans la semaine, je suis assez tenté ;-))
Alors, sur la version au four, on a bu un Faugères blanc, de chez Léon Barral, parce qu'on le vaut bien. D'autres Languedoc blancs conviennent fort bien! On peu aussi aller sur un Côtes de Provence blanc, si on veut quelque chose de plus vif. Le Bergerac blanc convient également parfaitement. Les versions apéro-tapas, pour moi c'est toujours avec une Manzanilla!