Carpaccio de flétan fumé et framboises, sauce à la vodka
Sachez qu'on peut s’adonner à des pulsions hippophages en passant à la poissonnerie, non qu'on puisse désormais y acheter de l'hippocampe, mais simplement parce que le flétan fait partie du genre des "hippoglossus", ce qui signifie "langue de cheval". Quiconque a déjà vu une langue de cheval et un flétan comprend mal l'analogie, mais c'est ainsi.
Ce n'est d'ailleurs pas un cas isolé pour un poisson plat, puisque par exemple le céteau est aussi nommé "langue d'avocat", je n'ose en imaginer la raison… Par contre, lorsqu'on parle de langue de morue, il n'y a pas d'ambigüité possible, vous devez sûrement vous en souvenir. En ce qui me concerne, je n'ai jamais vu une langue de cheval me regarder de biais comme cela... un air bizarre avec les deux yeux qui ont basculé du côté droit de la tête.
Hippoglossus avec gloss
Puisque nous en sommes à des considérations de vocabulaire, sachez qu'on ne parle plus de "tuerie" à propos d'une recette qui déchire (exemple : "cette verrine est une vraie tuerie, j'en veux") mais de "boucherie" (exemple : "cette salade de fruit est une vraie boucherie, j'en veux aussi"). Imaginez un peu les dérives auxquelles cela nous mènerait si on se laisse faire, avec des appréciations du genre : "ce foie de broutard est une terrible cordonnerie" ou mieux : "cette salade de museau est un vrai claque".
Bref, vous m'éviterez les commentaires du genre "ce carpaccio de flétan est une vraie poissonnerie, on en mangerait presque". Bon évidemment, s'il s'agissait d'une poissonnerie chevaline, ce serait différent... je ne monterai pas sur mes grands chevaux pour si peu, après tout, ce n'est quand même la mort du petit cheval, sans vouloir noyer le poisson.
Les chevaux ont longtemps aidé l'homme sur l'estran, comme il était indispensable dans les champs et sur les chemins. En bord de mer, il descendait jusqu'aux bateaux chargés de goémon au d'autres provendes, il tirait un filet à crevettes grises, charriait le sable ou les pierres, etc..
Désormais c'est lors d'activités de loisir qu'on rencontre le cheval sur les plages, chevauchées par de farouches amazones qui adorent galoper en frange de mer (enfin, une certaine idée de la frange, comme le disait Jarry : "La plus noble conquête du cheval, c'est la femme") ou par d'étranges égarés menant leur monture au milieu de dépôts d'algues vertes pourries, franchement, y'a des endroits plus sympas pour se promener. Toujours au niveau des activités récréatives, le water-polo a été rapidement proscrit, en raison de trop nombreuses noyades de chevaux.
Je pourrais vous parler du cheval de mer, terrible animal qui tirait le char de Neptune, et qu'on distingue bien dans le basin éponyme des jardins de Versailles, mais une parution prochaine m'a un peu détourné de mon propos...
Encore un pote qui écrit, faudrait aussi que je m'y mette...
J'ai réalisé cette recette de flétan il y a déjà quelques mois, et commencé ce billet voici au moins trois semaines, sans me douter un instant qu'il serait prémonitoire. Un blogueur culinaire (l'un des rares mecs ayant commencé à bloguer dans cette catégorie avant moi, du moins en France) vient de sortir un drôle de livre, qui sera disponible à la vente à partir du 4 octobre, pas un livre de recettes, même si il y en a quelques-unes, mais un ouvrage assez autobiographique, comme le sont d'ailleurs la plupart des premiers romans, plus ou moins en filigrane.
Là où le présent billet se voit télescopé par cette annonce, c'est que son titre est "La boucherie chevaline était ouverte le lundi". Certes, je ne pense pas qu'il y parle de flétan, mais j'adore les coïncidences, comme si soudain la vie venait en phase avec quelqu'un que j'estime.
Dorian Nieto aime les titres longs, comme en témoigne le nom de son blog "Mais pourquoi est-ce que je vous raconte ça", que je lis depuis longtemps. Je lirai aussi ce livre, (même si j'ignore jusqu'au goût de la viande de cheval, je n'en mange pas par tradition familiale), parce que ce garçon a du talent et du style. Enfin, je ne suis pas sectaire, ce qui me retient aussi de manger de cette viande, c'est que ce sont des chevaux en bout de course qui sont destinés à l'abattoir, si ça se trouve, le poulain sous la mère vaut bien le veau du même métal.
Flétan va la cruche à l'eau qu'elle se noie
Il ne faut en effet pas confondre canasson et canne à pêche, ou mors aux dents et mord à l'hameçon. Savez-vous que le flétan est le plus grand des poissons plats (la raie n'est pas un poisson plat, je vous le rappelle), le record connu est celui du flétan de l'Atlantique, une longueur de 4,70 mètres et un poids maximal de 330 kilos. Bien qu'il se nourrisse de poisson, il arrive qu'on trouve un petit pingouin dans son estomac... Sérieux, pour hisser un tel mastodonte à bord, il ne faut pas être monté au crin de cheval, filin d'acier indispensable, et on esche avec quelque chose de plus consistant qu'un bulot....
Certes, de tels sujets ne se trouvent pas sous le sabot d'un cheval, on a même bien failli ne plus en voir du tout, tant il a été surpêché. C'est un poisson de mer froide, on trouve ce flétan de l'Atlantique dans le nord de l'Atlantique Nord, et un clone en Pacifique Nord. La plus grande pêcherie de ce ce poisson est en Alaska, où des mesures de sauvegarde ont été prises ; depuis cette pêche est devenue la plus rentable du coin, comme quoi, lorsque la mer est une composante importante de l'économie, on sait en prendre soin, de tels exemples se retrouvent en Islande ou en Norvège par exemple.
L'autre flétan que l'on consomme, c'est le flétan noir, ou flétan du Groenland. C'est plus un poisson de profondeur, et seule la grande pêche nous le ramène. Sa chair est bien moins bonne, par contre, vivant en mer très froide, il est plus riche en graisse, ce qui en fait un candidat idéal au fumage, il est considéré supérieur à celui de l'Atlantique sous cette forme, alors que frais il est bien moins fin. C'est une opinion que je ne partage pas, il a certes plus de moelleux, mais je le trouve assez fade, et trop gras... autant manger du saumon fumé.
Sur nos côtes, on pêche aussi le flet, qui n'est pas du tout de la même famille, et qui a une chair peu appréciée. Il a une répartition plus au sud, on le trouve de Norvège jusqu'en Grèce, il ressemble un peu à une limande.
Pour la recette ci-dessous, c'est du flétan de l'Atlantique que j'ai pris, vous pouvez la réaliser avec d'autres poissons blancs fumés, comme de l'espadon, voire de l'esturgeon...
Carpaccio de flétan fumé et framboises, sauce à la vodka
Ingrédients
- flétan fumé
- framboises
- huile de noisette
- vodka
- grains de carvi
- moutarde douce
- baies roses
- poivre blanc
Evidemment, on ne sale pas, le poisson fumé l'est suffisamment pour tout le plat.
La moutarde douce que j'utilise est de provenance scandinave, c'est celle qui me sert à confectionner la sauce d'accompagnement du saumon gravlax. Vous pouvez aussi utilisez de la moutarde douce allemande, plus facile à trouver, voire une moutarde aromatisée au miel. Quant à la vodka, j'ai un faible pour la polonaise à l'herbe de bison (Zubrowka).
Cette recette utilise du flétan noir fumé, provenant des Salaisons du Golfe, en passe de devenir le fournisseur officiel de CdM.
Recette
Utilisez votre couteau à saumon qui ne fera aucune objection à devenir couteau à flétan, pour couper de fines tranches que vous disposerez au fond du plat ou de l'assiette de service.
Réalisez la sauce d'assaisonnement : Diluez une petite cuiller à café de moutarde douce dans une cuiller à soupe de vodka, et ajoutez deux cuillers à soupe d'huile de noisette. Arrosez le poisson de cette préparation, environ 30 mn avant le service. Parsemez de quelques grains de carvi et de quelques baies roses.
Au moment du service, ajoutez quelques framboises et poivrez.
On passe un bon moment avec ce plat, le visuel est appétissant, et les saveurs douces et relevées sont cohérentes entre-elles, on a le croquant des graines aussi. Ce n'est pas la première fois que je réalise un accord entre poisson fumé et fruits rouges, je trouve que cela fonctionne plutôt bien. Cette discrète acidité leur convient à mon avis bien mieux que les flots de jus de citron dont on les submerge trop souvent.
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