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Cuisine de la mer
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8 août 2011

Porc aux palourdes (Carne de porco alentejana)

Cela fait une vingtaine d'années que je suis allé au Portugal pour la première fois, je rejoignais mon épouse en mission de conseil auprès d'une chaine de grande distribution au nom énervant pour un bec salé de mon espèce (Pao de Açucar), mais de sel je n'allai pas en être privé sur cette proue atlantique de notre continent. 

J'arrivais en fin de journée, bien fatigué d'une période de célibat, quittait les ravissantes hôtesses de la TAP pour rejoindre l'élue de mon cœur à l'hôtel de luxe où elle était hébergée. Le temps de poser mon sac dans la chambre, il fallait aller dîner avant que ne ferment les restaurants de ce quartier résidentiel très calme le soir.  

Oh, il y aurait bien eu la possibilité de dîner à l'hôtel, mais je ne sais pas si vous êtes comme moi, lorsque je débarque pour la première fois dans une ville, je n'ai aucune envie de manger à l'hôtel où je vais dormir, j'ai au contraire envie et besoin de sortir, de vérifier s'il y a du monde dans les bistrots, bref de m'acclimater. 

Nous sommes tombés un peu au hasard sur un restaurant moderne à la carte trilingue, mais elle aurait pu être totalement lusophone, ma femme avait appris intensivement le portugais avant sa mission, et quant à moi, j'avais évidemment approfondit les pages gastronomiques de mon guide, je connaissais les plats emblématiques, et bien entendu, le nom de la plupart des poissons et fruits de mer. 

Amateur depuis toujours des associations terre-mer, avec une enfance bercée par la culture familiale de pêcheurs-paysans et marquée par la géographie de mon cher Pays des Abers où la mer pénètre profondément la terre, j'avais repéré une étrange recette de porc aux palourdes : je me souviens que c'est de la trouver au menu qui m'a décidé à entrer. J'ai la chance d'avoir une compagne qui ne discute jamais a priori mes choix de restaurants, a posteriori par contre, tout est envisageable... Ce plat était encore meilleur que je l'imaginais et il me faisait augurer le meilleur de mon séjour.

Les jours suivants, alors que le chauffeur de madame l'avait depuis quelques minutes emporté vers son labeur quotidien, je me précipitais pour arpenter cette ville magnifique, hallucinante avec ses restaurants de poisson pratiquement partout, souvent reconnaissables aux crustacés vivants s'agitant en devanture, pendus à des ficelles. 

En général, je déjeunais frugalement de quelques croquettes aux saveurs incroyables, que je faisais glisser avec une Sagrès, et j'en profitais pour repérer le restaurant où nous dînerions le soir. Un jour pourtant, planté devant le majestueux Tage, j'eus l'envie irrépressible de prendre un bateau, oh, pas pour jouer à Vasco de Gama ou à Cristovao Columbo, mais simplement pour me rendre sur l'autre rive. C'est d'ailleurs une sévère manie chez moi, dès que je suis devant une étendue d'eau, j'ai envie de passer sur la rive d'en face, il n'y a que les îles qui calment cette pulsion, encore heureux...

Bref me voici débarquant dans un quartier aussi portuaire que populaire, m'attablant dans un minuscule rade en tentant de ne pas trop faire tâche touristique... A cet endroit, assourdissant de conversations que je ne comprenais pas, sous les braillements d'un poste de télé diffusant du football que je comprenais encore moins, j'ai mangé les meilleures sardines grillées de mon existence.

Depuis, je les présente souvent ainsi et comme c'est courant dans tout le Portugal, c'est à dire avec quelques pommes de terre à l'eau, une salade verte agrémentée de rondelles de tomate à peine mûre et de tranches d'oignon blanc, le tout généreusement arrosé de beurre fondu. Un accompagnement qui se marie avec pratiquement tous les poissons grillés, on peut légèrement citronner le beurre fondu si on aime.

C'est aussi à Lisbonne que j'ai goûté pour la première fois le poisson-sabre, les pousse-pied et la seiche grillée avec son encre, des moments inoubliables. Là-bas j'ai vu d'impeccables étalages de poissons au marché, tous avec leur tête, même les lottes,  indispensable pour apprécier leur fraîcheur. J'ai d'ailleurs adopté depuis une règle d'or quand je débarque pour la première fois sur un marché où il y a plusieurs poissonneries, suivre les portugais et les japonais. 

Une fois son job terminé, j'ai amené ma belle visiter un bout de ce magnifique pays, précisément d'abord la région située entre Lisbonne et Coimbra, et c'est là que j'ai découvert qu'au-delà de sa capitale, ce pays est vraiment tourné vers la mer.

Je ne vais pas vous raconter nos vacances, simplement évoquer deux lieux qui m'ont marqué, le port de pêche de Peniche, et l'incroyable couvent de Tomar entièrement voué y compris dans son architecture, aux voyages marins et au rayonnement du Portugal dans le monde (savez-vous par exemple que si les japonais mangent des tempuras, c'est aux portugais qu'ils le doivent, qui leur ont appris la technique et laissé le nom). Deux endroits à fuir par contre, Nazaré trop touristique et les gigantesques pissotières de marbre de Fatima, grotesques.

J'en reviens à mon porc aux palourdes

Plusieurs années se sont passées avant que je ne remange de ce plat, dont j'avais pourtant aussitôt créé un pastiche qui se défend très bien par ailleurs dans l'assiette. La dernière fois c'était fin 2006, chez un copain breton à son retour d'un séjour golfique en Algarve. Il en était revenu tellement enchanté de ce plat qu'il avait acheté sur place une cataplana et nous avait illico invités à dîner pour le goûter. Réussi d'ailleurs, mais quelque chose ne me convenait pas, quelques jours après je lui empruntais son ustensile, avec l'idée arrêtée de  travailler le sujet. 

Déterminé au point que je m'en vantais en commentaire sur La Tasca d'Elvira, ...Elvira par qui tout est arrivé. L'une des premières bloggeuses en langue française, et même bilingue, qui dès les débuts de CdM a été présente, qui m'a confié à quel point elle aime ma région bretonne des abers, et que c'est un séjour à Ouessant qui lui a donné la vocation insulaire.

Elle vit désormais aux Açores où je lui rendrai tôt ou tard visite, elle fait tout en effet pour m'en donner l'envie, et je sais intimement qu'elle ne se trompe pas en pensant que j'adorerai cet endroit. Tout comme j'aime son blog, son attachement à sa culture comme son ouverture à celles du monde. Cerise sur le gâteau, elle ne participe pas aux divers dévoiements de la blogosphère. 

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C'est en retrouvant cette cataplana voici trois mois tout en haut d'une penderie (Jean-François si tu me lis, ton engin n'est pas perdu, je ne te l'ai jamais rendu et je pense le garder encore un peu) que le virus m'a repris. J'avais en effet en effet renoncé à trouver l'ingrédient principal, une pâte de poivron rouge "massa de pimentao".

J'avais cherché chez quelques épiciers portugais, j'avais eu la surprise de constater que ce produit manquait aux quatre à six mille références de chez Izraël, que même Esterelle qui est pourtant une mine d'adresse insondable ne savait pas où s'en procurer;  j'avais même envoyé en exploration un copain qui vit dans la banlieue est de Paris où nombre de portugais sont installés. En vain. 

Ma quête s'était encore compliquée lorsque j'ai lu sur La Tasca qu'Elvira dédaignait désormais la massa de pimentao, au profit de la massa de malagueta, qui n'est pas une purée de poivron rouge au sel, mais son équivalent en purée de piments rouges (presque) doux. 

Le mois dernier l'une de mes talentueuses copines bloggeuses (Piment Oiseau), aussi furieuse de produits et de challenges internationaux que moi s'est rendue à Lisbonne et je me suis aussitôt dit "Ca, c'est une mission pour Letitia". De la massa de pimentao, elle en trouvait à chaque coin de rue, mais toujours pas de massa de malagueta.

Je finissais donc par confier mon désarroi à Elvira, qui m'indiquait alors que c'est un produit typiquement açorien, difficile à se procurer sur le continent, et qui me propose aussitôt de m'en expédier. Nous convenons alors que je la recevrai en Bretagne où je partirai en vacances avec ma cataplana, étant certain de trouver sur place d'excellentes palourdes et du très bon cochon. Du très bon cochon comme en vend et en traite à l'ancienne l'excellent Olivier Helibert, charcutier à Bourg-Blanc, et champion de France d'un tas de trucs délicieux.

Sur les quatorze millions de porcs bretons, soit trois par habitant environ, tous ne sont pas des hontes industrielles. A ce propos, on a enfin découvert le secret de la potion magique de ce village gaulois des Côtes d'Armor, permettant à ses habitants de chasser le sanglier soi-disant à coups de poings : l'algue verte pourrissante (fraîche, elle est très bonne, pour ceux que cela intéresse, j'ai fait un point sur ce sujet il y a deux ans dans ce billet). 

Bon, et si je passais à la recette, je me suis bien entendu inspiré de celle d'Elvira que je remercie encore de nous avoir régalés. Dès que j'ai reçu le colis, avec cette sauce rouge entourée d'un tas de délices des Açores, je n'ai pas attendu trois jours pour la réaliser.

Porc aux palourdes (Carne de porco alentejana)

Ingrédients

- 500 g d'échine de porc désossée
- 750 g de palourdes moyennes
-  1 gros oignon rose ou blanc 
- 3 belles gousses d'ail
- 3 verres de vin blanc
- massa de malagueta
- trois feuilles de laurier
- sel
- sucre
- huile d'olive
- poivre noir 

Pour la garniture

- pommes de terre à la chair semi-ferme
- beurre
- ail
- sel 

- Vous allez m'objecter que vous n'êtes pas aussi fêlés que moi pour vous mettre en quête fanatique de produits alimentaires, et je vous interdis bien de demander à Elvira de vous expédier à tous de la massa de malagueta, ou alors qu'elle monte un commerce... 

Il y a des solutions. Vous verrez que beaucoup de recettes, comme celle d'Elvira publiée voici plus de deux ans utilisent du paprika. Pour approcher au mieux la saveur de la massa de malagueta, je vous invite à mélanger à parts égales de la pâte de piment d'Espelette et du coulis de poivron. 

- Une pomme de terre à la chair semi ferme, correspond pour moi à la variété Amandine ou équivalente. La recette de pommes de terres sautées qui accompagne ce porc aux palourdes est en effet celle de ma grand-mère. Elle utilisait la variété Oeil-de-perdrix, à présent difficile à trouver, hélas. 

- Cuisiner à la cataplana ne m'a pas du tout dépaysé, j'utilise tellement souvent un wok que j'ai retrouvé les même qualités de concentration et de diffusion de la chaleur. Mon pote a bien fait les choses, en s'offrant (voire en nous offrant ;-)) un modèle en cuivre étamé. Bref, comme un wok à la paroi assez mince, qui se prendrait un peu pour un diable avec son couvercle symétriquement bombé. Une cocotte fera très bien l'affaire, à moins que mon pote se lance pour sa part dans le commerce de cataplanas, comme Elvira dans celui de la massa de malagueta.

La cataplana est originaire de l'Algarve, et cette recette aussi, contrairement à ce que son nom semble indiquer. Elle a été ainsi nommée car traditionnellement, on la réalise avec l'excellent porc noir de l'Alentejo (porco preto), cousin du qui n'est autre que le fameux pata negra, ou porco iberico (voir ci-dessous le commentaire d'Elvira)

- J'utilise de l'échine pour la plupart de mes plats de porc en sauce, car elle devient fondante et n'est jamais sèche, grâce à son persillé qui apporte de plus beaucoup de saveur. Si je devais choisir un autre morceau, je prendrais de la pointe de filet mignon ou de la rouelle. 

Recette

Le matin pour le soir où le soir pour le déjeuner suivant, coupez la viande porc en dés et mettez-la à mariner avec trois généreux verres de vin blanc (j'ai utilisé un reste de blanc de Provence que j'avais au frigo, il était parfait), les feuilles de laurier coupées en morceaux, trois gousses d'ail hachées et une ou deux cuillers à soupe de massa de malagueta, selon votre résistance au piment. 

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Vous pouvez également préparer un peu à l'avance votre concentré de tomate. Pour cela, mondez une grosse tomates (= enlever la peau et les graines), coupez-la en morceaux et placez là dans une petite casserole avec un fond d'huile d'olive, un peu de sel et de sucre. Couvrez, puis lorsqu'elle a rendu son eau, laissez cuire à petit feu, à découvert et en remuant de temps en temps, jusqu'à qu'il ne reste plus qu'une pâte. Ajoutez lui une cuiller à café de massa de malagueta et réservez.

Pelez et hachez grossièrement un bel oignon. Mettez-le à rissoler dans la cataplana avec un peu d'huile d'olive. Egouttez le porc de sa marinade (que vous conservez), enlevez les feuilles de laurier, et lorsque les oignons ont commencé à légèrement colorer, ajoutez la viande.

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Lorsque les cubes de porc ont doré sur toutes leurs faces, versez votre concentré de tomate et remuez en cuisant un peu.

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Ajoutez alors la marinade, et laissez cuire à feu moyen et à couvert, en remuant régulièrement.

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Lorsque la viande est bien cuite, ajoutez les palourdes, couvrez à nouveau et portez à feu vif pour les faire ouvrir rapidement. Aidez le mouvement en remuant très souvent... c'est là que je me suis régalé avec la cataplana qu'on peut carrément retourner sur le feu !

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Servez avec des patates sautées comme les faisait ma grand-mère. Cuisez en robe des champs des pommes de terre de type Amandine, et laissez-les bien refroidir (l'idéal est même de les cuire la veille). Pelez, coupez en morceaux, et mettez-les à rissoler à petit feu dans un gros morceau beurre. Il faut les y laisser deux à trois heures. Peu avant de servir, ajouter un morceau de beurre et de l'ail coupé menu, et montez le feu pour obtenir un beau croustillant, et salez.

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J'ai utilisé des palourdes de calibre moyen, mais en toute sincérité des petites auraient été aussi bien adaptées, et plus économiques, car le poisson de celles-ci était à peine plus gros que celui des petites utilisées pour ma précédente recette

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Bon, que je vous dise quand même ce que sont ces filaments rouges. Dans plusieurs recettes de carne alentejana, il est préconisé en finition d'ajouter de la coriandre fraîche et/ou du jus de citron. Ce sont deux ingrédients que j'ai pratiquement toujours à la maison, mais après avoir goûté, je me suis dit que ce plat n'avait pas besoin d'une saveur forte supplémentaire qui risquait de briser le merveilleux équilibre de saveurs auquel j'étais parvenu. 

Alors, ni safran géant, ni algue psychédélique, ce sont des filaments séchés de poivron rouge, qui outre un indéniable aspect décoratif, ont apporté une discrète saveur de poivron rouge qui se fondait très bien dans l'ensemble. Ensemble pour lequel j'ai été chaudement félicité par ma femme et ma fille (et croyez-le, ce n'est pas systématique), avec instruction de recommencer le plus tôt possible. 

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Commentaires
J
Vous pouvez utiliser des rondelles de choriço de porc noir qui apportent aussi le goût de poivron, et finir la cuisson le temps d'ouvrir les palourdes avec un peu de coriandre.<br /> <br /> Bonne dégustation,<br /> <br /> Jacinto
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L
J'ai déjà eu l'occasion de faire cette recette que je trouve simplement délicieuse, elle surprend les non-amateurs de mer et montagne et après elle les accroche! L'apport des Portugais dans la cuisine non-occidentale remonte aux temps des grandes conquêtes, il y a un conflit de revendications sur le fish and chips avec les Espagnols, leurs voisins et éternels grands ennemis. Je ne savais pas pour le pata negra, et ça ne m'étonne pas connaissant la façon qu'ont eu les Espagnols de tout dévaster dans les années 80... <br /> Ma môman fait une version "malgache" de ce plat avec du curry et des citrons confits, héritage vraisemblable des Portugais et des Arabes.<br /> Besooooooooooos
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J
ces porcs noirs passent leur vie en plein air, pour avoir ce nom ils doivent consommer des glands de chene liège pendant 3 mois avant d'être abattus en fin d'année, cela donne une graisse jaune d'acide oleique, savoureuse.<br /> c'est une des rares viandes de porc quasi sauvage qui se produit toujours, le race est différente du porc noir italien ou corse, ils sont plus gros<br /> le choix de l'échine est excellent , souvent ce plat est servi ici avec le filet que je trouve trop sec. <br /> Cette recette est davantage alentejane que d'Algarve, c'est un ragout/soupe qu'on emportait dans des récipients de liège où il se tient chaud et qu'on mangeait dans les champs.<br /> (dans les recettes paysannes d'ici ma préférée est la feijoada de choco : cassoulet de seiche, as tu déjà essayé ce plat ?)
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R
Cette recette est très alléchante :)
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T
excellent, c'est grâce à Malou que j'en ai fait, et plus récemment, j'ai fait une paella en pensant ardemment à ce porc alentejano ! Je pense que je vais en refaire d'ici peu.
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